Logo

Le côté sombre du parasol pour les entrepreneurs en tourisme en Amérique centrale

Ils en ont leur voyage (dans le Sud) de la pandémie.

Par
François Breton-Champigny
Publicité

« Au pays des touristatas ». C’est le titre d’un article du Journal de Montréal, où la journaliste s’est infiltrée dans un resort de Playa del Carmen pour constater à quel point des Québécois en chest se foutaient éperdument des mesures sanitaires armés de leur mojito et de leur « fuck you Legault! » en pleine deuxième vague de COVID l’hiver dernier.

Le terme a depuis beaucoup circulé et a collé à la peau de ces résidents de la province qui se sont envolés vers le Sud alors que la très grande majorité d’entre nous ne pouvaient même pas aller dire un coucou à nos familles à Noël. Depuis, certains ont avoué regretter leur geste après une expérience loin d’être idyllique.

On a beaucoup entendu parler de ces fautifs en gougounes, mais ce n’est pas la seule réalité du tourisme en zone chaude.

Publicité

Les Québécois.e.s qui gagnent leur vie à l’étranger en travaillant dans l’industrie du tourisme et de l’hôtellerie sont un peu passés sous le radar, et se sont bien souvent ramassés du jour au lendemain sans visiteur.

On s’est entretenu avec Jérôme Duché, copropriétaire de Casa Swell Coronado au Panama, et Marc Bonds, copropriétaire de Cafe con Leche au Nicaragua, pour savoir comment ça se passe sans beaucoup de touristes sous les cocotiers.

Un rêve qui a (presque) viré au cauchemar

Se partir un gîte touristique était un rêve que Jérôme chérissait depuis plusieurs années avant de faire le move officiellement vers la fin de 2019. « Ma conjointe Eva et moi avons visité plusieurs pays d’Amérique centrale comme le Nicaragua, le Costa Rica et la Colombie puis nous avons eu l’opportunité de gérer un bed and breakfast pendant 6 mois à Playa Coronado au Panama. On a eu l’occasion de visiter le pays au complet pendant notre expérience et on a vu une possibilité de développer notre propre projet à cet endroit », raconte Jérôme Duché.

Publicité

C’est donc armé de courage et de détermination que Jérôme et Eva ont déménagé de leur premier pays d’adoption qui était le Canada (lui est d’origine française et elle argentine) pour s’établir à leur deuxième terre d’accueil située dans les tropiques.

Même si la tâche s’avérait monumentale, le couple demeurait tout de même optimiste. « Ça faisait dix ans que je planifiais chaque étape donc je savais à quoi m’attendre en termes de challenges, explique Jérôme, un designer graphique de formation. Mais une pandémie mondiale n’en était pas un ».

«Ça faisait dix ans que je planifiais chaque étape donc je savais à quoi m’attendre en termes de challenges. Mais une pandémie mondiale n’en était pas un»

Avec les clés de leur propriété en main, Jérôme et Eva ont lancé les travaux de construction et d’aménagement le 19 décembre 2019, quelques mois à peine avant la fin du monde. « Le chantier s’est arrêté du jour au lendemain. On s’est retrouvé devant une montagne de travail sans ouvriers pour nous aider », confie le Français de 45 ans.

La piscine prétravaux
La piscine prétravaux
Publicité

Le couple n’a eu d’autre choix que de s’improviser entrepreneurs généraux avec les matériaux laissés à leur disposition pendant des semaines. « On a réussi à faire 2-3 dalles de béton sous une chaleur de 40 degrés avec un soleil de plomb. J’ai perdu près de 10 kilos pendant cette période et je viens à peine de les retrouver », affirme Jérôme.

«On a réussi à faire 2-3 dalles de béton sous une chaleur de 40 degrés avec un soleil de plomb. J’ai perdu près de 10 kilos pendant cette période»

À tout ça se sont ajoutées des mesures sanitaires sévères pendant des mois, dans les « plus dures au monde », selon Jérôme. « Malgré tout, on continuait de travailler sans relâche 7 jours sur 7 de 6 à 6 pour ne pas retarder encore plus l’ouverture ». Le couple a donc fait preuve d’imagination et a adopté une tactique de « recyclage » pour récupérer les matériaux. « Nous devions couper deux pins qui allaient détruire la piscine et on s’est servi du bois pour faire les comptoirs du bar, les balançoires, les tables à café, les lits extérieurs et même le luminaire principal », énumère Jérôme.

