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Émilise Lessard-Therrien, du fond du coeur

Jaser de F-150, des Cowboys Fringants et de politique entre deux lattes (avec lait de vache).

Par
Hugo Meunier
Hugo Meunier
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« Je veux faire de la politique comme les Cowboys Fringants ont fait de la musique », résume Émilise Lessard-Therrien, à quelques heures de la cérémonie hommage à Karl Tremblay à laquelle elle assistera au Centre Bell, à l’instar de quinze mille personnes.

Fraîchement élue co-porte-parole de Québec solidaire dimanche soir, je la rencontre mardi matin au café Chez l’Éditeur dans Villeray, où cette Témiscamienne a ses habitudes quand elle est de passage en ville.

Elle arrive seule, l’air en pleine forme malgré les vingt-cinq entrevues enfilées la veille, jour de son 32e anniversaire qu’elle a souligné avec le député solidaire de Rosemont Vincent Marissal, unique député à l’avoir appuyée dans cette course à trois qu’elle a remportée par seulement trois votes ( 50,3% des voix, contre 49,7%) sur la députée de Mercier Ruba Ghazal*.

*L’autre candidate, Christine Labrie, a récolté 28,4% des votes des membres, réunis en congrès à Gatineau en fin de semaine dernière.

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La mort du chanteur des Cowboys Fringants l’a profondément bouleversée. « Si je fais de la politique, c’est en partie parce que j’écoute leur musique depuis que j’ai dix ans. Pour leurs histoires puisées à même les personnes ordinaires, leur côté festif, engagé et le fait de pouvoir s’offrir le Centre Bell n’importe quand, sans jamais lever le nez sur les plus petites scènes », louange l’ex-députée de Rouyn-Noranda-Témiscamingue (2018-2022), qui a justement vu son dernier concert du groupe au Festival du bœuf de Ste-Germaine-Boulé.

Elle rentrera par ailleurs sur sa terre natale au lendemain de la cérémonie donnée en l’honneur de Karl Tremblay, gonflée à bloc par un tout nouveau défi et non le moindre: codiriger Québec solidaire et redorer leur blason dans les régions, souvent coincées dans l’angle mort du parti réputé montréalais, avec neuf député.es sur douze desservant le 514*.

*Les trois autres sont à Québec (2) et à Sherbrooke (1).

La nouvelle porte-parole ne s’en cache pas: sa victoire était loin d’être acquise au moment de prendre la route en direction de Gatineau pour le congrès de QS.

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« Je me suis quand même dit que j’étais mieux de me faire une plus grosse valise au cas où je gagne… », sourit Émilise.

Son intuition était bonne. Après l’intense blitz d’entrevues qui s’est étiré sur quelques jours, elle avoue avoir maintenant hâte de serrer ses deux filles dans ses bras, Solène (6 ans) et Flora (3 ans).

Un dernier débat crucial

Grâce au pointage, elle savait que la course serait serrée jusqu’au fil d’arrivée, mais pas à ce point. Plusieurs débats ont été organisés tout au long de la campagne entre les candidates, qui l’ont épuisée. Elle avoue s’être présentée un peu à reculons au dernier qui se tenait tout juste avant le vote. Et pourtant, c’est probablement cette ultime confrontation qui a fait tourner le vent en sa faveur. « Je l’ai préparé sur la route. Finalement, je l’ai crissement performé et je l’ai senti dans la salle », admet celle qui refusait de cultiver trop d’espoir en raison du goût amer qu’avait laissé sa défaite électorale de 2022, alors qu’on lui promettait presque une victoire avec des résultats soviétiques*.

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*Elle a finalement perdu par un peu plus de 4000 voix aux mains de son adversaire caquiste, Daniel Bernard.

Émilise impute sa victoire à son authenticité, celle-là même que cette verbomotrice s’exprimant de manière très gestuelle démontre à la table du café de la rue Saint-Hubert.

En entrevue, elle ne se défile pas et répond sans détour à chaque question, à des années-lumières des cassettes à saveur de « voie de passage » répétées récemment sur toutes les tribunes.

