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L’auberge brésilienne

Une chronique plus rapide et apaisante qu’un trajet de REM.

Par
Hugo Meunier
Hugo Meunier
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Des papillons batifolent dans l’arbre à poinsettias, à mes pieds. La jungle s’étend tout juste derrière, à quelques mètres de la piscine. À travers les branches, les capucins moines se montrent le bout du nez, lorsqu’on leur jette des bouts de bananes. À l’horizon, le mont du Pain de sucre se perd dans la brume, tout ça sur une trame sonore composée de vagues et de gazouillis.

Je manque de superlatifs pour décrire le cadre naturel d’où j’écris cet article. Je savais que le Brésil serait une belle escale, mais pas au point de virer poète.

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Rien, non, rien ne m’empêchera de même de slamer mon bonheur.

Mon cœur batifole autour de ton poinsettia

Capucine monastique, tu me fais de l’effet papillon

Chipe mes bananes, étends-moi tes faveurs

Capoeira de mes vagues à l’âme, tibias de ma favela

Oui, c’est mauvais. Non, je ne recommencerai plus.

Tout ça pour dire qu’on a adoré le chaos moderne de Sao Paulo, relaxé sur les berges du port de Paraty, profité du sable de Copacabana et voilà qu’on savoure des moments d’oisiveté de type « vie de pacha » dans notre Airbnb à Niteroi (prononcer « ni-te-roye »).

Situé dans une sorte de banlieue paradisiaque à une heure de Rio, cet Airbnb est sans conteste le plus bel endroit où j’ai séjourné dans ma vie.

Pas pour rien que cette villa faite de hamacs suspendus sur les balcons et de végétation luxuriante a été rebaptisée avec justesse : a mansão da felicidade (le manoir du bonheur).

C’est vraiment ainsi que j’imagine la vie des gens riches.

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En me promenant dans le quartier, où se côtoient d’autres villas du genre, j’ai toujours espoir de tomber sur Cardi B en plein bain de soleil sur sa terrasse ou sur un Ben Affleck dépressif en train de fumer une clope en pyjama.

Je garde l’œil ouvert.

À une semaine du retour au pays, le prix à payer de ce luxe de fin de parcours sera d’avoir l’impression de dégringoler de statut social en retrouvant le confort ordinaire de notre domaine rosemontois, là où nous attendent un lit queen fini du crisse, pas de lave-vaisselle (je sais), un passe-plat (je sais), un sous-sol avec un plafond plus bas que la maison de Bilbo Baggins et un sofa en L de chez Meubles RD dur comme de la roche.

Et au lieu des singes qui viennent nous voir le matin, ça sera ma mère en robe de chambre qui viendra me demander, un brin confuse, si elle peut amener une lasagne ou une petite* salade au chalet, dans six mois.

*Vient un âge dans la vie où l’épithète « petit.e » devient omniprésente. Petite marche, petite salade, petit film, petit café. Ma mère a atteint cet âge. Je m’ennuie quand même un petit peu d’elle.

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Ne parlons pas tout de suite du retour, il arrive déjà bien assez vite de même.

La dernière fois, je vous disais qu’il ne me restait que cette chronique… eh bien je me suis fourré dans mes calculs. Il y aura donc une finale samedi prochain (wow, deux articles en deux semaines, C’EST NOËL OU QUOI?!?)

Hélas, vous risquez de n’en voir aucune passer, à cause de votre manie paresseuse de vous informer seulement via les réseaux sociaux. Comme Méta bloque l’accès au contenu des médias de qualité comme URBANIA 😎, vous ne verrez désormais que les statuts bourrés de fautes de votre beau-frère raciste parsemés ici et là de nouvelles d’importance.

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Donc si vous voulez continuer à lire des trucs de fond comme cet article, merci de tout lâcher pour IMMÉDIATEMENT vous abonner à notre infolettre.

Faites-le ou je recommence à slamer.

Ah, c’est du bluff, vous croyez?

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Là où l’info n’est pas laite

S’informer c’est comme parler espagnol

c’est caliente et pas dull

Meta, c’est done, méthadone.

Si le karma existe, ma mort sera lente et douloureuse.

Et si vous n’avez pas tout appris du fonctionnement de la vie avec URBANIA (j’en doute), n’hésitez pas à vous abreuver directement sur des sites relativement potables comme La Presse, Le Devoir, Journal de Montréal, TVA, Cogeco, Noovo, Radio-Canada, Les Coops de l’information, Pivot, Les As de l’info, L’actualité, Elle Québec, etc.

