.jpg)
Le temps est gris, humide et les trottoirs du centre-ville sont tranquilles. Si je n’avais pas peur des figures de style boiteuses, j’élaborerais ici sur cette impression « de calme avant la tempête ».
On me le pardonnera peut-être, puisque dans deux heures à peine, le premier ministre François Legault expliquera à la population en quoi consistera concrètement le passage à la zone rouge pour Montréal et Québec, soit le palier d’« alerte maximale».
« Des décisions difficiles» sont à prévoir, affirmait la veille le ministre de la Santé et des Services sociaux Christian Dubé, lors de son passage à Tout le monde en parle.
On peut s’attendre à revivre les fermetures de bars, restaurants, gyms, salons de coiffure, en plus de limiter les rassemblements privés aux gens vivant à la même adresse. Bref, octobre s’annonce comme un remake de mars, sans le côté arc-en-ciel.
Une balade en ville s’imposait pour tâter le moral ambiant avant le point de presse de Legault. Constat: les gens semblent résignés et dépriment à l’idée de rejouer dans un film qu’ils connaissent déjà.
À commencer par ma boss Raphaëlle, qui n’a pas l’air très emballée à l’idée de retourner à la case départ. « Ça te tente-toi? », me lance-t-elle passive-agressivement, de loin, ajoutant se remettre encore difficilement du confinement de mars dernier. « La première fois, c’était nouveau, les gens étaient résilients. Cette fois, ça serait fucking déprimant », analyse Raphaëlle.
«Je travaille sept jours sur sept, je n’ai pas été ben ben chez nous depuis la COVID.», explique le jeune homme.
En sortant du bureau (situé depuis quelques semaines dans Griffintown), je croise un ouvrier ( ce qui n’a rien de spécial étant donné que Montréal est un chantier de construction à ciel ouvert). « Pour nous ça ne devrait rien changer. On a fermé six semaines la première fois, mais on a jamais vraiment arrêté depuis la reprise », explique Ben, un ferrailleur originaire de Québec qui habite en pension à Montréal depuis trois ans. « Je travaille sept jours sur sept, je n’ai pas été ben ben chez nous depuis la COVID », explique le jeune homme.
À l’angle des rues Saint-Antoine et de la Cathédrale, un passant qui ne se mêle pas de ses affaires me sermonne parce que j’ai traversé à pied sur une lumière rouge.
-« C’est symbolique. C’est parce qu’on retombe en ZONE ROUGE! », me suis-je dit intérieurement, alors qu’en réalité, ma réaction devait plus ressembler à « Ah oui? Rouge?! Ben oui, j’avais pas vu ça, j’étais dans la lune.»
Sous le viaduc de la Place du Canada, quelques itinérants se partagent un joint et ne semblent pas se soucier de la couleur des zones.
Plus on approche du centre-ville et plus le vacarme des travaux devient assourdissant, forçant même un ouvrier à se boucher une oreille pour suivre sa conversation au téléphone.
.jpg)
«On a pas vu d’éclosion dans les gyms à date. J’espère juste qu’on ne va pas tous payer pour des endroits qui ne prennent pas les mesures au sérieux.»
« On est sur le gros nerf! », confie l’employé d’un gym de la place Montréal Trust, qui retient son souffle en attendant d’éventuelles consignes. « On a pas vu d’éclosion dans les gyms à date. J’espère juste qu’on ne va pas tous payer pour des endroits qui ne prennent pas les mesures au sérieux », explique le jeune homme, qui a entendu dire que des policiers pourraient faire des descentes dans les gyms pour veiller au respect des règles sanitaires.
Dehors, plusieurs passants portent le masque sur les trottoirs. Plus que d’habitude même, j’ai l’impression. Une vision d’un futur proche? Une des nouvelles « décisions difficiles»? À suivre.
À l’angle McGill et Sainte-Catherine, les travaux d’envergure sont toujours en cours. Bizarrement, contempler au loin le majestueux Mont-Royal aux feuilles multicolores à travers les grues et pépines me rappelle 2020.
N’essayez pas de comprendre, je suis un artiste.
.jpg)
Un peu plus loin, la gérante d’un magasin spécialisé en accessoires de fête ne semble pas s’en faire outre mesure avec la zone rouge. « Les commandes en ligne vont bien et les gens vont quand même continuer à faire la fête », croit Mailie, qui ne pense pas que le « 28 jours sans contacts sociaux » n’empêchera les gens de se procurer ballounes et autres assiettes en carton à effigie de licornes.
