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L’après « Pour toi Flora » de la comédienne Dominique Pétin

« Si c’est mon dernier rôle, c’est correct. » 

Par
Hugo Meunier
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Il arrive que la ligne entre l’intérêt public et personnel soit étroite dans ce métier. J’avoue l’avoir enjambée avec enthousiasme en me rendant chez la comédienne Dominique Pétin pour lui parler (surtout) de son rôle dans la série Pour toi Flora, que je viens de terminer en retard sur tout le monde.

Après avoir refoulé quelques larmes d’homme qui ne braille pas (sauf devant Rocky), j’ai googlé l’actrice pour voir ce qu’elle a raconté en entrevue en marge de la première fiction autochtone diffusée à Radio-Canada.

À ma grande surprise, rien, niet, le vide sidéral ou presque.

Je veux dire, Gino Chouinard annonce sa retraite en 2024 et on assiste à une éclipse médiatique, mais rien pour Dominique Pétin qui brille/émeut/bouleverse en incarnant une survivante des pensionnats polytraumatisée, écorchée vive et prisonnière de sa honte.

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Mais bon, la principale intéressée n’a formulé aucune plainte à ce sujet, il s’agit d’un constat bien personnel.

Et sauf pour une critique assez dure au début de la diffusion, la série est pas mal passée dans le beurre, médiatiquement parlant (à part pour ce prix remporté à Cannes quand même).

Ok, je ne suis pas un critique télé très crédible non plus, malgré une brève incartade aux arts et spectacle à La Presse (où je mettais trois, quatre étoiles à tous les films pour ne froisser personne). Bien sûr, la série n’est pas parfaite (des enfants-acteurs sans expérience, ça doit parfois ressembler au Funtropolis un dimanche pluvieux), mais j’ai vraiment été happé par le récit.

L’anti-casting d’André Robitaille en glacial père Bédard, le talent des deux jeunes Anishinaabe, la reconstitution historique dépouillée, les sauts dans le temps, mais surtout le jeu de Dominique Pétin, qui a reçu à 61 ans un premier grand rôle en cadeau.

Un cadeau durement mérité pour celle qui se décrit comme une « actrice de composition », aux antipodes de la jeune première ingénue.

« Ça se peut que j’aie les larmes aux yeux quand je parle de Flora », m’avertit d’emblée Dominique Pétin, en m’invitant à prendre place sur le sofa du joli condo exigu qu’elle habite depuis quelques années dans Villeray. Sourire radieux, vêtements confortables, pieds nus, elle s’installe à son tour sur le divan après m’avoir servi un café.

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Par la fenêtre, on aperçoit l’église voisine, dont les cloches résonneront par deux fois durant notre entretien. « Pour moi qui est apostasiée, ça me rush », avouera-t-elle avec ses yeux pétillants. Il fait soleil dehors, la lumière reflète joliment sur son visage.

« J’aime pas trop parler au “je” et je bafouille quand je reçois des compliments », admet-elle candidement.

Tant pis pour elle, je suis ici pour l’encenser.

Sur les traces de ses racines

La comédienne d’expérience, qui enfile les (seconds) rôles depuis une trentaine d’années, revient sur son personnage silencieux mais chargé. « Flora est emmurée dans le silence. Je trouve ça beau. On a laissé la caméra se déposer aussi tendrement que cruellement sur les visages », raconte Dominique Pétin.

Elle dit être restée durant les six semaines de diffusion à la disposition des gens qui avaient des choses à partager, des démons à ventiler. « J’ai reçu des centaines de messages, dont certains très longs. La série a trouvé son chemin, touchant les Blancs et les non-Blancs », constate-t-elle.

«Je n’ai jamais caché être Autochtone, mais il n’y avait pas beaucoup d’oreilles pour l’entendre»

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Elle s’émeut lorsque je lui dis avoir écouté la série avec mon ado, une habile stratégie de ma part pour rappeler à ce dernier à quel point il est gâté pourri en comparaison des 150 000 enfants autochtones (métis, inuits et issus des Premières Nations) qui ont pris le chemin des pensionnats entre 1831 et 1996.

Beaucoup de personnes traumatisées par hérédité ont aussi écrit à Dominique. Des cicatrices qui lui ont rappelé les siennes, elle qui est née d’un père français et d’une mère wendate. « L’héritage autochtone ne m’a pas été transmis, ma mère et ma grand-mère sont mortes quand j’étais jeune. Où est le chemin pour retrouver mes racines sans elles? », demande Dominique Pétin, actuellement en attente de sa carte de statut.

