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Le bel au revoir de Pub Royal
Entendons-nous sur quelque chose en partant : Pub Royal n’est pas juste un album. La nouvelle offrande des Cowboys Fringants nous arrive un peu plus de cinq mois après le décès de leur chanteur Karl Tremblay, un peu comme une lettre d’adieux à un Québec encore en deuil d’un groupe qui lui a insufflé vie et fierté pendant près de 25 ans.
Les attentes n’étaient pas les mêmes. On voulait entendre la voix de Karl une dernière fois, lui dire au revoir à la lumière du drame dont personne ne saisissait l’envergure avant l’annonce de sa mort. On savait qu’il était malade, mais on croyait tous que le fougueux interprète allait terrasser le cancer. On ne savait pas que les dés étaient joués.
Pub Royal n’est donc pas juste un album. C’est un au revoir écrit dans l’urgence, la bande sonore de la comédie musicale du même nom et le regard vers un futur incertain de Jean-François Pauzé et Marie-Annick Lépine. C’est beau, éclectique et parfaitement approprié, vu les circonstances. On ne pouvait pas demander mieux à une conjointe et un meilleur ami endeuillés ainsi qu’à un grand disparu.
La fin du show et le poids du passé
Parlons tout d’abord de la pierre d’assise de l’album, La fin du show. L’adieu officiel de Karl Tremblay à son public. Une ballade simple, comme le Québec les aime tant, mais chantée avec énergie et émotion. À l’image de l’homme.
« J’veux pas de pitié ni rien d’autre. Ma vie fut bien plus cool que la vôtre », raconte Karl avec la franchise qu’on lui connaissait.
Avec ses 7 minutes et 16 secondes, La fin du show est une immense chanson avec des cordes, un petit interlude progressif et une pincée de flûte traversière qui font écho à un homme qui s’accrochait à la vie. Les violoncelles, ça ne convient pas à toutes les situations, mais ça fonctionne dans les circonstances. Il n’y a pas de limites de grandeur au dernier moment d’un gars qui a fait vibrer la province.
« Qu’elle soit extra ou ordinaire, chaque vie finit de la même manière. C’est la seule justice sur la Terre, tous égaux dans le cimetière », et « Je sors par la porte d’en arrière pour que m’avale l’univers », conclut Karl avec sobriété face à son destin.
Marie-Annick nous offre une autre chanson sur le deuil intitulée Les cheveux blancs, qu’elle adresse à ses deux filles. L’instrumentation folk mélancolique avec de longues notes lancinantes qui s’étirent sur plusieurs secondes se prête merveilleusement à sa voix haute perchée. De nature plus intime que Le dernier show, la chanson berce quand même par sa douceur triste.
« Tu apprends à la dure que vieillir est une chance », y raconte Marie-Annick.
Mention spéciale aux interludes musicaux chargés de sens qui donnent le ton à l’album. Malgré le chagrin qui les traverse, on y sent quand même la flamme unique et festive des Cowboys Fringants, similaire à celle d’un saltimbanque qui s’ennuie de se donner en spectacle. Une autre touche un tantinet positive qui donne du caractère à Pub Royal.
Le Pub Royal de Pub Royal
Je l’avoue, je n’ai pas vu la comédie musicale de Jean-François Pauzé, alors je ne sais pas exactement quelles chansons ont été écrites pour. Les chœurs enthousiastes sur plusieurs d’entre elles m’ont donné une bonne idée, mais mis à part les deux poignants adieux de l’album, j’ai tenu pour acquis qu’elles étaient, de près ou de loin, potentiellement toutes liées à la production.
Karl chante sur six d’entre elles, dont notamment la déchirante Loulous vs Loulou en duo avec sa douce, où il interprète le critique intérieur de Loulou Lapierre qui incite cette dernière à abandonner la vie. « J’ai perdu ma vie à souffler sur les cendres de vaines espérances », chante Marie-Annick avec sobriété.
Les énergiques Bienvenue chez nous et (re)Bienvenue chez nous , pendant leurs éphémères minutes, nous présentent un Karl qui fait figure de tenancier de bar sympathique, mais un peu rapace, qui invite le peuple dans son établissement qu’il estime au-delà des divisions sociales.
Ça donne le goût d’aller voir le spectacle, question de se replonger dans cette époque bénie où on faisait le party sans avoir peur de la mort.
« Ici, les nouveaux curés n’auront personne à canceller », proclame Jean-François Pauzé avec sa plume mordante.
Ce dernier interprète aussi deux chansons sur l’album : Vie et mort de Gina Pinard et Merci ben!, en duo avec Marie-Annick. Fidèles à eux-mêmes, les Cowboys se sont faits extrêmement discrets sur ce que le futur leur réserve, et le chemin qui reste à parcourir aux deux amis sera inévitablement différent de celui déjà parcouru, mais j’écouterais ces deux-là chanter pendant plusieurs années encore. L’âme est blessée, mais elle est encore là. La vie n’est plus la même, mais elle est indéniable.
Pub Royal est disponible sur toutes les plateformes en ligne depuis minuit. Il y aura une version CD le 10 mai prochain et un vinyle au courant de l’été. C’est bon, d’avoir un dernier moment avec Karl. Écoutez La fin du show en boucle aujourd’hui, mais écoutez les autres chansons aussi. Écoutez les voix de Jean-François et de Marie-Annick qui s’élèvent dans le silence laissé par leur charismatique chanteur.
Ce sont les voix qui nous restent. Elles sont toutes aussi belles dans leurs différences.