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Présentation de l’équipe

De retour au Brésil, (très) loin des révolutions virtuelles, nous coulons des jours paisibles en compagnie de nos ami.e.s venu.e.s nous aider à retrouver une vie sociale après bientôt six mois de secte familiale.

Il y a Rosalie, Dominic, Françoise, Marie-Claude et Clara, débarqué.e.s à Rio la même journée.

Ça passe trop vite et c’est très agréable. On a même fait du karaoké en plein air un soir ou deux. Le Machu Pi-quoi?

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Un cadeau aussi pour Simone et Victor, qui profitent de la fin du voyage avec des gens qui ne leur font pas honte.

L’harmonie au sein de notre petite communauté est palpable, malgré le scepticisme initial de Martine.

« J’ai hâte de voir Dominic et Marie, mais Rosalie m’énerve tellement avec sa passion débile pour le groupe Rush. C’est plate Rush, dites-lui quelqu’un! Et je ne te parle pas de Clara, la petite conne! »

Franchement, je n’endosse rien de tout ça. Un monstre, je vous dis.

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Dominic, son nouveau chum (ils viennent de l’officialiser), est peut-être mauvais perdant aux cartes, mais sa maîtrise du churrasco (le barbecue local) lui vaut une importance de premier plan au sein de l’équipe.

On n’a pas vu les enfants depuis deux semaines, sinon. La dernière fois, ils s’étaient déguisés en petits rongeurs pour aller poker avec une branche un boa constrictor dans la jungle derrière.

Rio : les nerfs

Avant d’immigrer dans notre paradis terrestre, nous avons coulé quelques jours heureux à Rio, dans le confort d’un autre manoir à Santa Teresa, la version brésilienne du Mile End.

L’eau de la piscine était aussi louche qu’OJ Simpson, mais nous avions droit à une vue à couper de souffle sur la ville. En solidarité aux Québécois frappés successivement par des tornades, éclairs, feux de forêt, averses et écarts de température bipolaire, nous avons mis le feu à une montagne.

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Une fois qu’on passe par-dessus le fait d’avoir la toune Copacabana en permanence dans la tête, Rio est vraiment une ville parfaite. Les plages qui s’étirent à perte de vue, les vagues fortes d’Ipanema font perdre les costumes de bain, la chaleur idéale (là, c’est l’hiver, mais fait 25-30), les cafés, les jus aux bananes (ma droye), le paysage, les belles personnes bronzées et les caïpirinhas à la lime. Il y a un petit côté figé dans les années 80 tout à fait adorable, ici, avec des Speedo, des avions-publicitaires et des fumeurs partout.

Les vendeurs ambulants de maïs, d’eau de coco et d’açaï viennent compléter l’ambiance. La table est mise pour des vacances idylliques.

La business du petit Jésus

Pas le choix d’aller voir de près la statue du Christ Rédempteur qui domine Rio du haut du mont Corcovado. Je précise « de près » parce qu’on la voit des quatre coins de Rio, ce qui sabote un brin l’effet surprise.

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Qu’importe, ce n’est pas tous les jours qu’on visite une merveille du monde. On réalise toutefois vite que l’attrait principal de Rio est une grosse business.

La statue a beau être bien sculptée (?!) et impressionnante, son ascension s’apparente à un long chemin de croix au bout duquel on agonise d’ennui. Le truc est rodé au quart de tour par contre, faut l’admettre.

Une fourgonnette ou un train nous conduit d’abord à un palier de la montagne. De là, on nous entraîne comme du bétail vers un comptoir situé en plein cœur d’un kiosque de souvenirs de Jésus, où nous attendent d’autres billets trop chers pour la navette menant à la statue. Avant d’embarquer dans la navette, on vous impose une photo devant la statue puis on vous la propose à la fin, comme dans le Goliath à La Ronde.

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Une fois à destination, on grimpe quelque 200 marches jusqu’au sommet. Contrairement à la portion « seul dans le désert » de son existence, Jésus se dresse ici en compagnie de milliers de visiteurs agglutinés les uns sur les autres. Il faut presque jouer du coude pour circuler autour de la statue, ce qui résulte en une expérience que les plus jovialistes pourraient qualifier de « fort désagréable ».

La palme des pires humains revient sans conteste à tous ces spécimens qui font des poses folichonnes devant la statue. Vous vous reconnaissez.

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Faire semblant de soulever la statue en se positionnant de telle façon à tel endroit pour donner l’illusion de la tenir dans ses mains en se plaçant juste là.

Quel défi de se sentir spécial quand des centaines de personnes font les mêmes pitreries en même temps.

Mais bon, prêtons-nous au jeu, tant qu’à être là.