Une démarche empreinte de chagrin, lui rappelant les disparitions des femmes de sa lignée. « Ma mère est allée dans un pensionnat pour Blancs puisque sa famille était sous tutelle. On la considérait quand même comme une citoyenne de deuxième rang », souligne l’actrice.

Crédit: Eva Maude TC
Crédit: Eva Maude TC
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Il s’agit d’un deuxième rôle de personnage autochtone pour elle, après celui d’une propriétaire de restaurant au coeur d’or dans la série télévisée Fred-dy, diffusée au tournant du millénaire.

« Je n’ai jamais caché être Autochtone, mais il n’y avait pas beaucoup d’oreilles pour l’entendre », raille un peu celle qui avait incarné à la même époque la mère Gamelin dans le 15 février 1839 de Falardeau.

Pour toi Flora se boucle sur un début de guérison, aux antipodes des finales de Disney. Flora esquisse d’ailleurs un de ses premiers sourires au terme des six épisodes, laissant entrevoir une réconciliation avec son frère Rémi (formidable Marco Collin.) « Nous y sommes », murmure ce dernier avant le générique, nous laissant un peu sur notre faim, les yeux dans l’eau.

Il n’y aura pas de suite, mais on aurait aimé voir les religieux abuseurs – à commencer par l’infâme père Thibodeau (creepy Théodore Pellerin avec ses bonbons) – tomber un à un, une façon de permettre au téléspectateur mortifié d’entamer à son tour un processus de guérison.

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Comme un an s’est écoulé entre la fin du tournage (dans les communautés de Kitigan Zibi et Maniwaki) et la diffusion, Dominique Pétin était prête à faire face à la charge émotive allant avec. Elle n’a pas eu de mal à ensuite passer à autre chose. « Je ne suis que l’interprète de Flora et je ne voulais absolument pas m’approprier le traumatisme de personne. Je me vois comme un canal », illustre-t-elle.

« Elle a élevé le jeu de tout le monde d’un cran »

Mal à l’aise avec l’attention, Dominique Pétin dévie les fleurs vers la scénariste et réalisatrice Sonia Bonspille Boileau, qu’elle décrit affectueusement comme « cinq pieds de talent et de groove ». « Comme il n’y a aucune scène de small talk, elle avait ce réflexe de vouloir me consoler entre les prises. Mais bon, de toute façon le personnage était inconsolable… »

La comédienne salue le travail de la production, qui a dû composer avec des délais serrés et la gestion de plusieurs enfants accompagnés de leurs parents, dont certains avaient vécu des expériences traumatisantes en lien avec les pensionnats. « On ne pouvait pas arriver pas préparé sur le plateau, mettons », résume-t-elle.

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Jointe au téléphone, la réalisatrice évoque une chimie instantanée avec son premier rôle. « Après cinq minutes d’audition, on pleurait toutes les deux », lance en riant celle qui a aussi signé Rustic Oracles et Le Dep avec son conjoint producteur Jason Brennan et leur boîte Nish Media.

«Quand elle est arrivée sur le plateau dans son costume, elle a élevé le jeu de tout le monde d’un cran. Le nôtre aussi, puisqu’on a senti la responsabilité d’accoter son travail.»

Sonia Bonspille Boileau avoue ne pas savoir par où commencer lorsque je lui demande de commenter son expérience avec Dominique Pétin. « Dès la première minute d’audition, j’ai senti son amour des textes et du personnage. Dans ma tête, je savais que j’avais trouvé Flora. Elle avait tout compris. »

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La réalisatrice souligne aussi l’impact positif de l’actrice durant les tournages. « Quand elle est arrivée sur le plateau dans son costume, elle a élevé le jeu de tout le monde d’un cran. Le nôtre aussi, puisqu’on a senti la responsabilité d’accoter son travail », souligne-t-elle.

Crédit: Eva Maude TC
Crédit: Eva Maude TC

Au-delà de la qualité du jeu dramatique de Dominique, la réalisatrice salue la fille de gang, à l’énergie débordante. « Quand on l’a wrapée, elle est débarquée dans notre salle d’équipe avec du champagne pour tout le monde. »

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« Si Flora est mon dernier rôle, et bien c’est correct »

Dominique Pétin avait raison de célébrer. Sauf quelques apparitions, ça faisait une décennie qu’on la voyait plus à la télé. Elle se consacre presque à plein temps au coaching d’acteur.trice, jouissant d’une bonne réputation. « C’est une des tops en ville, beaucoup vont vers elle pour de gros rôles », souligne Sonia Bonspille Boileau.

Dominique Pétin – qui donne aussi un coup de pouce aux premières années à l’École nationale de théâtre – ne ressent aucune amertume. « Si Flora est mon dernier rôle, et bien c’est correct », tranche-t-elle.

