.jpg)
Le dernier sex shop de Sept-Îles
Un peu de contexte avant de commencer.
Lorsque je ne suis pas le meilleur journaliste de la guilde, je suis auteur à temps partiel. Prolifique malgré une job de jour, puisque je parade présentement mon cinquième roman, intitulé Les péchés ordinaires*.
Je sais que vous l’avez sans doute déjà lu ou êtes en train de le faire, mais la rigueur est un réflexe naturel chez moi, comme le ghostage de journalistes au sein du cabinet de la ministre Duranceau.
*Oui, une vulgaire autopromo.
Ce side-line d’écrivaillon me permet de prendre part à la tournée des Salons du livre, et l’occasion de chanter Careless Whisper dans tous les karaokés miteux de la province, incluant Edmundston.
C’est ainsi que je me suis ramassé, pour la première fois, à Sept-Îles, en marge du quarantième Salon du livre de la Côte-Nord. Un privilège, compte tenu de la réputation fort enviable de ce salon régional. Prenez tous les clichés ruraux de gens chaleureux, fruits de mer savoureux et paysages grandioses et multipliez ça par dix.
Il s’agissait pour moi d’une première visite à Sept-Îles, étant pratiquement vierge de la Côte-Nord, sauf pour un quickie à Baie-Comeau en 2022 dans le cadre de notre road trip électoral en VR.
Un baptême par la grande porte, puisqu’on me recevait comme « auteur à l’honneur », un titre que j’ai embrassé avec humilité, dans le simple but de faire rayonner la littérature québécoise*.
*Absolument pas. J’ai pavané ma cocarde pompeusement durant tout le séjour et tout le monde voulait m’étrangler à la fin.
.webp)
Ce préambule plus long que la carrière d’une co-porte-parole de Québec Solidaire pour vous dire que je prenais part, vendredi soir dernier, à la Soirée de littérature grivoise, en compagnie de plusieurs collègues de renom.
Un rendez-vous annuel fort couru, durant lequel près de deux cents personnes s’entassent dans une grande salle du Cégep de Sept-Îles
J’avais prévu, au départ, lire un extrait de mon dernier roman, dont le chapitre sur la luxure se déroule entre les murs d’un club libertin de Montréal.
Mais en réalisant à la dure, deux jours avant, à la microbrasserie La Compagnie que ma jeune camarade Alexandra Larochelle s’épancherait sur un sujet connexe, j’ai dû me revirer sur un dix cennes et vous priver d’un long (et excellent) passage sur l’exploration sexuelle de Johanne et Rémi dans une soirée à thématique James Bond.
.jpg)
Sous la menace, je dois dire. « Le libertinage m’appartient! Si tu écris là-dessus, je te tue, mon gros criss! », a-t-elle persiflé dans le creux de mon oreille à mon arrivée au salon, la veille, avant d’aller prendre un selfie avec Zachary Richard.
Sept-Îles, ville du vice… NOT!
Dans de telles circonstances, pas le choix de me lancer en quête d’un autre sujet cochon, mais quoi donc?
Entre la démolition, le concert attendu de Salebarbes à la salle Jean-Marc Dion, le club au crabe du P’tit Snack, et les maisons criblées de balles du parc Ferland à cause des guerres de gangs, y se passe pas grand-chose à Sept-Îles.
J’ai fait mes recherches quand même.
Tellement, que je sais que Jean-Marc Dion a été maire de la ville durant 25 ans et qu’il a largement contribué à l’implantation de l’Aluminerie Alouette. Fun fact : sur sa fiche Wikipedia, on mentionne que sa date de naissance est inconnue.
Anyway, je m’égare. Bref, pas trop d’action, ni rien de bien sulfureux à raconter.
Pas de club échangiste, de bar de danseuses (après avoir vu disparaître Le Ouellet, L’érotique en bleu, Le garage et l’Oasis), pas non plus de sauna louche, de maison close ou de peep show dans les environs.
