.png)
Habituellement, lorsque je mentionne la ville dont je suis originaire, Pincourt, ladite municipalité n’évoque absolument rien pour mon interlocuteur: “Pincourt? C’est quoi, ça?”
Eh bien, c’est dur à dire. C’est un village-ville-dortoir-banlieue oubliée. Ce n’est pas que ce soit si petit ou même très éloigné, mais tout simplement que la place est essentiellement dépourvue de caractère. Ce n’est pas, en somme, un endroit où l’on a affaire. L’on y vit, l’on y dort et l’on en déménage en général fort rapidement.
Pour voir Pincourt en images, c’est par ici!
1- Mais c’est où, donc?
C’est à 45 minutes de Montréal. Pincourt est l’une des 4 municipalités couvrant le territoire de l’Île Perrot avec Terrasse-Vaudreuil, Ville-Île-Perrot et Notre-Dame-de-l’Île-Perrot. Elle occupe la partie sud-ouest de l’Île. Celle-ci est située à l’ouest de Sainte-Anne-de-Bellevue et baigne dans les eaux du Lac St-Louis, du Fleuve St-Laurent et du Lac des Deux Montagnes.
C’est presque sûr que vous l’ayez déjà traversée: l’autoroute 20 passe dessus. C’est toujours à ce moment-là de mon explication qu’on me dit: “Aaaaaah ouiiiii! Je vois c’est où, là!”
2- Ok, mais d’où est-ce que ça sort, cette place-là dont l’existence me semble encore suspecte?
Ça a toujours été plus ou moins là, mais effectivement, le statut municipal de la ville est relativement récent. Avant qu’elle n’acquiert son statut de ville vers la fin de années 50, c’était un genre de non-lieu destiné à la villégiature. La maison où j’ai vécu jusqu’à mes 17 ans était d’ailleurs un chalet à l’origine.
On raconte aussi que dans le temps, l’Île Perrot était une sorte de ghetto où s’entassait les ouvriers pauvres travaillant à Ste-Anne-de-Bellevue et qu’il s’y faisait le soir d’endiablées bacchanales prolétaires qui choquaient bien fort les patrons habitant de l’autre côté des rapides Quinchien.
Si on remonte avant, on peut affirmer mollement mais sans trop avoir peur de se tromper que la présence coloniale s’y est fait sentir assez tôt. Il reste même sur l’île un moulin du 18e siècle qu’il est possible de visiter, complet avec guides touristiques en costume d’époque et petit parcours historique. Si ça vous dit, ça peut vous faire une activité dominicale tout à fait correcte.
Savoureuse parcelle de juteuse culture littéraire du terroir: l’île Perrot a même connu un certain destin littéraire: c’est le lieu où se déroule l’intrigue du roman Salut, Galarneau!, lequel Galarneau tenait une patate roulante. Cette patate a bel et bien existé jusqu’à la fin des années 90 et leur frites étaient fort bonnes.
3- Bon, OK, mais on fait quoi dans une place de même?
Rien. On vit. On se fait piquer par les moustiques. On attend que les jours passent.
C’est réellement un endroit absolument ennuyeux. Les bungalows semi-détachés datant des années 60, 70 s’y alignent sur les axes principaux, soit l’ironiquement nommé boulevard Forest et les non moins trépidants boulevards Cardinal-Léger et Olympique, ainsi désigné parce que la torche de 1976* était passée dessus. Les voisins se parlent peu. C’est parce qu’outre le fait qu’il y ait une assez grande disparité linguistique dans la population, ce n’est pas un lieu où l’on prend racine. On s’y implante et s’en extrait au gré des changements de jobs.
Ça fait une atmosphère assez plate, mettons. Les concitoyens, qui ne se connaissent pas, se regardent avec méfiance et gardent leur quant-à-soi. S’ils te voient planter en vélo ou en patins à roues alignées, ils vont juste te considérer de haut et de loin avec hostilité, comme si tu les faisais chier de t’être fait mal (expérience vécue).
4- Wow… rien d’autre?
