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L’après Grand-mère grunge d’Alex Viens : entre sobriété et littérature

L'auteurice des « Pénitences » revient sur deux années sans alcool.

Par
Hugo Meunier
Hugo Meunier
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J’arrive en avance au café Orr, au moment où un crachin tombe sur la rue Papineau.

Je commande un smoothie mangue-banane avant de prendre place sur le palier du magnifique établissement.

Par les fenêtres, la congestion est intense sur l’avenue et le son des klaxons se faufile à travers la musique de Connan Mockasin (je connais ça fuck all, mais j’ai shazamé comme en 2012. C’est bon, sinon).

Bref, j’attends Alex Viens, l’auteurice derrière Les Pénitences, percutant ouvrage présélectionné en 2023 dans la catégorie « roman » pour le Prix des libraires (remporté par Les marins ne savent pas nager de Dominique Scali).

Après six mois à l’étranger, c’est avec iel que je brise la glace et ça me fait bien plaisir. D’abord parce que, comme tout le monde, j’ai viré d’sour en lisant son premier roman, qui raconte un huis clos aussi angoissant que dysfonctionnel en marge des retrouvailles de Jules et de son père Denis dans l’appartement de ce dernier. Pendant environ 130 pages, on sent remonter tous les traumas de l’enfance de Jules, mais aussi ses pulsions de vengeance, jusqu’à une finale coup-de-poing (je déteste cette expression, au même titre que de parler d’un « ovni littéraire » pour un récit foufou ou de « Dame Nature » dans les textes météo, mais dans le cas présent, ça s’applique).

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Un roman qui se dévore un peu tout croche, comme un trio bières/spag-sauce en pot/weed, sur une trame sonore de The Cure.

Mais bon, l’idée n’est pas de jaser de son roman sorti en mai 2022, cette lointaine époque où l’on venait à peine de brûler nos masques. De toute façon, ma collègue Laïma l’a déjà fait avec brio.

Non, je voulais qu’on se rencontre pour parler de sobriété, après avoir vu passer la veille une publication sur sa page Instagram.

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Deux ans de sobriété quand t’as 29 ans, c’est pas rien non plus, surtout lorsque l’on sait que l’alcool sert de lubrifiant social pour la plupart de nos activités. Le sujet me tient particulièrement à cœur, d’autant plus que je lève mon chapeau aux gens capables de s’amuser sans boisson, ce que je n’imagine pas faire avant encore une quarantaine d’années.

« C’est plus facile que je pensais, je pars d’une place de privilégié », lance d’entrée de jeu Alex, pour qui boire est d’abord une activité sociale. La pandémie a donc été un bon point de départ pour se lancer dans la sobriété. Iel jouit aussi d’un noyau social solidaire qui lui épargne le peer pressure. « On aime le magasinage en ligne et aller bruncher. Pour des gens qui aiment fêter, ça doit être difficile », admet Alex.

Même si à l’entendre, la sobriété ne semble pas être la mer à boire (hoho), Alex l’approche à sa manière, sans la cantonner en abstinence formelle. « C’est moi le boss. Et j’ai la chance de ne pas avoir besoin [d’alcool] pour aller danser ou faire du karaoké. »

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De son propre aveu, Alex a commencé à boire à 14 ans et avec enthousiasme, surtout durant l’adolescence. L’alcool lui servait alors de béquille émotive pour garder les gens à une bonne distance et venir à bout de la gêne. Plus tard, il jouera un rôle moins festif. « J’avais une cloche, puis le vin devenait triste en alcool, j’avais des crises et de l’anxiété. Des comportements que j’avais vus dans ma famille. »

Bien sûr, il y a des remises en question. Pour quelqu’un qui croit en l’automédicamentation, la sobriété constitue au passage le refus d’une substance qui fait du bien et calme l’anxiété lorsque consommée avec modération. Pas si simple, donc, de faire une croix sur un engourdissement volontaire de temps en temps.

« Le plus tough après deux ans, c’est de ne pas pouvoir mettre son cerveau à off. Ça me manque d’être pas toujours là », illustre Alex, qui ne fume pratiquement pas non plus.

Résultat : iel avoue s’être un peu éloigné.e. « Il ne faut pas que la sobriété m’isole non plus. Faudrait que je me trouve de quoi… »

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En attendant de participer au prochain Color Run ou s’abonner au Bloc Shop, Alex apprivoise le milieu littéraire, où se nouent jusqu’ici de belles rencontres.