Publicité

Tels des superhéros de Marvel pendant une invasion extraterrestre, des ouvriers sont venus prêter main-forte au couple au mois de juin dernier. Mais en raison d’une pénurie de matériaux et d’une hausse de prix, gracieuseté de la pandémie, le budget du couple a pris un coup et ils ont dû dire au revoir à leurs ouvriers au mois d’octobre suivant. « On commençait à se demander si en plus d’ouvrir un hôtel vide, on allait pouvoir rester à flot et finir le projet… », confie l’entrepreneur, qui dit s’être senti « très loin du Québec et de ses amis » par moment.

«On commençait à se demander si en plus d’ouvrir un hôtel vide, on allait pouvoir rester à flot et finir le projet…»

Après moult rebondissements, Jérôme et Eva ont officiellement lancé leur boutique-hôtel Casa Swell Coronado le 12 décembre 2020, un an jour pour jour après avoir reçu les clés de leur propriété. « Seulement 6 mois de retard! On ne trouvait pas si mal! » avoue Jérôme.

La piscine du Casa Swell Coronado aujourd’hui. Vous aussi vous pleurez? C’est normal.
La piscine du Casa Swell Coronado aujourd’hui. Vous aussi vous pleurez? C’est normal.
Publicité

Comme un malheur n’en attend pas un autre, le couple n’était pas au bout de ses peines. « La journée même qu’on a lancé notre système de réservation en ligne, le gouvernement du Panama décrétait un nouveau confinement et interdisait les Panaméens de voyager d’une province à l’autre. Le temps des fêtes s’annonçait assez déprimant merci… »

Tel un cadeau de Noël à l’avance, le couple a finalement reçu ses premiers clients. « Les touristes internationaux avaient le droit de voyager au pays avec une attestation d’une réservation d’hôtel. Deux Françaises sont venues explorer le Panama pour potentiellement s’y expatrier après la pandémie et un restaurateur de Lyon est venu pendant 2 semaines. Ça nous a fait du bien de voir que tous nos efforts portaient fruit! », confie l’entrepreneur.

Publicité

Les Panaméens ont tranquillement pu sortir de leur province, ce qui a également été bénéfique pour le couple qui a commencé à vendre des « packages » de trois nuits. « Certains clients réservaient même déjà un deuxième séjour en partant de l’hôtel. Ça nous a montré que notre “produit” fonctionnait ».

Ne pas tout jeter les hôtels dans le même panier (d’osier)

Depuis les derniers mois, Jérôme affirme avoir accueilli plusieurs touristes d’Europe, des États-Unis et même du Canada. Mais aucun Québécois. « J’ai parti un groupe privé sur Facebook pour les expats au Panama et je dirais qu’il y a environ 150 personnes du Québec qui m’ont écrit pour venir ici, mais elles ne peuvent pas avec les mesures sanitaires en place. C’est très frustrant pour nous de constater ça, surtout après les débuts difficiles que l’on a connus », avoue le copropriétaire de Casa Swell Coronado.

«je dirais qu’il y a environ 150 personnes du Québec qui m’ont écrit pour venir ici, mais elles ne peuvent pas avec les mesures sanitaires en place»

Publicité

Même s’il comprend que les circonstances exceptionnelles dans lesquelles la planète est plongée depuis plus d’un an nécessitent des mesures extraordinaires comme le contrôle des frontières, Jérôme révèle ne pas avoir compris tout cet « acharnement » sur les touristes québécois pendant les fêtes. « Je trouve ça intense. On a pris des cas extrêmes dans de gros resorts et ça a stigmatisé toute l’industrie du tourisme dans le Sud. Ici, nous avons seulement 4 chambres pouvant contenir 12 personnes maximum, on ne tolère aucun party sur le bord de la piscine et il n’y a aucun problème pour la distanciation. On peut très bien voyager intelligemment et respecter les règles », croit-il.

