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Laurent Duvernay-Tardif: Think big stie!

Portrait d'un homme qui n'a pas peur des défis.

Par
Émilie Dubreuil
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Laurent Duvernay-Tardif joue dans la NFL, a terminé ses études de médecine et utilise régulièrement le mot nonobstant. Être un athlète professionnel qui sauve des vies? Correct. Être un athlète professionnel qui sauve des vies, tout en ayant un magnifique vocabulaire? Digne d’un portrait.

TEXTE ÉMILIE DUBREUIL PHOTOS DOMINIQUE LAFOND

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Un soleil presque doux, beaucoup de neige, un froid clair et l’horizon tranquille. La beauté immense et immanente des Chic-Chocs. La Gaspésie puissante. Une journée d’hiver parfaite. Sur la pente abrupte, interminable, le souffle régulier et attentif d’une centaine de skieurs de fond habite le territoire. Ce moment de la Grande traversée de la Gaspésie s’est imprimé dans ma mémoire, telle une photographie. Au centre de l’image, deux personnages se détachent. D’abord, le défunt cinéaste Pierre Falardeau qui, comme chacun ne le sait pas, était un grand sportif et amateur de plein air. Et, derrière lui, un grand gaillard rieur. Il rit même en montant, un peu plus haut, un peu plus loin. Il est en balade, encourage tout le monde. C’est Laurent Duvernay-Tardif. Il avait 15 ans.

Falardeau, il serait fier de ce Québécois pour qui rien n’est impossible.

Quand je l’ai revu, il y a quelques semaines, vêtu de son sarrau de médecin, de son aura de joueur de la NFL, de ses 25 ans et de son sourire, j’ai tout de suite pensé à ça. J’ai pensé que Falardeau serait fier de voir ce que Laurent est devenu. Il serait fier de le voir gambader entre la médecine et la Ligue nationale de football américain, en riant. Devant cette ascension fulgurante et cette ambition – toujours plus haut, toujours plus loin –, je crois que Falardeau lui aurait dit en souriant : « Think big, stie. » Falardeau, il serait fier de ce Québécois pour qui rien n’est impossible. Car, même si les parents de Duvernay-Tardif sont boulangers, « né pour un p’tit pain » n’est pas une expression qu’il connaît. L’athlète de 326 livres n’a que 25 ans, mais on peut déjà parler du fabuleux destin de celui que les amateurs états-uniens de football appellent « Doctor ».

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Adolescent, il joue, en dilettante, pour les Pirates du Richelieu. Puis, dans l’équipe du collège André-Grasset. « Je suis un peu tout croche. J’ai fait une erreur dans mon agenda et j’ai oublié la date des entrevues pour entrer en médecine à Laval, Montréal et Sherbrooke. Donc, je suis allé à McGill. »

C’est le dixième joueur d’une université canadienne à accéder au temple des demi-dieux, mais en plus, le gars trouve le temps de finir son cours de médecine.

Léger détail : Laurent ne parlait pas anglais à l’époque. « J’ai arrêté le football pendant trois semaines pour étudier la langue. J’allais aux cours avec mon dictionnaire de poche. » L’équipe de football de McGill est plutôt médiocre. N’empêche, Docteur Tardif fait les camps de recrutement et il est repêché par les Chiefs de Kansas City. Il joue depuis l’an dernier devant des dizaines de milliers de personnes en délire, dans cette Amérique où le football est une religion. C’est le dixième joueur d’une université canadienne à accéder au temple des demi-dieux. En soi, c’est déjà pas mal fort, mais en plus, le gars trouve le temps de finir son cours de médecine.

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À la petite cafétéria de l’Hôpital général de Montréal, entre deux patients, il est visiblement fatigué. « Je n’ai pas beaucoup dormi cette nuit. En médecine, on ne dort pas beaucoup. Mes collègues du Kansas, en vacances après la saison, ont de la difficulté à comprendre pourquoi je me tape ça. Eux, ils ont pas mal atteint leurs rêves. Je suis assez atypique dans cet univers-là, mettons. »

« C’est un géant. C’est une bête et une fée à la fois. Un mélange de force brute et de délicatesse »

Le fruit et l’arbre
« C’est un géant. C’est une bête et une fée à la fois. Un mélange de force brute et de délicatesse », résume Claudine Roy, fondatrice de la Grande traversée de la Gaspésie et amie des parents de Laurent, François Tardif et Guylaine Duvernay. Elle les a connus au début des années 80, dans un périple un peu fou : 2 000 kilomètres de ski de fond à travers le Québec en 35 jours. Le fruit n’est donc pas tombé loin de l’arbre. Ses parents ne sont pas beiges, c’est le moins qu’on puisse dire. Et ils n’ont pas donné à Laurent et ses deux sœurs une enfance banale (la famille partira à deux reprises un an en voilier). Ils étaient propriétaires d’un vignoble à Saint-Rémi, où Laurent a développé son esprit d’entreprise.

