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Le double rêve d’indépendance de Ruba Ghazal
La députée solidaire Ruba Ghazal a décidé d’officialiser sa candidature à la co-porte-parolerie de son parti au lendemain d’une entrevue avec votre humble serviteur. Rendu là, c’est bizarre que mon nom ne se soit pas ramassé dans le palmarès des 100 plus grands influenceurs du Québec. Je suis un homme blanc cis dans la quarantaine, en plus.
« Ruba a décidé de concrétiser sa réflexion après votre entrevue. Son annonce aura lieu au parc Lafontaine, demain, à 11h. Tu es le bienvenu! », m’a écrit un membre de son entourage, au sortir de notre rencontre dans les bureaux d’URBANIA.
Je ne suis pas allé au rendez-vous en question, optant magnanimement pour laisser les miettes de mes SCOOPS aux médias traditionnels (bâillement). Ça leur changera de parler de la Place Versailles ou des terrasses de la rue Peel…
Bon, OK, son entourage m’a seulement fait une boutade et l’annonce était déjà prévue avant notre entrevue.
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Ça explique d’ailleurs pourquoi elle échangeait des regards remplis de sous-entendus à Victor, son attaché de presse, pendant que je tâtais son désir de se lancer dans une (deuxième) course à la chefferie. « J’aime ce parti, je suis très attachée aux membres, très à l’écoute et j’ai une volonté de rassembler les gens derrière une voie politique de gauche », répondait Ruba Ghazal, qui avait perdu par quelques voix seulement la dernière course ultimement remportée par Émilise Lessard-Therrien.
Faut dire que personne ne tombe en bas de sa chaise de voir cette membre fondatrice du parti, députée de Mercier depuis 2018, s’inscrire à nouveau à Co-porte-parole Académie.
« Je réfléchis dans la bonne humeur », badinait-elle encore la veille, un grand sourire estampé au visage, alors que sa décision était déjà prise.
Celle-ci survient après des derniers mois pour le moins houleux au sein de QS, ébranlé par une crise interne survenue dans la foulée de la démission précipitée d’Émilise Lessard-Therrien, survenue seulement quatre mois après avoir été élue pour remplacer Manon Massé. Des voix s’étaient ensuite élevées à l’intérieur même du parti pour dénoncer le « pragmatisme » du chef, Gabriel Nadeau-Dubois, déjà fragilisé par des attaques menées par l’ancienne députée Catherine Dorion, notamment dans son essai Les têtes brûlées publié l’an dernier.
Le caucus du parti avait dû réitérer sa confiance envers son chef, avant que les militants ne leur emboîtent le pas au terme d’un conseil national houleux à la fin mai, au terme duquel la formation a adopté la déclaration du Saguenay et promis de remettre QS sur les rails en vue de gouverner.
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C’est dans ce contexte que Ruba Ghazal saute à nouveau dans la mêlée, se défendant d’avoir tenté de discréditer sa principale adversaire dans la dernière course à la chefferie. « On a vu des couteaux plus bas que ça. On est amies, Christine (Labrie, co-porte-parole par intérim), Émilise (Lessard-Therrien) et moi. C’était un moment un peu difficile, mais je me suis ralliée (à Émilise) sur-le-champ, et je l’aime de tout mon cœur », assure Ruba Ghazal.
La députée dit même embrasser la vision d’Émilise, notamment dans cette volonté de se mobiliser dans toutes les régions du Québec. Parlant même de « l’héritage d’Émilise », elle dit mettre la recette en pratique dans ses tournées à travers la province, notamment au Saguenay, région qu’elle représente avec la Mauricie. « Nos membres sont partout, comme les idées plus progressistes. Tous les députés de QS font ces tournées régionales pour sortir de nos chambres d’écho. On a mis nos oreilles de Dumbo et on écoute le monde, au lieu de prêcher la bonne nouvelle », illustre Ruba.
Un défi de taille pour une formation dont neuf des douze élu.e.s se trouvent à Montréal. Si elle devient co-porte-parole, QS aura de nouveau un tandem du 514.
Au fait, qu’en est-il de la perspective de collaborer étroitement avec GND? Si je me fie aux rumeurs émanant de son propre parti, ça n’a pas l’air de la job la plus reposante au monde.
La principale intéressée éclate de rire. « Je travaille avec Gab depuis 2008, on l’a vu grandir, devenir une meilleure personne avec Manon. C’est sûr que j’y ai réfléchi, mais la réponse est oui. J’ai envie de travailler avec quelqu’un d’aussi brillant. Il est le meilleur parlementaire de sa génération », louange Ruba, qui a bien l’intention de trouver sa place aux côtés de son chef.
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On n’en doute pas, à la voir répondre avec passion et verve à mes questions, son enthousiasme contagieux. Même si la session parlementaire vient de prendre fin, la politicienne de 45 ans n’a pas l’intention de se la couler douce en jouant à la pétanque tout l’été avec ses ouailles au parc Lafontaine.
Elle risque toutefois de passer plus de temps dans sa circonscription, question de rencontrer ses concitoyens et de prendre le pouls de son comté, qu’elle ne tient « jamais, jamais » pour acquis, malgré ses deux victoires écrasantes aux derniers scrutins. « Mes collaborateurs tiennent le fort et je leur dis que je veux être là pour n’importe quelle activité dans mon comté. Ça m’aide à rester connectée. »
«L’Histoire va nous juger, c’est certain »
Tant qu’à avoir la seule (et première) députée d’origine palestinienne en face de soi, pas le choix d’évoquer les horreurs qui se déroulent présentement dans la bande de Gaza, dans l’indifférence quasi générale de l’Occident, sauf pour quelques chefs d’État qui commencent à durcir du bout des lèvres le ton à l’endroit d’Israël.
