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L’ascension bizarre de Tim Walz, colistier de Kamala Harris

Entre le Minnesota et la Maison-Blanche, il n’y a qu’un mot à dire.

Par
Malia Kounkou
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Tim Walz, colistier de la candidate présidentielle Kamala Harris depuis quelques jours, est un grand fan de la saga Star Wars.

Mais aussi de Bob Dylan. Il est accro au soda Mountain Dew Diète. Il a entamé son deuxième mandat de gouverneur du Minnesota en 2022. Il ne boit pas d’alcool. Il aime courir des marathons. Il fait des dad jokes sur les réseaux sociaux. Il pratique la chasse. Il a « une fille Stanley Cup et un fils Discord ». Il a déjà enseigné la géographie. Il est un vétéran âgé de 60 ans.

Bref : Tim Walz est « normal », selon le consensus général, stéréotypé et occidental du terme. Et dans cette normalité, Kamala Harris a entrevu le vice-président parfait.

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L’océan de candidatures démocrates était vaste et parmi elles, certaines porteuses de noms bien plus connus que ne l’était celui du gouverneur du Minnesota, deux semaines plus tôt.

Mais personne, visiblement, n’a su rivaliser avec Tim Walz; un gars normal, qui pose des actions normales, pouvant s’expliquer de façon normale. C’est du moins l’évidence enfantine et silencieusement redoutable derrière toute sa stratégie politique.

« Quel monstre je suis! Les enfants mangent et ont le ventre plein! », IRONISE-T-IL AINSI, après que sa loi rendant gratuits les repas scolaires dans le Minnesota ait été critiquée.

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« Apparemment, être un “gauchiste radical” signifie adopter des politiques largement populaires, comme les congés de maladie payés, les repas gratuits pour les écoliers, le droit à l’avortement, se ranger du côté des travailleurs et la légalisation de la marijuana », remarqueront ses partisans, adoptant la défense passive-agressive de leur candidat pour répondre aux accusations d’extrémisme ayant été pointées sur le colistier presque immédiatement après l’annonce de sa nomination.

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En plus d’être un politicien normal, Walz est également perçu comme le PDG du pragmatisme, ce qui lui permet d’être aussi bien « apprécié des libéraux et des conservateurs », comme le souligne le chroniqueur Vinay Venon du Toronto Star.

Après tout, n’est pas réélu cinq fois dans le premier district conservateur de la Chambre des représentants du Minnesota qui veut, surtout en étant un défenseur aussi vocal de la régulation des armes à feu et de divers enjeux propres aux minorités.

Cet exploit répété a sûrement dû indiquer à Kamala Harris qu’elle avait face à elle un politicien capable de fédérer en terrain hostile sans jamais se trahir, donnant ainsi un poids crédible à ses actions et, surtout, à ses paroles.

Car, si une personne normale, agissant normalement, et considérée comme normale par les deux camps, dit d’un adversaire qu’il est « bizarre », c’est qu’il doit certainement l’être.

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UNE BIEN BIZARRE ASCENSION

Parlant de bizarre, J.D. Vance, le candidat à la vice-présidence du clan adverse, peine à convaincre le monde entier qu’il n’est pas attiré sexuellement par les canapés.

Accessoirement, Vance est aussi diplômé de Yale, homme d’affaires, blogueur, mari et père de trois enfants, sénateur de l’Ohio et auteur de Hillbilly Élégie, un best-seller contant ses méandres de vie de la pauvreté ouvrière jusqu’à sa robe d’avocat.

Hélas, quand on tape son nom sur les réseaux sociaux, la rumeur de son penchant amoureux pour le mobilier IKEA prend souvent le pas sur tout le reste de son impressionnant CV.

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À moins que ce ne soit plutôt l’histoire lui alléguant un intérêt sensuel pour les dauphins qui lui fasse de l’ombre?

Remarquez, ça peut aussi être sa pique misogyne de « femme à chat sans enfants » envoyée à Kamala Harris.