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« À neuf ans, je faisais mon propre pesto que je vendais trois dollars le pot. Je me promenais dans les foires alimentaires avec mes parents. J’ai fait 3 000 $ avec ça. En secondaire un, j’ai acheté une centaine de poussins pour élever des poulets bio et les vendre. J’ai regardé des vidéos sur internet. Ça n’a pas été un super succès… Avec ma première blonde, j’ai eu une entreprise de traiteur. On faisait des soupes, de la tarte. J’ai inventé une recette de pain canneberge, chocolat et orange formidable qui se vendait super bien! »

Parce que c’était lui, parce que c’était moi
« Laurent et moi, nous vivons déjà un rêve, mais nous ne voulons pas nous arrêter là. Nous avons plein d’idées : ouvrir un bar à vin, lancer une fondation pour que les jeunes fassent du sport. » Quand maître Sasha Ghavami parle de ses projets avec son protégé, il a les yeux qui brillent. Petit, agile, le jeune avocat est l’agent improbable de Laurent Duvernay-Tardif. Le fait qu’il existe dans l’histoire confère à la trajectoire de son joueur un aspect sympathique, digne d’un scénario de film. Sasha est le meilleur ami de Laurent.

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Les deux gars se rencontrent au cégep. « Il n’avait absolument aucun potentiel pour jouer au football. Il est trop petit. Mais, il connaissait tout du jeu. Les statistiques, les stratégies, etc. Moi, j’avais du potentiel. Je suis grand et gros et athlétique, mais je n’y connaissais pas grand-chose. Il m’avait dit, un peu à la blague : “Si ça devient sérieux, je veux être ton agent.” Quand ce l’est devenu, Sasha était en Australie. Il est rentré. Il a fait ses certifications. J’ai de la misère à faire confiance dans la vie, et un agent, c’est tout : ton image publique, ton temps, ton argent. Alors, je suis hyper chanceux de l’avoir avec moi. On s’entend tellement bien. Ma vie passe par lui et ça roule », dit Laurent à propos de son René Angélil à lui. Quand je lui dis que j’ai fait une entrevue avec le jeune avocat, Laurent me déclare d’ailleurs tout de go, admiratif : « Sasha… il est parfait, hein? »

Laurent s’entraîne tous les jours, mange beaucoup et bien, fait les heures à l’hôpital. Bref, un agenda qui donne le tournis.

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Oui. Sasha, 24 ans, est parfait. Sympathique, intelligent, vaillant. Et Laurent, l’amateur de voile, a permis à Sasha de lancer son bateau et de naviguer dans cet univers dont il rêvait tout jeune. Il représente aujourd’hui 35 joueurs de la Ligue canadienne de football. « Avec Sasha, on dirait qu’il n’y a rien d’impossible. Il n’a pas peur de rien. Il n’a jamais fait ça, pourtant, il a l’air de savoir ce qu’il veut. Avec les commanditaires, il a toute une assurance. Il dit “on veut ça”, et ça marche! » Sasha ne fait pas que s’occuper de footballeurs, il a aussi une pratique en litige fiscal et commercial. « C’est comme si j’avais deux jobs à temps plein. Il faut être discipliné. Mais, ça vaut la peine. Laurent et moi, nous sommes extrêmement choyés par la vie. Il veut mon bonheur et je veux le sien. On se considère l’un et l’autre très chanceux de s’être trouvés. Parfois, nous nous pinçons. »

L’avenir
Sasha et Laurent ne manquent pas d’idées et de rêves… ce qui ne les empêche pas d’être terre-à-terre maintenant et de maintenir une discipline de fer. Laurent s’entraîne tous les jours, mange beaucoup et bien, fait les heures à l’hôpital. Bref, un agenda qui donne le tournis. Surtout que, presque paradoxalement, Laurent est un être équilibré. Il a une vie sociale, une blonde, il aime aller au marché, faire à manger, faire de la voile, aller voir ses vieux chums en Gaspésie. L’an prochain, il faudra renégocier son contrat avec les Chiefs ou avec une autre équipe. Et, alors qu’au premier repêchage il n’y avait pas beaucoup de place à la négociation (un petit 2,5 millions pour 4 ans), au prochain contrat, sky is the limit. Think big, stie.

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* ndlr: en passant, l’agent de Laurent était l’un de nos extraordinaire en 2018. Pour lire l’entrevue, c’est ici. *

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