Ben écoutez, c’est une banlieue, on habite pas là pour vivre la vive de bohème. Mes parents jardinaient et regardaient les oiseaux. Je m’ennuyaias avec beaucoup d’ostentation. Mais à ma connaissance, il y avait quand même d’autres activités citoyennes fort prisées: faire pétarader toutes les formes de petits moteurs insupportables; par exemple, toute itération de véhicules rimant avec “ou” (skidoo, seadoo, 4 roues), scies variées, séances de tondeuses interminables. Gueuler après les jeunes qui coupent dans les petits sentiers boisés entre les quartiers ou par la trail des pylônes est une occupation assez populaire aussi. “Jouir de la forêt” ou du moins du peu qu’il en reste.
5- Meh. C’est plate.
Certain! Puis tsé, tant qu’à avoir une ville plate, pourquoi l’agrandir? Je le sais pas, mais croyez-le ou non, le développement domiciliaire y va bon train et la municipalité a vendu au plus offrant, soit M. Grilli, de larges portions de la belle forêt un tantinet marécageuse de charmes de Caroline qui occupe la portion centrale de l’Île, une des dernières forêts autochtones de l’archipel d’Hochelaga. Il y a d’ailleurs eu une certaine mobilisation citoyenne lorsque le rasage agreste s’est intensifié, au début des années 2000. Le promoteur, devant les pressions inattendues, a consenti à laisser quelques petits bouquets de fouets feuillus entre ses Mc Mansion bien beiges.
Et parce que la vie est pleine d’ironie, la Commission de toponymie du Québec a entériné sans sourciller les noms des nouvelles rues, par exemple: rue Boisé des Chênes, rue des Frênes, rue des Mélèzes, ce qui ne manque pas de faire rouspéter ma maman à chaque fois qu’elle y passe: “OÙ ÇA, DES MÉLÈZES?”
C’est d’ailleurs cette forêt de plus en plus décimée qui constitue l’unique attrait de l’endroit. Toute cette verdure! La complainte suavement mélancolique du vent dans la canopée pis toute! Je veux dire, si vous aimez les oiseaux, les grenouilles, les arbres, les petits animaux, les plantes de sous-bois et la randonnée dans les frais bocages, il y a vraiment moyen d’y trouver votre profit MAIS VITE, parce que les maisons s’y construisent à un rythme effrené!
Non, mais il faut comprendre: on manque de maisons au Québec, les conditions hypothécaires sont tellement excellentes dernièrement en plus et les arbres, tout le monde sait que ça sert à rien sauf à émouvoir des sales races de hippie dans mon genre.
6- Mouin. Pis à part de d’ça?
Comme je l’ai mentionné ci-dessus, il y a une ligne de pylônes qui coupe l’île d’est en ouest. Ça peut sembler sans intérêt, mais bon, à défaut de grives, on trouve les merles cute ou quelque chose dans le genre**. En tout cas, c’est là que les jeunes vont faire des feux et s’adonnent à des consommations illicites et que les moins jeunes s’y promènent et cueillent des petits fruits sauvages qui y poussent en abondance. Quelques insulaires se partagent ce petit secret et surveillent de près le mûrissement des framboises et des mûres à chaque saison. Les bonnes années, on parvient souvent à en ramasser assez pour faire des confitures et des tartes.
Si vous poussez un peu votre promenade, vous parviendrez à la pinède sur le plateau central de l’île. C’est pas mal joli. Encore un peu plus loin et vous tomberez sur le terrain de paintball abandonné.
7- Ça fait que j’imagine que vivre là-bas quand t’es jeune, c’est plate rare?
Je n’aurais pas su si bien dire! Vous aurez compris que pour les adolescents, c’est assez douleureux de résider dans un endroit pareil. Les infrastructures s’y développent très lentement et tisser des liens durables n’y est pas évident vu les déménagements chroniques.
En conséquence, voici en quoi consistaient les activités de jeunes de mon temps: fumer du pot, fumer du pot sous les pylônes, fumer du pot autour d’un feu, fumer du pot à la cabane à sucre abandonnée, fumer du pot dans les quelques parcs, fumer du pot dans le stationnement de l’Omni-Centre, fumer du pot sous les ponts, fumer du pot proche des chemins de fer, fumer du pot au centre commercial, se faire un snack le dimanche après-midi parce que c’est trop plate.
Bon, on rigole, mais certains jeunes un peu moins vedges trouvaient le moyen de s’occuper. Il y a eu un skate park de construit, par exemple. Il est aussi possible d’aller aux quilles, à la piscine ou de pratiquer la magie noire (fait vécu).