Ou bien sa blague sur le camp démocrate qui serait susceptible au point de trouver raciste une simple gorgée de soda.

Et là, on exclut bien sûr les débats cycliques autour du fait que Vance salue maintenant Trump avec la même main qui, en 2016, le décrivait par message comme étant le « Hitler de l’Amérique ».

Bref : J.D. Vance est « bizarre », selon le consensus général, stéréotypé et occidental du terme. Et pour contrer cette bizarrerie, Kamala Harris a choisi Tim « Normal » Walz comme colistier.

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OK, MAIS D’OÙ SORT TIM WALZ?

C’est plus ou moins ce que tout le monde se demande depuis mardi. Avant la mi-juillet, le gouverneur du Minnesota n’était connu du grand public que par bribes très ponctuelles.

Tantôt, on apprenait qu’il avait été rebaptisé « Tampon Tim » par le camp conservateur pour avoir rendu les produits nécessaires aux « personnes menstruées » libres d’accès dans toutes les écoles publiques secondaires du Minnesota.

Tantôt, on suivait en direct le sauvetage de Scout, son labrador noir, depuis son compte X, après que l’animal se soit accidentellement enfermé dans sa chambre à coucher.

Puis, fin juillet, une simple prise de parole télévisée l’a définitivement propulsé en tête de file sur la liste des candidats potentiels à la vice-présidence.

« Ce sont des gens bizarres, de l’autre côté », a-t-il alors déclaré à propos de Trump et Vance, sans s’embarrasser d’aucun jargon formel. « Ce sont des idées bizarres. Écoutez-les parler. »

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Et ce n’était pas la première fois que son attaque touchait sa cible.

Walz avait déjà employé le terme « bizarre » quelques mois plus tôt en entrevue, ainsi qu’à plusieurs soirées politiques, récoltant chaque fois suffisamment de « rires et de hochements de tête entendus » pour que l’efficacité du mot soit prouvée.

Rien ne pouvait cependant le préparer à ce que, cette fois-ci, ces simples lettres explosent en popularité, tout comme le candidat auprès d’un électorat qui ignorait encore son existence.

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ONLINE KAMALA™

L’une des forces de Kamala Harris, candidate démocrate à la présidence américaine, est qu’elle soit, comme la décrit moqueusement le chroniqueur conservateur Ben Shapiro, « Trop En Ligne™ » – un titre que mérite un peu plus son équipe de communication au flair Gen Z.

Car, à peine Joe Biden retiré de la course, la vice-présidente commençait déjà sa campagne en sautant à pieds joints dans tout ce que la culture pop offrait de plus vert brat et viral pour séduire un jeune électorat qui avait déjà fait de son rire un meme.

Bref : Kamala Trop-En-Ligne Harris ne pouvait que choisir un colistier avec le même temps d’écran qu’elle. Entre alors Tim Walz et ses appels de phare subtils.

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« Mon Dieu, ils s’en sont pris aux gens qui aiment les chats. Bonne chance! Allumez Internet et vous verrez ce que font les gens qui aiment les chats quand vous vous en prenez à eux », réagit-il, suite aux commentaires anti-félins de J.D. Vance envers Kamala Harris.

Traduction : « J’en sais plus qu’un peu sur le mode de fonctionnement d’Internet, et ce que je ne sais pas, je peux toujours le demander à Hope, ma fille de 23 ans. »

En tout bon père, il ne pouvait donc que savoir qu’à partir de 12 ans, tout est « gênant », « cringe », et « malaisant », que ce soit un trait d’eyeliner, des stories Instagram, un mauvais accent anglais, un bon accent anglais, une respiration trop forte ou le mauvais emoji rieur.

Pas de pire sentence, en 2024, que d’être considéré comme « bizarre ». L’ex-adolescente en moi sait bien reconnaître une tactique d’usure quand elle en voit une.

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La prochaine fois que vous vous disputez avec une personne qui parle calmement, essayez de répondre : « Mais pourquoi est-ce que tu cries? », et constatez avec quelle rapidité celle-ci, à force de devoir se défendre, finira invariablement par crier.