J’imagine d’ici le conventum des instigateurs de photos cul-cul, auquel — à l’instar du zinzin (oui, c’est un gars) qui soulève la statue — prennent part :

1- Celui qui fait semblant de retenir la tour de Pise

2- L’inventeur du main-cœur bedaine de grossesse

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3- Le lourdaud qui fait semblant de tenir le soleil entre ses paumes

5- Le couple qui entremêle ses mains avec des bagues de fiançailles.

6- La fatigante qui étend ses pieds sur une plage en écrivant « pura vida »

Parlant de conventum, pas mal certain que la statue du Christ Rédempteur se fait shamer à celui des merveilles du monde. Me semble qu’elle fait pic-pic à côté de la Grande Muraille de Chine, du Machu Picchu et de la cité de Pétra.

– Hey guys, grosse année encore! Tellement drôle, ces milliers de personnes qui font semblant de me porter sur leurs épaules, lol!

– Haha oui c’est ça… bon je vais aller me chercher un drink au bar, moi, à tantôt… (porte qui claque)

On a fini la soirée dans le restaurant favori de Rosalie et Dom dans Santa Teresa, un boui-boui qui sent la pisse puisqu’on nous a installé à côté des toilettes.

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Ça fait deux fois qu’on va là à cause de leur obsession pour l’endroit. Ce sont des gens d’Ahuntsic, alors leur goût est évidemment discutable. Quand tu as en bas de 60 ans et que tu penses que la rue Fleury est amusante, comment dire…

Enfin.

On a reçu nos assiettes de façon non synchronisée, comme d’habitude, sans compter la patience requise avant de boire nos caïpirinhas à la lime, seule récompense DANS CE MONDE INSENSÉ.

Ça a le mérite d’être dépaysant. D’ailleurs, le service est horrible au Brésil. Les gens tombent des nues en réalisant qu’on parle pas portugais et poussent des soupirs de découragement en nous voyant débarquer en gang.

À leur défense, il faut dire qu’on arrive à neuf comme une famille d’amishs et que nous asseoir ensemble requiert une logistique de leur part. Mais bon, ce dur constat : une bonne base en espagnol ici s’avère aussi utile que le français à l’ouest de Saint-Laurent.

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Pour digérer ce repas (et ce sentiment permanent de rejet), rien de tel que les rues obliques de Santa Teresa jusqu’à la maison, où nous attendent quelques consommations sur notre terrasse surplombant la cité.

Faut avouer que l’arrivée de nos ami.e.s correspond avec le départ de ma sobriété. Ça fait du bien de se lâcher lousse, même si j’encaisse maintenant l’alcool comme une femme qui vient d’accoucher. Après deux verres, je suis chaudaille, après quatre, je déparle.

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C’est pire pour Martine, qui ne supportait déjà pas super bien l’alcool avant sa cure.

– Chu… chu pas… pas… (hic) raciste mais… mais… (hic hic burp)

Les énormités qu’elle dit, houlala.

Mon estimée patronne et néanmoins amie Rosalie aussi ne donne pas sa place non plus, en se défoulant contre son employeur au lieu de profiter de ses vacances méritées pour décrocher.

– URB… URBANIA fonc… fonctionnerait mieux sans Philippe et Rapha! (hic hic) Ça pr… prend un putsch et j’in… j’interdirais les os?$%& de chiens au bureau!!

Franchement. Autant tuer l’âme d’URBANIA.

Rien comme le bonheur d’écrire un article en se faisant zigner la jambe par ces adorables compagnons à pattes, hihihi.

Voyant les choses déraper, il était plus que temps de déménager à Niteroi, d’où j’écris ces lignes.

Les plus perspicaces auront remarqué qu’il ne se passe pas grand-chose dans cette chronique et ça fait vraiment du bien.

Si j’avais écrit le scénario de ce voyage, j’aurais difficilement pu imaginer une meilleure fin. Rien à faire, sauf la plage ou la piscine. Des journées entières en costume de bain et en gougounes.

On a punché notre carte de voyageur, consacrant nos derniers jours à nous baigner, boire, rire autour d’un banquet extérieur, comme dans l’émission La vie, la vie, et à jouer à des jeux plates.

Martine pleure déjà sur une base régulière, nostalgique à l’idée de tourner la page à nouveau sur une aventure familiale dont on parlera bientôt au passé.

Moi, je garde mes émotions pour la semaine prochaine. Je ne suis pas encore prêt à les voir en face.

J’entends plutôt profiter des derniers moments au maximum. Il y a quelques jours, on a pris un traversier pour retourner à Rio escalader le Pain de sucre (comme au Mont-St-Hilaire, mais avec une belle vue).

Nous avons vu des singes et même un gros serpent immobile.