Au restaurant Sésame du quartier des spectacles, la zone rouge constitue une tuile de plus dans la succession de malheurs qui minent l’industrie de la restauration. « On attend de voir, mais c’est sûr que si on retourne en confinement, ça sera une catastrophe », résume la gérante, dont les activités tournent déjà au minimum avec la construction et le quartier des spectacles qui est plongé dans le coma. « On observe déjà une baisse depuis une semaine. Je pense que les gens ont peur », soupire-t-elle.
«Les nouvelles mesures se feront de manière plus ciblée, les gens doivent faire attention.»
Sur la portion piétonnière de la rue Sainte-Catherine, Francine déambule tranquillement, un sourire estampé au visage. Sa zénitude contraste avec le mood ambiant, le mien notamment. « Les nouvelles mesures se feront de manière plus ciblée, les gens doivent faire attention », croit cette ancienne enseignante, qui a fait l’école à ses petites-filles via Zoom lors du premier confinement.
Le calme de Francine me réconforte comme un trio Big Mac un lendemain de veille. Je lui demande si on peut se parler une fois par jour. Elle refuse.
Je vais devoir me contenter de ma maman, une anxieuse finie qui pensait que la planète allait exploser avec le bogue de l’an 2000.
.jpg)
Calée dans une chaise rose à l’ombre de la Place des Arts, Sonia est plongée dans la lecture du bestseller Le Why café de John P. Strelecky. « Pour fuir le stress et la pression au travail et dans la vie quotidienne, John prend la route pour quelques jours de vacances », me lit la Montréalaise, afin de m’expliquer en quoi consiste son livre.
«J’ai passé le premier confinement au Lac St-Jean avec ma mère de 83 ans, c’est pour elle que je m’inquiète. Je ne pense pas que le confinement soit la solution», explique Sonia
Un livre de circonstance, presque un fantasme pour les habitants de la métropole qui risquent d’être coincés dans le 514 si on restreint à nouveau les déplacements interrégionaux. « J’ai passé le premier confinement au Lac St-Jean avec ma mère de 83 ans, c’est pour elle que je m’inquiète. Je ne pense pas que le confinement soit la solution », explique Sonia, qui se désole aussi des effets de la pandémie sur les jeunes. « J’ai un fils de 26 ans et je trouve ça triste pour lui, on leur en demande beaucoup », croit Sonia, qui souhaite qu’on maintienne un minimum d’activités pour la nouvelle génération et les personnes âgées, question de leur permettre de briser la solitude.
« Avoir su, j’aurais accouché deux semaines avant », lance à la blague Alexandra, une passante enceinte jusqu’aux oreilles croisée un peu plus loin. « Ça me stresse c’est sûr, il y a une zone grise par rapport à l’accouchement et aux nouvelles mesures qui risquent d’être mises en place », explique la future maman d’une petite fille, qui devrait voir le jour à la mi-octobre.
.jpg)
À la boutique Erotika près du boulevard Saint-Laurent, la co-propriétaire Isabelle redoute les dommages collatéraux du passage en zone rouge. « C’est sûr que l’achalandage dans les magasins va chuter si les bars et restaurants ferment. On le voit déjà avec la construction et l ’absence de spectacles », explique Isabelle, optimiste malgré tout. « Je pense que les choses vont revenir comme avant, mais je ne sais pas dans combien de temps », philosophe celle qui dit avoir observé une hausse de la vente de lubrifiant après le premier confinement.
Tirez ici vos propres conclusions, il n’y a pas de mauvaise réponse.
.jpg)
À la cathédrale Christ Church, John s’assure que je me désinfecte les mains en pénétrant dans l’Église anglicane. « Comme tu vois, on fait très attention. Si tout le monde était aussi prudent que l’église, le virus n’existerait pas », assure l’homme, qui passe sous silence les quelques millions de morts causés par les religions depuis 2020 ans. « On a seulement droit de réunir 25 fidèles en même temps, mais on a une soixantaine de personnes qui suivent les messes sur Zoom », calcule John, qui s’attend à un retour à la normale dans quelques années. « C’est pas surprenant, les gens ne prennent pas les précautions au sérieux », laisse-t-il tomber.
Mon pèlerinage s’achève sur ce sombre pronostic.
On s’habitue certes à tout, mais la perspective de vivre encore plusieurs années dans un climat de morosité pandémique m’abat au plus haut point.
Si bien que le banal « Bonjour, pas de symptômes? » de l’employé à l’entrée du supermarché Métro près de la job me rend spontanément très maussade. Ça va bien aller? Bof.