Mon frère, lui, pêchait pas mal avec ses amis sous les deux ponts, c’est-à-dire le pont Galipeault entre Ste-Anne et l’Île Perrot et le pont Taschereau qui relie Pincourt et Vaudreuil-Dorion. Ils y prenaient du crapet soleil, de la perchaude, de l’achigan, du doré et de la barbotte, laquelle ils parvenaient à revendre à un monsieur vietnamien.
8- Pis y aurait eu moyen de faire du canot aussi?
Euh, non, pas tant que ça. Il faut préciser, pour ceux qui voudraient s’y adonner, qu’il n’est pas recommandé de faire du canot dans les eaux qui bordent l’île: les courants peuvent y être forts. Même qu’une fois, lors d’une partie de canotage du cours d’éducation physique de la Cité des Jeunes, une des embarcations avait été entraînée loin dans le lac des Deux Montagnes. Le prof avait obligé tout le monde à rester là à attendre qu’une autre équipe aille chercher les demoiselles en détresse pendant que lui nous contemplait avec ses bras croisés et son air de bœuf.
En rétrospective, c’était mignon parce qu’un des garçons de l’équipe de sauvetage était amoureux d’une des naufragées, mais c’était cave aussi parce qu’il mettait en danger ces élèves-là plutôt que de s’en occuper lui-même tout en nous retenant après l’heure des cours, ce qui était absolument inutile. Il pouvait ben nous traiter de mauviettes après…
9- Il y avait des weirdos, au moins?
Ah! Sans doute, qu’il y en avait. Comme je vous disais, les gens ne se parlent pas ben, ben dans mon coin. Mais comme toute bonne banlieue qui se respecte, la norme est rigidement maintenue ce qui fait que toute la lie se ramasse rapidement au fond (du parking de l’Omni-Centre). La ville avait son lot de malades mentaux, dont beaucoup sont de mes amis: je ne leur ferai pas la vacherie d’en parler ici.
Sinon, j’ai eu ouï-dire qu’un des ermites patibulaires habitant l’un des quelques shacks décrépits de mon quartier était un pédophile, mais la fille qui racontait ça était sans doute mythomane. C’était une histoire assez tarabiscotée merci, de course dans le boisé à côté du débarcadère de la Pointe-au-Renard, et comme quoi elle s’était valeureusement défendue et échappée… Dans tous les cas, elle a disparu un jour. Victime du syndrome du déménagement chronique, victime graciée, discréditée puis sordidement sacrifiée ou enfant de la DPJ subitement transplantée d’un foyer d’accueil à l’autre? Qui sait.
Il y avait aussi notre ancienne gardienne qui avait un certain problème de filtrage verbal: une fois, elle nous a raconté avec moult détails la conception de son garçon, laquelle fut accomplie sur une grosse roche plate dans la forêt au soleil clair d’un avant-midi de printemps frisquet. Lorsqu’elle nous fit ledit récit, j’avais 11 ans et ma mère, un gros malaise.
Y a aussi le monsieur qui a commencé à bâtir une plus grosse maison autour de sa petite maison. Ça n’a rien de si weird que ça, mais de voir la chose aller, ça avait quelque chose de touchant et de triste, surtout quand on sait que sa femme était morte du cancer.
En fait, les plus weirdos, c’était probablement ma mère, cette incorrigible enfant de la nature, et le garagiste illégal sketchy de l’autre bord de la rue. Ma mère était absolument outrée du massacre du gros pin blanc qui présidait à nos destinées aux angles de la 44e avenue et du 3e boulevard et de toutes les carcasses de chars abandonnées sur le terrain. Lui voulait rien savoir de ses outrages et voulait traficoter en paix, seul avec les 4 dents qu’il lui restait dans la bouche. Ils se sont rendus en cour municipale avec ça et elle a eu gain de cause. Bravo, maman! <3
Bref, Pincourt est un belle poche de vie en plein développement. Il paraîtrait que le prix de propriétés y est assez correct, et c’est une option de résidence envisageable pour la famille qui travaille dans la métropole. Les amants de la tondeuse y sont les bienvenus!
*Dans le sens de flamme olympique. Non, c’est pas le nom d’un des weirdos.
**Oui, je connais la forme figée du proverbe, mais merci, c’est gentil!
Pour voir Pincourt en images, c’est par ici!
***
Pour lire un autre reportage Ville de la semaine : Fleurimont