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Pour toi Flora : au coeur des pensionnats autochtones

« Ayoye, je suis le résultat de l’assimilation! »

Par
Hugo Meunier
Hugo Meunier
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Sonia Bonspille Boileau poireaute seule dans le stationnement depuis trente minutes. Un désagréable crachin frisquet tombe sur son hood de char. «Je suis arrivée vraiment trop d’avance!», lance à mon arrivée la cinéaste et scénariste mohawk, qui a écrit et réalisera la toute première fiction autochtone présentée au printemps 2022 à Radio-Canada.

C’est d’ailleurs pour ça que je la rencontre ici, en face d’une maison de retraite appartenant aux clercs de Saint-Viateur perdue dans un magnifique décor boisé de Vaudreuil-Soulanges.

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Son équipe viendra la rejoindre tout à l’heure, en plein repérage pour dénicher l’endroit idéal pour donner vie au pensionnat autochtone qui sera la trame centrale de Pour toi Flora.

Cette série dramatique mettra notamment en vedette Dominique Pétin, Marco Collin, Samian, Virginie Fortin et Mylène St-Sauveur.

«Je ne sais pas combien de fois j’ai braillé en écrivant Flora, comme un coup de poing dans la face de temps en temps où je me disais : ayoye, je suis le résultat de l’assimilation»

En gros, on y suivra deux jeunes Anichinabés déracinés de leurs familles dans les années 60 et envoyés dans un pensionnat. Une tragique réalité vécue par quelque 150 000 enfants entre 1831 et 1996 (oui 1996!), une réalité qui laisse encore bien des cicatrices chez les Premières Nations.

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Un projet qui hante Sonia Bonspille Boileau depuis des années. «Je ne sais pas combien de fois j’ai braillé en écrivant Flora, comme un coup de poing dans la face de temps en temps où je me disais : ayoye, je suis le résultat de l’assimilation», confie la cinéaste métissée, qui a grandi à Oka. Sa maman (née Bonspille) travaillait pour le conseil de bande de Kanesatake et son père s’occupait de l’entretien dans une école de blancs. Une dualité qui a forgé le caractère de la cinéaste. «Je me bats depuis toujours avec un sentiment d’imposteur et ça me vient des pensionnats. Je suis qui moi? Une métissée qui vit à Aylmer et ne parle pas la langue d’origine?», demande-t-elle.

Pour construire sa série, Sonia s’est inspirée de son grand-père, envoyé dans un pensionnat ontarien durant sa jeunesse. Pour sa fiction, elle a toutefois voulu développer l’angle québécois, une réalité moins connue et documentée. «J’ai déjà entendu un historien dire sur les ondes de Radio-Canada que les pensionnats n’existaient pas au Québec. Je me suis dit que si des gens pensent ça, il faut faire quelque chose», souligne Sonia, qui a commencé à écrire son histoire en 2017.

Avant d’aller plus loin, un peu de transparence s’impose. Sonia est une amie chère, dans ma vie depuis le cégep. À l’époque, elle dirigeait une troupe de théâtre au secondaire (j’ai encore les billets des pièces Faux départ et Sortie de secours), en plus de l’enseigner dans une école du Vieux Saint-Eustache.

«J’étais écoeurée des jokes plates à l’école, à la télé, partout, écoeurée d’avoir toujours à me défendre»

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Je la connaissais au départ seulement sous le nom Sonia Boileau. «Pendant et après la crise (d’Oka), les gens [réagissaient plus fortement face] à Bonspille qu’à Boileau. J’étais écoeurée des jokes plates à l’école, à la télé, partout, écoeurée d’avoir toujours à me défendre», raconte la cinéaste, qui réalise aujourd’hui les nombreux exemples de «mini-racisme systémique» endurés au fil des années. «On m’a déjà sortie de ma classe en première secondaire pour fouiller des cheveux pour voir si j’avais des poux. Dans le corridor, il n’y avait que des élèves autochtones», cite Sonia, qui s’est depuis réappropriée le Bonspille avec fierté.

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Une fierté méritée après avoir signé des documentaires et longs-métrages touchant à des enjeux chers à ses yeux et importants pour sa communauté. «Quand j’ai décidé de faire ce métier, j’avais trois thèmes en tête: l’identité (Last call indien, 2010), les femmes autochtones disparues (Rustic Oracle, 2019) et les pensionnats (Pour toi Flora, 2022)», énumère Sonia, qui a aussi signé un premier long-métrage, Le Dep, en 2015.

Et après? «Je ne sais pas. Je vais peut-être faire autre chose, écrire peut-être», souligne la réalisatrice low profile, qui aime son travail pour les bonnes raisons. «J’aime pas les vagues médiatiques. Quand elles viennent, ça me stresse énormément. J’ai vraiment peur des opinions négatives des gens», admet-elle.