De cette même façon, il n’est pas tant important que Vance ou Trump soient réellement bizarres. L’important est que le plus de gens possible y croient pour que le tout devienne une prophétie autoréalisatrice définissant leurs moindres faits et gestes.

Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que J.D. Vance n’est jamais photographié à proximité d’un divan.

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C’est pourquoi, à peine le mot sorti de la bouche de Tim Walz, Kamala Harris et le reste de son parti l’ont intégré dans leur vocabulaire d’offensive et agrémenté de quelques synonymes pour qualifier le camp républicain de « tout simplement bizarre », « étrange », « super étrange », « psychopathe » ou encore « creepy ».

En employant « bizarre » comme le ferait n’importe quelle jeune âme sur les réseaux sociaux, Walz s’est aussi vu décerner la couronne de « papa cool », « papa fun », « papa de l’Amérique », ou encore « gentil gars du Midwest ».

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Même le chroniqueur et militant conservateur Matt Walsh mettra son quart d’heure anti-trans sur pause, la semaine dernière, pour admettre une certaine ingéniosité au « Bizarre Gate ».

« [C’]est une stratégie efficace. C’est viscéral. Ça émeut les gens. Les démocrates sont mauvais, mais pas stupides. »

L’ÉLÈVE DÉPASSE LE MAÎTRE

Donald Trump, ancien président en reconquête de sa Maison-Blanche perdue, est un maître incontesté du franc-parler.

En 2016, son mode de discours direct au point d’être « compréhensible même pour un élève de deuxième année » lui avait permis de se détacher du lot de candidats en se rendant plus accessible à des électeurs qui, à quelques millions près sur le compte en banque, le pensaient être des leurs.

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Les surnoms moqueurs et puérils, ça lui connaît aussi. « Krazy Kamala », « Crazy Kamala », « Lyin’ Hillary », « Sleepy Joe », « Fake News CNN », « Kung Flu » – ils sont si nombreux qu’ils ont même leur propre page Wikipedia.

Loin de ne les fabriquer que pour l’amour du stand-up, l’ancien président les utilisait plutôt pour renforcer l’idée du : « Nous, les gentils vs Eux, les méchants », sur laquelle se fonde toute sa réputation d’outcast politique.

Qu’est-ce donc qu’un petit « bizarre » du camp démocrate, après ça? Un jeu d’enfant. Que dis-je, une poussière dans l’espace!

Or, depuis l’explosion en popularité de ce terme prononcé par Tim Walz, du côté MAGA, tout le monde semble avoir enfilé ses bottes de combat et ses lunettes de damage control.

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Au départ, cette stratégie démocrate sera qualifiée de « stupide et juvénile ».

Le camp conservateur tentera ensuite de donner à « bizarre » une connotation plus libérale, en l’employant pour parler des drag queens, de l’immigration ou encore des aisselles non rasées de la belle-fille de Kamala Harris.

Et lorsque ça ne suffira pas, Donald Trump viendra lui-même déclarer en entrevue qu’il est « beaucoup de choses, mais bizarre, ça, jamais ».

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Quant à J.D. Vance, il attribuera avec désinvolture cette tactique à des « stagiaires démocrates de 24 ans » se vengeant de l’intimidation qu’ils auraient subie en grandissant… avant de tout de même préciser qu’il est « un gars normal ».

Parce que c’est un réflexe bien humain : personne ne veut être vu comme un individu bizarre. Comme un outcast? Certainement, car il sera toujours une personne normale pour quelqu’un, quand il n’est pas craint par les autres.

Mais un mec bizarre sera moqué sur les cinq continents. Et qui voudrait voter pour lui? Une autre personne bizarre, probablement. Ce qu’aucun électeur ne veut être.

Quelque part, depuis son seul yacht non confisqué de Mar-a-Lago, Donald Trump doit regarder aller Tim Walz et reconnaître à contrecœur son dauphin.