Comme je parle couramment fourchelangue, je lui ai demandé des nouvelles.

– Shhfiaaa belsghhê ssôôsff^svhaaa?

– Ssssseeeeeeccccfffshahhhh sssseesschiîaaaaa!*

*Plutôt bien cher Hugo, je vois que tu as maigri. En passant, je me suis abonné à l’infolettre URBANIA, très facile, même sans mains.

Sinon, avec Marie et les ados, on a visité une favela, la plus grosse en Amérique du Sud, paraît-il, avec quelque 300 000 habitants entassés dans des bicoques perchées à flanc de montagne.

Toute une aventure.

Comme c’est aussi dangereux que Saint-Jérôme, on a embauché Marcel, un guide s’exprimant dans un français qui ne constitue pas un affront à la dignité humaine.

Ce bon bougre de 79 ans a vécu à Paris, aux États-Unis et en Italie, mais c’est à Rio qu’il a passé l’essentiel de sa vie avec sa famille.

La journée commence mal avec des ennuis mécaniques — son réservoir à essence se déversait sur l’asphalte.

Son fils s’est amené pour rafistoler tout ça et nous avons pu traverser la ville jusqu’à la favela. En chemin, Marcel nous a résumé les grandes lignes.

L’eau, l’électricité, l’école et le lot pour se bâtir ne coûtent rien, dans la favela. La police ne s’y aventure pas, sauf lors de raids. Des trafiquants contrôlent les lieux et font respecter l’ordre. Pour ne pas avoir de problèmes, suffit de suivre les règles (ne pas voler, violer et démarrer un business parallèle).

En cas de première offense, on vous convoque tout en haut (là où habitent les chefs de gangs) pour être durement tabassé.

Si on vous convoque une deuxième fois, vous redescendez les pieds devant. Si vous ne vous présentez pas à votre deuxième convocation, votre famille y passera.

Si vous suivez ces directives à la lettre, vous aurez droit en retour à la protection des gangs.

Avec sa voix nasillarde de cartoon, Marcel s’est toutefois montré rassurant : la visite de la favela constitue un attrait touristique populaire et sécuritaire, à condition de suivre ses consignes.

– Il y a des endroits où je vais vous demander de ne pas prendre de photo.

Le bas de la favela ressemble à un marché aux puces, avec des magasins de toutes sortes éparpillés dans un quartier labyrinthique.

– Peu importe ce que vous cherchez, vous pouvez le trouver ici, assure Marcel, avant de m’ordonner de ne pas prendre de photo sur la prochaine rue.

La raison : deux très jeunes garçons vêtus comme Eminem en 1997 et lourdement armés protégeaient une table en bout de ruelle derrière laquelle se tenait un autre jeune.

– Ce sont des points de vente de drogue, m’explique nonchalamment Marcel au sujet des transactions faites en plein jour.

Il nous conduit ensuite vers un stand de moto taxi où quatre chauffeurs nous grimpent au sommet pour contempler la favela d’en haut. Gros must de se cramponner à l’arrière à travers les rues serpentines. L’ascension est très abrupte, faut se tenir. Marie-Claude riait tout le long et les ados avaient un sourire estampé au visage à destination.

La vue sur les milliers de bicoques colorées est vraiment spectaculaire. Les plus spacieuses trônant au sommet appartiennent aux chefs de gangs.

Les chauffeurs de moto nous ont ensuite amenés voir une démonstration de capoeira, un art martial afro-brésilien à mi-chemin avec la danse. Un attrape-touriste, mais la contribution volontaire de la démonstration allait dans les poches de la troupe de danse.

Après la favela, Marcel nous a trimballés dans des quartiers ultra-riches à un jet de pierre du bidonville. Une manière d’illustrer les nets contrastes qu’on retrouve ici.

– Chaque étage est un seul appartement. Ça vaut cinq millions d’euros! C’est de la folie!, s’exclamait chaque fois Marcel.

Qui peut se payer ces appartements luxueux bordant les plages d’Ipanema et Copacabana? Des gens des affaires et patrons d’entreprise, résume Marcel.

Pas mal certain que les chirurgiens font aussi des affaires en or, dans le coin.

Me voilà seul dans la mansão da felicidade pour conclure cet article. Tout le monde est à la plage, à la piscine ou en ville pour faire des courses.

Les papillons sont toujours là, au moins, me rappelant le paradis ambiant, avec le bruit des vagues.

Plutôt que d’étirer ce texte avec un mauvais jeu de mots supplémentaire sur la séparation de Justin, je vais déposer mon ordinateur et rejoindre les autres sur la plage, littéralement au bout de ma rue.

Faire un dernier croc-en-jambe à l’inévitable retour.

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