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Le blues du chef d’orchestre

Le nouveau projet de Stéphane Lafleur célèbre la solitude existentielle des deuils ordinaires.

Par
Benoît Lelièvre
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Lorsqu’on est en peine d’amour, tout le monde s’en crisse un peu.

Votre cercle social est peut-être extraordinaire, empathique, dévoué et de bon conseil, mais tout chagrin amoureux a une date d’expiration dans l’œil de ceux et celles qui ne le vivent pas. C’est comme être victime d’un incendie. Tout le monde le sait, tout le monde le voit, mais personne n’en subit les conséquences à part vous. En fait, la seule conséquence pour vos proches, c’est votre baboune.

Ce deuil amoureux à la fois ordinaire et douloureux est au centre de la nouvelle websérie Chef d’orchestre, signée Stéphane Lafleur et Joseph Marchand.

On y raconte l’histoire de Joseph (joué par le co-créateur de la série), directeur musical québécois qui traverse une rupture difficile et qui rêve de lancer un album après avoir passé deux décennies à jouer de la musique pour les autres.

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C’est à la fois drôle, douloureux et éclairant, un mélange de tons rares, mais que les habitués de l’œuvre de Stéphane Lafleur reconnaîtront dès les premières minutes. Vous qui vivez présentement avec le cœur brisé à l’âge adulte vous y reconnaîtrez aussi.

Vivre ses émotions, c’est jamais beau

Au moment où on rencontre le Joseph fictif, il est au milieu de nulle part.

Assis sur un divan de studio aux côtés de son producteur et meilleur ami Dom (Guillaume Cyr), il ressasse un chagrin que personne ne veut entendre en écoutant une chanson qui n’intéresse personne écrite par engagement professionnel plutôt que par passion.

Ce qui se passe dans Chef d’orchestre, c’est à la fois sublime et très ordinaire. C’est l’histoire d’un homme qui s’accroche à la vie contre vents et marées. Malgré le poids de ses propres échecs et des rêves qu’il n’a jamais su assumer. Accompagné par son agente, elle aussi à la dérive, Ariane (Julianne Côté), Joseph essaie de transformer cet échec en renaissance professionnelle.

Le ton de Chef d’orchestre ne plaira pas à tout le monde.

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Joseph est monocorde, insécure et pathologiquement mou face à l’adversité, mais le charme de la série émane de la fermeture de son cercle social face à son chagrin et au refus obstiné de ce dernier d’abandonner les gens qui lui reste.. Un peu comme un manifestant qui s’enchaîne à un arbre pour forcer le destin: on comprend son zèle même s’il est un peu gossant.

Le meilleur gag de la série tourne d’ailleurs autour d’une hypothétique tournée avec Pierre Lapointe mise en péril parce que Joseph lui a emprunté son four à raclette et perdu un des petits poêlons. L’auteur-compositeur-interprète y joue une caricature cauchemardesque de son personnage public: froid, arrogant et incapable d’entendre d’autre chose que ses propres compositions. Joseph et Ariane s’accrochent néanmoins à leur relation avec lui, symbolique d’un avenir meilleur pour eux.

L’odyssée de Joseph à travers sa peine n’est pas conventionnellement belle, mais on s’y identifie et elle inspire à s’accrocher malgré les moments difficiles.

Crédit : Radio-Canada
Crédit : Radio-Canada
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Souffrir pour rester en vie

L’autre grand enjeu de Chef d’orchestre, c’est la composition de l’album de Joseph. Au départ paralysé créativement par sa rupture, on observe Joseph timidement retrouver la muse au fil des épisodes sans jamais mettre son travail à l’avant-plan. Les moments de composition sont discrètement mis es en scène en fin d’épisode, souvent en trame de fond du générique. Ces scènes ont un je-ne-sais-quoi de doux et de paisible.

Le grand Leonard Cohen disait « la poésie est la preuve d’une vie bien vécue. Si ta vie brûle bien, la poésie n’en est que la cendre. »

C’est ça que Joseph fait pendant les six épisodes de Chef d’orchestre. Il arrête de survivre et se remet à vivre sa vie et à poursuivre ses rêves. Plus il affronte son chagrin, ses échecs et ses imperfections, plus Joseph se remet à graviter vers sa guitare. Aucune idée si Stéphane Lafleur et Joseph Marchand connaissent la citation de Cohen, mais il semblerait qu’ils en comprennent instinctivement l’essentiel. Joseph se remet à brûler après des mois d’économies de bouts de chandelles.

Joseph Marchand incarne cette souffrance avec une moue juste assez molle et piteuse pour ne pas la rendre mélodramatique à l’écran.

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Il a une mine de chien battu, mais qui pourrait recommencer à aimer s’il tombait sur la bonne famille. Le personnage de Julianne Côté fait office de capitaine de navire qui oriente Joseph dans la tourmente, vers l’accomplissement de ses désirs les plus chers malgré ses insécurités dévorantes.

Les six épisodes de Chef d’orchestre sont maintenant disponibles sur Ici Tou.tv. À raison d’une quinzaine de minutes par épisodes, ça s’écoute merveilleusement bien en une soirée, même à la Saint-Valentin que vous soyez en peine d’amour ou non. Vous en ressortirez soit inspirés à aller mieux, soit divertis.