Au sujet de la grève qui paralyse actuellement le secteur public, Émilise Lessard-Therrien souhaite canaliser l’impuissance de la rue au-delà du salaire et des fins électorales. « Même si on ne va pas nécessairement chercher le vote des grévistes, actuellement, il faut leur donner les ressources pour accomplir leur mission. Il faut sortir de la tête et aller vers le cœur », plaide-t-elle avec une fougue rappelant celle de sa prédécesseure. « Manon est moins traditionnelle, très humaine, plus proche du monde, plus proche du cœur…»

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Un contraste avec le caractère plus classique de son nouveau co-porte-parole, Gabriel Nadeau-Dubois.

« Je nous trouve extrêmement complémentaires dans notre façon de faire de la politique. Gabriel est plus cérébral. Il a toujours trois coups d’avance et est extrêmement brillant. Rien ne le dépasse.»

Elle ne fait pas de cas des jambettes que lui ont fait ses adversaires en lice au titre de co-porte-parole, à commencer par Ruba Ghazal, dont l’argumentaire de fin de course avait pour but de discréditer Émilise, a même fuité à Radio-Canada.

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En gros, on mettait les membres en garde contre l’élection d’une non-élue, très jeune et condamnée à vivre dans l’ombre d’un vis-à-vis qui siègera à l’Assemblée nationale.

Humble devant une victoire obtenue par la peau des dents, Émilise préfère tendre la main à ses adversaires, ce qu’elle s’est par ailleurs empressée de faire. « Mon premier réflexe a été de penser à Ruba. Une course est prenante et je ne voulais pas me dénaturer. Je ne veux pas chercher à convaincre à tout prix, non plus », explique-t-elle avec classe, ajoutant vouloir regarder vers l’avant, avec l’ensemble des troupes.

Elle avoue même avoir failli abandonner la course à plusieurs reprises, course qu’elle menait avec le vent dans la face.

« C’était très long (d’août à novembre), je me sentais loin de la game et j’étais pas payée, je le faisais comme bénévole. J’étais chez nous, dans mon jardin et je faisais des Zooms, de temps en temps, avec le noyau dur.»

Investir les médias régionaux

Même si elle copilote son parti sans être élue (une première depuis Françoise David), elle n’a pas l’intention de se tourner les pouces en cultivant son jardin.

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C’est la permanence de Québec solidaire qui se chargera de lui verser un salaire pendant qu’elle sillonnera la province dans l’espoir de reconnecter son parti avec les régions.

« Les médias nationaux n’ont pas le monopole de la conversation, je veux investir les médias régionaux. Dans notre duo, on aura une personne à l’Assemblée nationale pour l’agenda législatif et moi sur le terrain pour l’agenda solidaire », illustre Émilise, qui entend profiter de sa notoriété pour attirer l’attention des médias tout au long de cette tournée.

Chose qu’elle a prouvé au moins une fois haut la main, en catapultant l’enjeu régional de la Fonderie Horne de son coin de pays à l’avant-scène nationale, en raison de ses rejets d’arsenic dépassant plus de trente fois la norme québécoise. « Ça a décollé pendant tout l’été. On a imposé notre agenda au gouvernement, (François) Legault s’en faisait parler à tous les points de presse », se remémore Émilise.

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Ce tour de force a certes contribué à sa surprise de n’avoir pas été réélue, quelques mois plus tard, après avoir mobilisé des centaines de personnes dans les rues de Rouyn-Noranda tout juste avant le scrutin.

« Au lendemain de la défaite, c’était comme une gueule de bois, en plus d’être un recul pour les régions.»

Parce qu’il va de soi que la croissance de Québec solidaire passera par des gains en région. « Pour moi, la prochaine élection sera décisive, ça va être dur si on ne sort pas des grands centres », reconnaît-elle.

Émilise croit que la gauche constitue présentement la seule alternative aux crises multiples qui secouent la province.

« La CAQ peine à les résorber, les services sont en baisse dans les régions, les gens se mobilisent, se sentent largués par le milieu de la santé et de l’éducation. Pour moi, la lutte contre l’arsenic (à la Fonderie Horne) c’est aussi une lutte de l’auto-détermination. Il faut ramener du pouvoir au niveau local », explique cette diplômée en éducation, qui a grandi avec une mère infirmière.

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Avec le PQ qui a le vent dans les voiles dans les sondages, Émilise se garde de jeter les gants contre ses adversaires, à trois ans des élections générales. Au contraire.

