« Au départ, je voulais pas faire Severance. Je voulais pas faire un show de bureau. »
Vous ne connaissez peut-être pas encore Jessica Lee Gagné. Vous ne savez peut-être pas non plus en quoi consistent les tâches d’une directrice de la photographie sur un plateau de tournage, mais si vous regardez la série télévisée Severance dont la deuxième saison fait jaser tout l’internet, vous appréciez déjà le talent de Gagné.
.jpg)
Denis Villeneuve et feu Jean-Marc Vallée ont pavé la voie vers Hollywood pour les créateurs et créatrices de la Belle Province, mais on entend encore trop peu parler des femmes d’ici qui œuvrent devant et derrière la caméra. Après avoir gravi les échelons du milieu à vitesse grand V grâce à son talent, son dévouement et son approche atypique, Jessica Lee Gagné s’estime maintenant prête à raconter ses propres histoires.
Comme quoi le vent est en train de tourner.
De Chloé Robichaud à Ben Stiller
Le premier long métrage sur lequel Jessica Lee Gagné a travaillé en tant que directrice photo est Sarah préfère la course de Chloé Robichaud, qui a connu cette année un immense succès à Sundance avec son nouveau film, Deux femmes en or. Ce n’est pas exactement une coïncidence si les deux créatrices font parler d’elles au même moment.
« Chloé, ça a été ma première amie au Cégep », explique Jessica Lee Gagné, diplômée du programme de cinéma du Cégep François-Xavier Garneau.
« Dans le cadre de notre tout premier projet scolaire, elle a joué dans mon film et j’ai joué dans le sien. Je pense que ces films n’existent plus aujourd’hui, mais j’aimerais bien les revoir. »
Comment gradue-t-on de productions locales aux séries à grand développement? Jessica affirme s’être lancée à corps perdu dans le travail dès sa sortie de l’école et avoir travaillé sur jusqu’à quatre productions par année afin de développer son esthétique unique qui rendra ses services prisés par l’industrie. « C’est pas tout d’être bon dans ce que tu fais, si tu veux aller travailler à Hollywood. Il faut aussi être prêt pour cette expérience. »
C’est le film indien Daddy, paru en 2017, qui sera le tremplin de Jessica vers les plus hautes sphères de son métier. « Cette production a vraiment reconfiguré mon cerveau. C’est là que j’ai appris à travailler à plus grande échelle avec une équipe pour me soutenir. C’est la première fois que j’avais un designer de plateau pour m’aider », raconte-t-elle.
Depuis, les services de Jessica sont recherchés pour de multiples raisons : ses méthodes de travail holistiques qui sortent du cadre conventionnel des grosses productions, son esthétique très seventies et son perfectionnisme en sont les principales. C’est après avoir vu le film Sweet Virginia sur lequel Jessica avait travaillé que Ben Stiller la contactera pour son projet télé Escape at Dannemora, paru en 2018.
« Je venais de déménager à Paris quand j’ai eu l’appel. On s’est parlé sur Skype et le courant a tout de suite passé. Là-bas, le processus pour faire des films est souvent très lourd et hiérarchique, et je ne travaille pas comme ça. Pour moi, on peut créer une scène ou faire des ajustements à tout moment et je pense que c’est ça qui lui a donné le goût de travailler avec moi », explique Jessica.
Le perfectionnisme : une lame à deux tranchants
« J’avais oublié que je voulais être réalisatrice », confie Jessica Lee Gagné.
Non seulement Jessica n’était d’abord pas intéressée à travailler sur Severance, mais elle ne voulait pas faire la deuxième saison, non plus. « Mon fun, c’est de créer des mondes, de rendre les choses belles ou intéressantes à l’écran, et je croyais qu’on avait fait le tour des possibles avec la première saison. »
C’est en lui offrant de réaliser un « bloc » (deux épisodes) que Ben Stiller la convainc de revenir. À la lecture du scénario, Jessica décide de ne réaliser que l’épisode sept, qui sera diffusé le 28 février prochain. Le scénario l’ayant particulièrement marquée, c’est un moment important pour elle et un choix qui risque de redéfinir sa carrière.
« Je suis incapable de prendre la critique. Toute ma vie professionnelle, je me suis protégée en me mettant dans des positions où j’étais impossible à critiquer, mais j’ai perdu de vue ce que je voulais vraiment faire. »
Si elle s’est fait connaître comme directrice photo, c’est parce que c’était un domaine plus naturel pour elle, mais Jessica Lee Gagné a maintenant l’intention de faire le grand saut en devenant réalisatrice. Un changement de cap qui l’effraie, mais pour lequel elle se sent prête.
« Il me faudra être patiente, et ça, c’est un aspect du boulot avec lequel j’ai eu de la difficulté dans le passé, mais je travaille déjà sur quelques projets », confirme la créatrice.
Avant ses 40 ans, Jessica Lee Gagné a réalisé le rêve de plusieurs.
Elle crédite tout d’abord la chance et les rencontres opportunes, tout en demeurant consciente que son éthique de travail, et son esthétique, dans un milieu souvent très homogène, lui ont aussi balisé le chemin. Au-delà de ce qui la distingue, Jessica croit que d’avoir simplement travaillé beaucoup et d’avoir fait connaître son nom dans le milieu a contribué à son succès.
« On vit à une époque où on est tous connectés. Où une petite production indépendante québécoise peut faire tourner les têtes à Sundance. Souvent, la différence entre ceux et celles qui réussissent et les autres, c’est qu’ils l’ont fait. Ils ont fait leur film, ils l’ont présenté au monde, ils ont eu la réponse qu’ils souhaitaient et ça a entraîné d’autres opportunités. Faites vos projets, donnez-leur vie. C’est comme ça que les belles choses arrivent. »
Pas pire pour une jeune directrice photo qui ne voulait pas faire Severance. Elle a réussi parce qu’elle l’a fait.