Bref, des choses qu’on a en abondance à Montréal.
On a même un cinéma érotique – le légendaire cinéma L’Amour – qui présente les plus grands films pornos de l’heure.
Juste cette semaine, on y propose les classiques Dirty Little Schoolgirl Stories, Naughty Cheerleaders Club 3, sans oublier le subtil Slut Puppies 6 – part 2. J’avais vraiment aimé la première partie, en plus. Presque autant que Dune 2.
Tout ça pour dire que j’étais à une verge (hihi) de qualifier Sept-Îles de ville la plus plate de l’Amérique du Nord (surtout depuis la fermeture, l’an passé, de la Fer-Tek de Fermont, soit le dernier bar de danseuses de la Côte-Nord), lorsque, par pur hasard, je me suis enfin enfargé dans la luxure locale.
Ou était-ce le destin?
.jpg)
Je marchais donc vers la SQDC, où j’avais une commission à faire pour Patrick Senécal, qui m’a dit (ordonné) la veille : « Sérieux, prends-moi quelque chose avec un maximum de THC, je dois de toute urgence me droguer pour fuir la réalité! »
Moi, j’avais pas besoin de consommer. J’étais encore gelé de notre ride matinale de zodiac sur le fleuve avec le capitaine Gelineau, durant laquelle on a appris à la dure qu’il n’y avait que six îles à Sept-Îles*.
*Fake news.
Et c’est là, dans le parking de la société d’État, que j’ai aperçu le dernier vestige de la débauche septilienne, ultime trace de cette Babylone de la Côte-Nord. Et j’ai nommé : l’animalerie La Griffe Santé.
.jpg)
Le secret le mieux gardé de la région
Le commerce se trouve au rez-de-chaussée d’un petit mail, situé sous une clinique dentaire et à côté d’un Tim Hortons.
« Nourriture et accessoires pour chiens et chats », clame la marquise.
« Accessoires pour chiens et chats, yeah right! », me suis-je alors écrié, un sourcil suspicieux relevé comme sur la photo de profil d’un journaliste d’enquête.
Mon instinct animal (qui était décidément de circonstance) ne m’a pas trompé. En posant le pied à l’intérieur, j’aperçois au fond du magasin un néon rouge devant un rideau de la même couleur, sur lequel clignote le mot « Adultes ».
.jpg)
Car oui, mesdames et messieurs de là-bas et d’ailleurs, si vous l’ignorez, vous allez enfin le savoir. Au fond de l’animalerie se cache le seul et unique sex shop de la région, soit la boutique EssenCiel (c’est un jeu de mots avec « Ciel »).
Fa’que Sept-Îles, septième ciel, sept péchés : si ça continue, je vais aller brûler ma prochaine paye dans les loteries vidéo du bar Le Quilleur.
D’un pas décidé, j’ai donc foncé vers le plus discret sex shop de la région pour l’explorer.
Chemin faisant, je m’enfarge dans Yannick, le propriétaire de l’animalerie ET de la boutique érotique, qui a l’air de me trouver aussi louche qu’un curé dans une cour d’école.
-Ben, je viens pour documenter la luxure locale et paraît que votre sex shop en est la dernière trace. Je participe à la soirée de littérature grivoise? Salon du Livre? Auteur à l’honneur…
Le proprio s’est d’abord braqué un peu, avant d’accepter de répondre à quelques questions, en échange de l’anonymat de sa clientèle.
Pas de farces, là.
Heureusement, l’argument « je connais fuck all à Sept-Îles » l’a rassuré.
N’empêche que c’est plutôt rigolo et révélateur, cette espèce d’omertà entourant l’existence de cette boutique de cul. « On ne veut pas de malaise. Tout le monde se connaît ici », m’explique le proprio, qui dit même utiliser des sacs en plastique anonymes pour rassurer sa clientèle en camouflant leurs achats.