« Je reconnais que Paul Saint-Pierre-Plamondon dégage quelque chose de très fort et authentique, mais je nous laisse du temps. J’aime mieux parler de ce qu’on peut offrir, au lieu de parler contre les autres. »

En plus d’une place à prendre en région, elle souhaite revenir avec un discours fort sur l’indépendance.

F-150 = coton ouaté?

Le baptême médiatique d’Émilise Lessard-Therrien s’amorce sur les chapeaux de roues, culminant avec une caricature de Serge Chapleau, où elle apparaît devant un camion F-150 sur lequel on a apposé le logo de sa formation. « Le nouveau visage de Québec solidaire», peut-on lire, en référence au véhicule que possède la nouvelle co-porte-parole.

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Ajoutons à cet étonnant portrait son amour de la chasse et un deuxième latte avec du LAIT DE VACHE et nous frôlons presque l’hérésie au sein d’un parti régulièrement taxé de « wokisme » par ses détracteurs, dont plusieurs font toujours le bacon depuis que le parti a annoncé son intention de présenter uniquement des candidates féminines et personnes non-binaires aux prochaines partielles, dans un souci d’atteindre la parité.

À l’instar de pratiquement tout le monde de sa formation (sauf le candidat défait de Jean-Talon, Olivier Bolduc, qui a déchiré sa carte de membre), Émilise se dit très favorable à cette décision.

« Les hommes sont sur-représentés. On serait sexiste si on faisait ça au détriment des hommes, mais c’est pas le cas».

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Notons qu’à l’heure actuelle, les députés solidaires masculins sont deux fois plus nombreux (huit contre quatre) au sein du caucus.

Le temps prévu pour notre rencontre est terminé, mais il me reste quelques questions. Émilise sort dans le portique du café pour accorder une entrevue à une radio anglophone, avant de revenir s’asseoir pour m’accommoder.

Je voulais savoir si elle trouve que son F-150 – qui fait déjà jaser – sera sa version rurale du coton ouaté de Catherine Dorion ou de la moustache de Manon.

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Est-ce que les médias aiment ramener les têtes fortes de QS à un symbole, une caricature?

Émilise me freine aussitôt dans mes élans philosophico-politique. « Je pense qu’on n’en ferait pas de cas si on n’avait pas eu l’épisode de taxes oranges lors de la dernière campagne*. Moi, j’ai un F-150 parce que c’est pratique sur une terre, mais j’ai aussi une voiture électrique », nuance-t-elle.

* QS avait annoncé qu’un gouvernement solidaire taxerait de 15% l’achat de véhicules énergivores neufs et augmenterait les subventions pour l’achat de véhicules électriques.

Le style Dorion

Parlant de Catherine Dorion, le franc-parler de la co-porte-parole me rappelle celui de l’ex-députée kamikaze de Taschereau, qui vient de publier un livre sur son passage houleux en politique.

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«C’est mon amie, je pense qu’on se ressemble beaucoup dans notre manière de faire de la politique. Ça m’a émue de lire son livre. J’avais 26 ans quand je suis arrivée à l’Assemblée nationale et j’étais terrorisée. Sol (Zanetti) nous avait convoqué pour nous demander: est-ce qu’on va vraiment prêter serment à la reine? », confie-t-elle.

Émilise Lessard-Therrien n’a toutefois pas perdu autant d’illusions que son amie durant son mandat, mais admet que la politique est un sport extrême. « C’est vrai qu’il y a une bulle médiatique, mais il faut juste en être conscient. Un bon exemple, c’est le 3e lien. Nous, on aimerait parler concrètement de ce qu’on pourrait faire avec cet argent (il était estimé à 6,5 milliards), mais les médias n’ont pas fini de faire l’autopsie de toute cette histoire », regrette-t-elle.

Au moment de lire ces lignes, Émilise Lessard-Therrien aura enfin retrouvé ses filles. Elle ira peut-être même faire un tour dans le bois. Mais une chose est sûre, c’est qu’elle est déjà prête à se retrousser les manches.

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Surtout, elle est prête à prouver qu’il est possible de faire une grande différence avec trois petites voix d’avance, lorsque ça vient du cœur.