«les clients doivent passer par deux ou trois tests PCR pour prouver qu’ils n’ont pas la COVID. Comment est-ce qu’on peut dire que c’est de la négligence de voyager dans ce cas-là?»

Publicité

Marc Bonds du complexe hôtelier Cafe con Leche à Popoyo au Nicaragua abonde dans le même sens. « C’est fâchant de voir ça. Nous, on le sait que pour arriver jusqu’ici et pour retourner chez eux, les clients doivent passer par deux ou trois tests PCR pour prouver qu’ils n’ont pas la COVID. Comment est-ce qu’on peut dire que c’est de la négligence de voyager dans ce cas-là? Selon moi, ce n’est pas être plus “négligeant” que de prendre le métro ou le bus avec plein de monde, lance l’entrepreneur qui souhaite cependant apporter une nuance. Je ne parle pas de laisser aller de gros pool partys avec plein d’inconnus sans distanciation dans un resort. Je parle de pointer du doigt le touriste moyen qui souhaite seulement s’évader au chaud pour changer d’air ou travailler à distance tout en respectant les règles ».

Publicité

Tout comme Jérôme et Eva, l’entreprise de Marc et son frère Manuel en a mangé une claque depuis le mois de mars 2020. « On était sur une super belle lancée depuis un an puis du jour au lendemain, on est tombé de booké à 100% à plus rien. Ça a duré des mois », confie Marc.

«On était sur une super belle lancée depuis un an puis du jour au lendemain, on est tombé de booké à 100% à plus rien. Ça a duré des mois»

L’entrepreneur a occupé son temps en faisant de la maintenance et en réglant des dossiers qu’il n’avait jamais pris le temps de faire. En septembre, alors que les mesures sanitaires étaient un peu plus clémentes, une nouvelle forme de clientèle s’est installée au Cafe con Leche. « Beaucoup de nos clients sont venus pour rester longtemps et faire du télétravail. Ça a un peu changé le concept de notre place, mais on est bien content de pouvoir compter là-dessus en ce moment » explique l’entrepreneur, qui avoue toutefois avoir connu une année financière « très difficile ».

Publicité

Voir la lumière au bout du palmier

Une chose est sûre, les deux entrepreneurs s’entendent pour dire qu’ils ont bien hâte de revoir leurs établissements occupés par des touristes. Malheureusement, ça peut prendre encore un bout de temps avant que ça arrive, selon Marc Bonds. « C’est certain qu’il va y avoir une période de réadaptation qui se chiffre en mois ou en années. Mais on va être là quand ça va reprendre comme il faut! », assure-t-il.

Publicité

De son côté, Jérôme Duché aimerait bien que cette expérience donne envie aux touristes de fréquenter de plus petits établissements comme le sien au lieu des « gros bateaux de croisière » comme les resorts tout inclus. « J’espère que les gens vont avoir envie de découvrir la planète d’une autre manière et qu’ils passeront par des endroits comme ici ».

«J’espère que les gens vont avoir envie de découvrir la planète d’une autre manière et qu’ils passeront par des endroits comme ici»

Au moment de faire l’entrevue par téléphone, le Panama avait rouvert les bars et les restaurants, le gouvernement imposait un couvre-feu de minuit à 4 heures du matin et le nombre de cas n’arrêtait pas de chuter, selon Jérôme. « Si ça continue comme ça, ça va bien aller! », lance l’optimiste entrepreneur au bout du fil avec le chant des oiseaux comme trame de fond. Avec tout ça, est-ce qu’il regrette son move? « Pas du tout. J’aimerais même que mon histoire influence les gens à réaliser leurs rêves et à partir leur propre projet. Mais attention: si vous le faites, prenez votre temps, soyez bien préparés et armez-vous de courage! »

Publicité

Pendant ce temps, le printemps a décidé de prendre congé au Québec et une neige tardive tombe sur une bonne partie de la province. Feliz Navidad…