.jpg)
Les clientèles de la boutique et de l’animalerie sont distinctes, ajoute-t-il. C’est donc rare que des gens entrent se procurer un grattoir pour chats et en ressortent avec un strap-on, mais tout est possible, bien entendu.
Quant à son produit vedette, c’est sans conteste les nombreux vibrateurs de la marque Womanizer, souligne sans détour le proprio, qui ajoute avoir de tout, même si c’est somme toute une petite boutique.
Il n’y a toutefois rien comme aller se faire sa propre impression.
Derrière le rideau rouge
Je quitte le proprio inquiet de me voir lever le voile sur le secret le mieux gardé de la région. Je soulève le rideau et me retrouve au milieu d’une mini pièce remplie d’artéfacts dédiés à la grivoiserie sous toutes ses formes. Si l’endroit rappelle vaguement la section XXX des défunts clubs vidéo, c’est parce qu’avant l’animalerie, le commerce abritait justement le club vidéo régional.
.jpg)
On tombe d’emblée sur la section DVD, contenant les succès I Love Small Tits, Eighteen and Ready to Fuck, sans oublier l’exotique Once You Go Black, You Never Go Back 5.
Par contre, je dois m’avouer déçu par l’absence de titres francophones.
Me semble que tant qu’à être dans le coin, on aurait pu faire une place pour le porno culte Feux de forêt et raie de feu, mettant en vedette de faux pompiers volontaires de la SOPFEU sur la sauce.
.jpg)
Contre le mur voisin, on retrouve des rayons d’objets BDSM pour organiser un grandeur nature à thématique Fifty Shades of Grey. Menottes, corde de bondage, latex, suits de dominatrice. Excité comme Guillaume Lemay-Thivierge en forêt, j’ai pas pu me retenir d’acheter un fouet en spécial.
J’ai aussi acheté le film MILF Thing 7, avant de me rendre compte que mon dernier lecteur DVD remonte à l’époque où Guy Carbonneau était encore coach des Canadiens et non de votre aréna.
.jpg)
Au pire, je le donnerai à Patrick Senécal, qui m’avait confié, le matin même : « Lisa Ann, c’est vraiment mon actrice préférée. J’ai vu tous ses films, plusieurs fois! »
Moi, j’avais jamais entendu ce nom-là, puisque je n’écoute que des films de répertoire, hongrois de préférence.
Sinon, on retrouve à l’EssenCiel des huiles aphrodisiaques, des bouches et vulves en silicone pour faire comme si, des condoms, des boules chinoises et toute une gamme de dildos, dont le plus terrifiant est certes le Dark Rider de 15 pouces à 123,99$.
.jpg)
Pour les formats plus chétifs, difficile de rester de marbre (littéralement) devant cette impressionnante variété de pompes à pénis, même si, comme tout le monde sait, ce n’est pas la grosseur qui compte, mais bien l’utilisation stratégique de la trame sonore du Fabuleux destin d’Amélie Poulain pour émoustiller l’être aimé.
Ah, et pour les amateurs de jeux de société (regarder Patrick), enfin un substitut à Battleship et Scattergories grâce à une roulette sexu inspirée du Kama Sutra et un jeu de dés avec des positions sexuelles. Bizarre, quand même, puisqu’un dé possède six faces, et que tout le monde sait qu’il n’existe que deux positions sexuelles.
Enfin, c’est un jeu pour experts, sans doute.
Je suis sorti de la boutique pour aller payer mes achats. Sentiment étrange, de faire la queue avec un fouet et un film de cul à côté d’une madame venue acheter un sac de litière et de la bouffe pour chiens Royal Canin.
.jpg)
Malgré tout, je suis sorti de là fort satisfait par ma quête.
Je conclurais même cette aventure avec cette morale : s’il ne faut pas juger un livre par sa couverture, il ne faut pas non plus juger la clientèle de La Griffe Santé par l’achat d’une nouvelle laisse ou d’accessoires pour minou.