De toute façon, c’est au théâtre qu’elle a toujours été le plus heureuse. Sur les planches, elle a vécu plusieurs moments d’extases. « Il y avait Wit au Quat’Sous, Le Wild West Show de Mani Soleymanlou, Un ennemi du peuple au TNM. J’ai pu travailler avec des gens comme Roger Giguère et Gilles Latulippe », énumère-t-elle, reconnaissante.

«Jeune, j’étais obsédée par l’idée de gagner ma vie et celle de mes enfants. Là, mes enfants sont grands et je n’ai pas besoin de grand-chose pour vivre.»

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Si elle ne passe pas ses journées à angoisser à côté du téléphone, c’est parce qu’elle n’a pas connu de succès facile. Dominique Pétin a dû attendre dix ans après sa sortie de l’école de théâtre avant de sortir de l’anonymat en décrochant le rôle d’Adélaïde Levers dans la série Au nom du père et du fils. Elle a ensuite enchaîné des rôles au théâtre, dans des téléromans et des films, explorant à peu près tous les registres. « Jeune, j’étais obsédée par l’idée de gagner ma vie et celle de mes enfants. Là, mes enfants sont grands et je n’ai pas besoin de grand-chose pour vivre », résume celle qui a deux fils.

Crédit: Eva Maude TC
Crédit: Eva Maude TC
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Elle revient d’ailleurs galvanisé d’un long séjour de deux mois et demi à travers le pays pour présenter la pièce Un. Deux. Trois. (Mani Soleymanlou) dans plusieurs villes canadiennes, de Vancouver à Moncton. « Neuf villes, 35 shows, plus de quatre heures de spectacle sur l’identité. C’était un trip humain et artistique exceptionnel », s’exclame-t-elle.

Une voix, mais pas de fréquence

Ce pèlerinage d’un océan à l’autre lui a ouvert les yeux sur la réalité des francophones éparpillé.e.s au Canada, qui se sentent un peu abandonné.e.s par le Québec.

Quant aux Autochtones, Dominique Pétin dit sentir enfin une ouverture envers leurs cultures. « C’est indéniable, mais nous sommes en retard par rapport à ailleurs au pays. Il y a toujours eu une voix autochtone au Québec, mais il n’y avait pas de fréquence », analyse la comédienne, saluant quelques initiatives récentes, comme la série Pour toi Flora ou l’émission de radio Kuei! Kwe! (animée par Mélissa Mollen Dupuis).

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Si elle se réjouit de contribuer à décoloniser l’histoire à sa façon, Dominique Pétin demeure sur ses gardes. « On se demande combien de place on va nous laisser prendre…»

«Il y a toujours eu une voix autochtone au Québec, mais il n’y avait pas de fréquence.»

La comédienne ne craint pas de se sentir instrumentalisée. « C’est à moi de décider de toute façon. Je suis une interprète, je sais qu’il n’y a pas mille actrices autochtones de mon âge. Le seul privilège de l’artiste, c’est de dire non. »

Toujours passionnée par son métier, elle aimerait jouer du Michel Tremblay pour la première fois. Je n’ai même pas fini de lui demander avec quel réalisateur elle aimerait tourner qu’elle me coupe avec aplomb : « Stéphane Lafleur! »

Pour l’heure, vieillir ne lui fait pas peur non plus, loin de là. « J’étais tannée d’avoir de la teinture dans les cheveux. Des gens m’ont prévenue : “tu ne travailleras plus.” On m’a aussi reproché mon poids. Mais les actrices que j’admire ont les cheveux blancs, sont ridées et toutounes », résume-t-elle sans détour.

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Mais le plus grand don qu’elle a reçu, c’est celui d’être capable d’exister comme artiste sans éprouver le besoin d’être vue. « Je suis en santé, mes fils vont bien et j’ai un amoureux fantastique. J’ai l’essentiel », tranche-t-elle.

Les cloches de l’église sonnent à nouveau, Dominique Pétin me raccompagne à la porte en m’entretenant sur le climat de rectitude et la polarisation ambiante. « Sans être woke, je me considère éveillée. Il y a des humains et de réelles souffrances derrière. Je me place toujours derrière les personnes qui souffrent et non celles qui donnent leurs opinions », philosophe l’actrice, qui dit vouloir être de son temps, à l’écoute de ce que la société a à dire. « Ça va mal sur la planète, il existe plusieurs enjeux liés à l’écologie, mais les vaches en liberté font les nouvelles. On dirait qu’on cherche des distractions…»

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Hélas, le jour où une série télé portant sur les horreurs des pensionnats autochtones attirera autant d’attention que des vaches en cavale n’est pas arrivé.