Je n’ai jamais vu les Cowboys Fringants en spectacle.
C’est pas un choix personnel ou une déclaration de valeurs. Je n’ai jamais été le grincheux de la gang qui refusait d’aller chanter avec 90 000 âmes pompettes sur les plaines d’Abraham. C’est juste jamais arrivé.
Douze jours après le tragique décès de leur chanteur, Karl Tremblay, le groupe tenait une cérémonie pour lui rendre hommage au Centre Bell, l’aréna mythique des Canadiens de Montréal qu’ils ont rempli pas moins de neuf fois pendant leur carrière. Un dernier au revoir à la hauteur de sa présence charismatique et rassembleuse s’imposait.
Il l’a eu. Sous un vent glacial de novembre, 14 000 fidèles se sont rassemblés pour une grand-messe organisée à la bonne franquette pour faire vibrer une dernière fois les murs du Centre Bell. C’était une soirée d’adieu, une soirée de fête, mais d’abord et avant tout, c’était une immense vague d’amour pour un grand artiste parti trop tôt.
Au milieu des pèlerins
« Imagine combien de personnes ici, ce soir, n’ont jamais eu les moyens de se payer un spectacle au Centre Bell de leur vie, » me lance ma conjointe Josiane en arrivant au Centre Bell. Nous-mêmes sommes au parterre de l’amphithéâtre pour la première fois de notre vie. « C’est merveilleux qu’ils aient pu rendre ça possible. »
Un monsieur vêtu d’un manteau de ski-doo datant du siècle dernier nous regarde du coin de l’œil en sirotant sa bière. Il disparaît dans la foule aussitôt que je lui souris. Il s’est peut-être senti visé.
Devant nous, deux ados péquistes (vraisemblablement frères) portent fièrement le drapeau du Québec sur leurs épaules. Un peu plus loin, une gang de gars portent la chemise et la cravate, comme s’ils assistaient à un enterrement. « Le gouvernement trouve les profs plus niaiseux que les policiers, peux-tu croire ça, » s’exclame un homme aux allures de prof de Cégep qui porte un veston par-dessus un t-shirt.
Avant même l’heure annoncée, on est plongés dans le noir et des images du premier Centre Bell des Cowboys se mettent à défiler sur l’écran géant et la foule les acceuillent comme si le groupe lui-même venait de monter sur scène, en chaire et en os. Karl ouvre les bras, on applaudit. Les premier accords de Joyeux Calvaire! se mettent à résonner dans l’enceinte, on entonne la chanson comme s’ils l’interprétaient devant nous.
C’est un drôle de feeling. Dans l’urgence du moment, la réalité du décès de Karl Tremblay s’estompe, le temps de quelques chansons, même si son urne est à la vue de tous sur la scène. Si on l’entend, si on peut chanter avec lui, c’est parce qu’il est encore un peu là, avec nous.
Je vous épargne le play-by-play de la cérémonie, vous pourrez le lire partout ailleurs. Petit coup de cœur pour la comédienne de Pub Royal Alexa Gourd venue interpréter la chanson titre du spectacle sur scène. La jeune femme ne devait pas s’attendre à chanter un deep cut des Cowboys en choeur avec 14 000 personnes, ce soir. Un autre beau moment que ce soir aura rendu possible.
Le discours de Jean-François Pauzé m’a noué la gorge deux-trois fois, lui aussi. Le parolier du groupe a fait honneur à son interprète. On sentait le poids et l’historique de leur amitié derrière ses mots.
Le dernier party
La cérémonie hommage a duré environ une heure. La deuxième moitié de la soirée était meublée par une projection du film L’Amérique Pleure dont j’ignorais sincèrement l’existence jusqu’à aujourd’hui. Il s’agit d’une série de prestation des Cowboys Fringants un peu partout au Québec, dans des décors naturels.
À chaque changements de scène ou presque, j’entend quelqu’un dans la foule crier: « eille, check. C’est chez nous! »
C’est à ce moment que je comprends que des spectateurs ont fait un sacré bout de chemin pour venir ici, certaines scènes pointées du doigt ayant été tournées en Gaspésie. En même temps, ça ne me surprend pas vraiment. Une vague d’amour, ça transporte le monde.
Honnêtement, j’étais pas sûr du projet lorsque j’ai entendu le maître de cérémonie Émile Proulx-Cloutier expliquer que le film durait 80 minutes. Mais quand les gens se sont tous mis à chanter en chœur, j’ai rapidement changé d’avis.. C’était le dernier show des Cowboys. Une dernière occasion de chanter leurs chansons à tue-tête, ensemble.
Un grand moment d’émotion à l’image du groupe. Un moment à l’abri du jugement et du regard des autres, où personne ne trouve que vous avez l’air con à faire ce que vous faites, parce que tout le monde fait la même affaire. Tout le monde aime de la même façon. Mes deux petits ados péquistes qui me bloquent à moitié la vue passent la moitié de la soirée à essuyer leurs larmes et à prendre leurs parents (ou l’un et l’autre) dans leurs bras.
Deux moments mémorables: l’explosion de joie et de décibels pendant l’interprétation de Marine marchande et la pluie d’avions en papier pendant Les étoiles filantes. Des fois, ça chantait tellement fort qu’on entendait même plus Karl. Sa voix devenait la voix de tous.
Karl n’est peut-être plus là pour diriger la foule et en extraire l’énergie, mais sa magie plane encore dans le Centre Bell, ce soir. Il y a même des braves qui se gèlent le cul dehors, pour regarder la cérémonie sur écran géant afin de pouvoir faire leurs adieux au grand Karl. Ça se ressent, ça.
Je n’aurai jamais eu la chance de voir Karl Tremblay performer devant une foule de son vivant, mais j’ai finalement pu voir les Cowboys Fringants en spectacle et c’était inoubliable.

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