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Pour s’en prémunir, Sonia et l’équipe de Flora ont fait leur devoir et surtout preuve d’ouverture pour traiter un sujet aussi délicat que les pensionnats. «J’ai parlé à des survivant.es qui étaient là pour me garder sur la bonne voie. Quand j’évoquais par exemple le processus de guérison, ils/elles me ramenaient à l’ordre en disant : on ne guérit pas de ça», raconte-t-elle, en lien la perte identitaire, l’isolement et le déracinement vécu par ces jeunes envoyé.e.s dans les pensionnats.

«Il y a une plus grande ouverture, les réactions à la série le prouvent. Il y a dix ans, un tel projet aurait été impossible»

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La réalisatrice doit aussi tenir compte du fait que les Oblats qui géraient les pensionnats n’étaient pas motivés par la haine envers les autochtones. «Ils croyaient à leurs affaires et voulaient sauver leur âme, en faire de bons chrétiens», souligne-t-elle, précisant que vers la fin on invoquait plutôt des prétextes pour obtenir des emplois et une meilleure scolarité. «Je veux zéro retraumatiser du monde avec ça et je dois mettre des balises. Il y aura un soutien psychologique avec les enfants et les aînés pendant le tournage, en plus d’impliquer la communauté», affirme Sonia. Pour ce faire, elle se rendra dans la communauté anichinabée de Kitigan Zibi, près de Maniwaki, pour tourner une partie de son film.

Si la cinéaste redoute les critiques et reconnaît la polarisation ambiante, elle sent toutefois que le vent tourne dans le bon sens en ce qui a trait à la culture autochtone. «Il y a une plus grande ouverture, les réactions à la série le prouvent. Il y a dix ans, un tel projet aurait été impossible», croit Sonia.

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Comme le Québec s’efforce aussi de préserver son identité au sein d’un continent anglophone, les projets autochtones sont plus lents à embrayer ici qu’ailleurs au pays, remarque Sonia. «Les projets de fiction sont évalués à la SODEC par des gens qui n’ont aucune expertise sur ces enjeux», constate-t-elle, se demandant chaque fois si son projet sera son dernier. «Au Québec dans la fiction, on aime beaucoup notre star system, nos vedettes, c’est dur d’imposer de nouvelles faces, autochtones en plus.»

«Au Québec dans la fiction, on aime beaucoup notre star system, nos vedettes, c’est dur d’imposer de nouvelles faces, autochtones en plus.»

Sonia reconnaît néanmoins une volonté de faire du contenu autochtone, sans que ça ait l’air trop plaqué. Ce qui n’empêche pas certaines maladresses. «Je reçois des demandes chaque jour pour des corpos ou autres qui ont des petits budgets et veulent des faces autochtones. Veulent-ils ma créativité ou mon nom autochtone?», se demande chaque fois Sonia, qui a même reçu une proposition pour un projet… inuit.

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Mais bon, elle salue l’effort, bien qu’elle écorche un peu au passage le manque d’imagination. «On dirait qu’il n’y a que moi et Kim O’Bomsawin ( Je m’appelle humain). On en parle des fois entre nous. On se dit qu’il y en a d’autres», lance Sonia. Elle refuse cependant de se voir comme une défricheuse: «Alanis Obomsawin est une vraie défricheuse, moi, je suis son défrichage.»

L’équipe arrive à son tour dans le stationnement de la maison de retraite, à commencer par Jason Brennan (Nish Media) le producteur exécutif et conjoint de Sonia. «Marc, t’es pas mal moins grand en Zoom!», s’exclame-t-il d’ailleurs en jetant un œil pour la première fois en présentiel sur son directeur photo, un immense gaillard. «Une des choses importantes pour Radio-Canada, c’était de prendre les bonnes personnes pour raconter cette histoire», résume Jason vantant la qualité de son équipe.

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Celle-ci entreprend sa visite, accueillie à l’entrée par le directeur des lieux, un clerc à la retraite habitant le vaste bâtiment avec treize confrères. «Ils sont avertis et de toute façon, on a de la place en masse!», assure le directeur.

L’endroit est apaisant, regorge de vestiges, en plus d’offrir un véritable voyage dans le temps. Un coup de cœur à en juger par les premières réactions ébahies de l’équipe, en posant le pied dans chaque nouvelle pièce sur les quatre étages. «On a deux endroits à visiter aujourd’hui, mais ici ça coche pas mal de cases à date», résume la directrice des lieux de tournage, Marie Hébert. Prudente, la production préfère ne pas ébruiter le nom de l’endroit en attendant d’arrêter un choix définitif.

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Je quitte en me disant que même si le lieu de tournage de leur pensionnat n’est pas encore trouvé, on peut déjà se réjouir de penser que cette série à venir est entre très bonnes mains.

Le résultat risque de constituer un grand pas dans la bonne direction pour nous aider à comprendre ce qu’ont éprouvé les Premières Nations.