Ruba Ghazal, vêtue d’un keffieh, s’est récemment levée à l’Assemblée nationale pour réclamer la fermeture d’un nouveau bureau du Québec à Tel-Aviv, une idée de la CAQ qui ne remporte définitivement pas la palme du timing.
Ce coup d’éclat est loin d’être un geste isolé. Déjà, en 2019, Ruba Ghazal avait livré un vibrant discours propalestinien en chambre, en français et en arabe, qui avait traversé nos frontières grâce à la puissance du virtuel. La cause est par ailleurs intrinsèquement liée au parcours de la députée, dont les grands-parents ont été forcés à l’exil avant de se retrouver dans un camp de réfugiés au Liban. C’est là qu’est née Ruba, avant de déménager aux Émirats arabes unis avec sa famille pendant dix ans, pour finalement émigrer au Québec. « Je ne suis jamais allée en Palestine, mais le rêve du pays fait partie de mon identité profonde. Je sens une responsabilité d’en parler en tant que personnalité qui a un micro sous le nez », affirme Ruba.
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Une prise de parole qu’elle sait délicate, mais qu’elle s’efforce de catapulter à l’avant-scène pour sortir des chambres d’écho de sa base militante, naturellement sympathique à la cause palestinienne. « Il y a tellement de conflits et de catastrophes dans le monde que les gens font face à leur propre impuissance. Mais l’Histoire va nous juger, c’est certain… », craint Ruba, qui ne sent pas que ses prises de position polarisent. Pour le moment, en tout cas.
« Je réussis à dormir la nuit. Sur les réseaux sociaux, peu importe le sujet, les commentaires sont horribles. J’essaye de ne pas les regarder », souligne-t-elle.
Sans doute une sage décision lorsqu’on est une femme en politique, racisée de surcroit.
Ambassadrice du Oui
Pour Ruba Ghazal, le rêve du pays ne se limite pas à la Palestine.
Comme membre fondatrice de QS, cette ardente militante indépendantiste tenait à enchâsser ce projet d’émancipation national dans le programme du parti. QS l’a d’ailleurs nommée cette année ambassadrice de la campagne Nouveau Québec, dont l’objectif est de vendre un projet souverainiste de manière inclusive et interactive avec la population. Une façon, explique la députée, de sortir le débat de la sphère politique. « L’objectif n’est pas de prêcher aux convertis, mais bien de faire l’effort de guerre d’expliquer aux gens réticents les bienfaits de l’indépendance. C’est comme en Palestine, où l’on a toujours su que c’est le peuple qui fera l’indépendance », illustre-t-elle.
Cette enfant de la Loi 101 incarne parfaitement la vision inclusive du mouvement, dont l’espoir repose sur des ponts à ériger entre la majorité historique francophone, les immigrants, les demandeurs d’asile et les enfants de la Loi 101.
Elle cite Gérald Godin, qui, déjà en 1984, disait : « Au début, on pensait qu’on ferait le pays tout seuls, ou presque. Maintenant, on pense qu’on doit le faire avec les autres. »
Ruba Ghazal essaie de prêcher par l’exemple. « Quand je vois des jeunes dans la vingtaine se reconnaître en moi, voir l’espoir de se retrouver à l’Assemblée nationale, mais ne pas comprendre pourquoi je suis indépendantiste, je dois leur faire entendre une voix rassembleuse et leur parler de fierté québécoise. »
Cette grande assemblée de cuisine à l’échelle provinciale pour vendre la souveraineté s’adresse d’ailleurs beaucoup aux jeunes, soit ceux qui n’ont pas été « traumatisés » par deux échecs référendaires.
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Ruba Ghazal, qui avait 17 ans au référendum de 1995, fait d’ailleurs partie de ce nombre. « J’allais au Cégep Bois-de-Boulogne, j’étais arrivée au Québec sept ans auparavant. Cette période d’effervescence a été pour moi une période d’apprentissage », confie-t-elle. L’étudiante se souvient encore du discours de Jacques Parizeau, dont ce passage sur l’argent et les votes ethniques qui l’avait un peu fait sursauter. « Je me souviens avoir été étonnée, mais j’ai une grande admiration pour monsieur Parizeau et je ne veux pas le réduire à ça. »
Pour le reste, la députée solidaire demeure convaincue que le Québec dispose de toutes les cartes nécessaires pour prendre sa destinée en main.
« On est capables de tout faire au Québec. On n’a pas besoin d’un ministère de l’Environnement au fédéral pour nous dire quoi faire ni de projets pétroliers provenant de l’Ouest canadien », résume Ruba, soulignant aussi l’urgence de durcir le ton devant les géants du web pour protéger la culture québécoise.
Sortir de la marge
Pour l’heure, son parti devra commencer par trouver un moyen de sortir de la marge où il semble plafonner depuis sa création.
Pas une mince affaire, si l’on considère les intentions de vote qui stagnent autour de 12% et la montée fulgurante du PQ dans les sondages. « Pour sortir de cette stagnation, il faut être aussi forts sur les enjeux liés à l’identité que sur ceux liés à l’environnement. Être plus présent sur des enjeux qui viennent du cœur. »
Si elle est en quête d’inspiration, Ruba Ghazal n’aura pas besoin de chercher bien loin. «J’ai tellement reçu du Québec. Je n’aurais pas eu les mêmes chances si j’étais restée dans les Émirats arabes unis. J’aimerais incarner cet amour et cette fierté que j’ai reçus. Tant qu’on n’est pas un pays, il y aura toujours ce malaise identitaire et cette peur de disparaître.»