Eh oui, c’est possible de frayer dans les salons sans tituber dans une buvette régionale crado (burp). « Pour moi, c’est une job. J’ai déjà travaillé dans un bureau et les partys de Noël étaient liés à des regrets. Par chance, je connais quelques auteurs que j’admire beaucoup qui ne boivent pas », souligne Alex, qui a notamment vécu une soirée de lecture publique mémorable dans un bar où pratiquement tout le monde était à jeun.

Si iel tient bon depuis deux ans, c’est sans se bercer d’illusions non plus. Une rechute est possible. « Cet été, quand ça n’allait pas bien, je m’étais mindé.e à me dire qu’un verre n’efface pas les acquis. Comme le végétarisme : c’est une décision personnelle », insiste Alex.

D’autant plus que son parcours ne passe pas par les réunions des AA* et les programmes, où Alex aurait l’impression de subir une sorte de pression de performance, avec tous ces concepts de jetons et de dates d’abstinence.

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*Une visite il y a quelques mois à une réunion des AA m’avait toutefois permis de réaliser qu’une jeune clientèle s’était greffée à celle qu’on imagine souvent plus âgée.

« Je ne jugerai jamais les gens qui sont là-dedans. Je me rends compte que tout le monde fait son possible pour prendre soin de soi », croit Alex.

Et si ça implique de s’en remettre à quelque chose qui nous dépasse, why not.

Le dos large de l’alcool

Loin des programmes, les réseaux sociaux offrent un espace de partage intéressant. « C’est positif d’en parler et de montrer plusieurs aspects de la sobriété. »

Alex estime qu’on ne réalise peut-être pas à quel point il est pernicieux d’imputer systématiquement nos mauvais comportements à la consommation. « J’ai l’impression que l’alcool a le dos large », tranche Alex.

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L’alcool prend d’ailleurs beaucoup de place dans Les Pénitences, où la violence reprend à mesure que s’entassent les bouteilles de bière.

En entrevue avec ma collègue, Alex avait admis que le processus d’écriture n’avait d’ailleurs rien de thérapeutique, contrairement à l’adage habituel. « Je m’identifie beaucoup à ce qu’en dit l’autrice Marie-Pier Lafontaine (Chienne, Éditions Héliotrope) : replonger dans ses traumas et en tirer un récit, c’est tout sauf thérapeutique, parce que c’est retraumatisant », affirmait-iel.

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Un peu plus d’un an plus tard, le discours reste le même, mais quelque chose de réparateur s’est immiscé dans le cheminement. « Ça a parlé à des gens et ils se sont reconnus. Il y a une forme de paix qui se fait, mais je constate que, quand on vient d’une famille dysfonctionnelle, si t’es dans le journal, on va être fier de toi de toute façon », raconte Alex au sujet de l’inspiration des personnages de son roman puisée à même son entourage.

En quête cette fois d’un peu plus de douceur, Alex s’attaque à un deuxième roman, dont la publication est prévue en 2025 (toujours à la maison d’édition Le Cheval d’août). « J’ai essayé de faire vivre mon livre le plus possible, mais il faut tourner la page. »

Ce nouveau projet aborde la maison, un thème qui fascine et obsède l’auteurice. « Ce lieu qui incarne la sécurité peut aussi être un endroit d’abus et d’enfermement. »

Le roman tournera aussi autour de l’héritage familial, du lègue. « Mon inspiration était au départ d’écrire une histoire d’amour. C’est un défi, quand t’as été dans un milieu toxique, d’accepter la bienveillance et la douceur », souligne Alex, qui expérimente justement la chose auprès de son copain, un amateur de microbrasseries qui respecte sa sobriété.

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En attendant de lire le prochain Alex Viens, on pourra d’ici là l’entendre au micro de Marie-Louise Arsenault.

Autant d’activités qui lui font tirer un trait sur Grand-mère grunge, la défunte et populaire chaîne YouTube qui l’a révélé.e. « Je suis fièr.e du travail fait, mais ça devient gênant parce que c’était des vidéos full personnelles. J’avais 24 ans, pas de cash et je parlais de mes punaises de lits », rappelle Alex en riant.

La littérature permet aussi d’explorer des zones très intimes, mais sans se répandre sur les réseaux sociaux. « Le livre, c’est tellement un beau médium », conclut Alex.

Mais bon, rien pour l’empêcher en parallèle de renouer avec son enfant de 12 ans intérieur en se lançant dans la fabrication de colliers de billes pour son entourage. Un hobby comme un autre, justifie Alex. « J’assume que j’ai l’air de la matante scrappy qui fait des chandelles qui puent. »

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