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La vie après Rozon

Patricia Tulasne continue à se battre pour ses convictions, cette fois-ci dans l’arène politique.

Par
Hugo Meunier
Hugo Meunier
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« Je me suis libérée en parlant et on dirait que je me réapproprie ma vie, mes convictions et l’idéalisme de ma jeunesse disparu pendant 20 ans dans une vie parallèle où j’ai vécu recluse. J’ai envie de mettre ça au service des gens. »

Assise à la table de sa salle à manger dans Hochelaga-Maisonneuve, la comédienne Patricia Tulasne m’explique avec verve pourquoi elle a décidé de faire le saut en politique municipale.

À 62 ans, sans enfant et après avoir surmonté une longue saga judiciaire (qui n’est pas terminée d’ailleurs) contre le fondateur déchu de Juste pour rire Gilbert Rozon qu’elle accuse de l’avoir agressée sexuellement, Patricia Tulasne se sent plus libre que jamais. Elle souhaite maintenant faire sa part.

« Ça a été un processus difficile qui n’est pas terminé (Gilbert Rozon a été acquitté de la seule plainte retenue contre lui pour viol et poursuit Mme Tulasne au civil pour diffamation), mais le fait de parler m’a libérée d’un poids terrible », confie l’ex-porte-parole des Courageuses, un regroupement d’une vingtaine de femmes affirmant avoir été agressé par Rozon entre 1982 et 2016 débouté en Cour suprême en novembre dernier. C’est ce revers qui a d’ailleurs motivé Mme Tulasne à intenter une action au civil.

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Toute cette affaire lui aura au moins permis de réaliser l’urgence de vivre et surtout l’importance d’essayer de faire bouger les choses. Encore plus lorsqu’on arrive à un âge où « il y en a plus derrière que devant », illustre la principale intéressée. « J’ai plus assez de temps pour me résigner, je dois me battre! », lance Patricia Tulasne avec aplomb.

Son champ de bataille, c’est l’arrondissement Mercier-Hochelaga-Maisonneuve, où elle brigue la mairie sous la bannière (au départ) du Parti Ralliement pour Montréal.

Cette fois encore, la lutte s’annonce périlleuse.

D’abord parce que la formation pour laquelle elle se présente s’est ralliée le 30 septembre dernier au Mouvement Montréal de Balarama Holness. Une surprise pour Patricia Tulasne, et c’est là un euphémisme. « On a appris la fusion dans les médias, le chef du Parti (Marc-Antoine Desjardins) nous a annoncé sa démission par courriel deux semaines plus tard et mes deux colistiers ont quitté le navire », soupire Patricia Tulasne, qui ne veut pas s’étendre davantage sur le sujet pour ne pas nuire à ses camarades en campagne.

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« Mais je ne suis pas une lâcheuse, alors je vais rester jusqu’au bout et ensuite on verra! », enchaîne-t-elle avec enthousiasme.

Son travail au sein du comité Rebâtir la confiance, qui a accouché d’un volumineux rapport d’expert.e.s sur l’accompagnement de victimes de violences sexuelles et conjugale l’a aussi encouragée à faire œuvre utile. « Il y a eu un déclic chez moi, une envie de faire des choses utiles », confie Patricia Tulasne.

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Comme si elle n’épouse pas vraiment les positions de son nouveau chef imposé (son projet de ville bilingue notamment), Patricia Tulasne propose d’abord une alternative aux citoyen.ne.s de son quartier. « J’ai moi-même cogné à la porte de Ralliement pour Montréal parce que je voulais offrir une troisième voie aux gens qui ne veulent pas de Denis Coderre et qui sont déçus par Valérie Plante », explique Patricia Tulasne, qui habite le quartier depuis 20 ans.

C’est suffisant pour connaître les enjeux, légions, qu’elle promet de défendre bec et ongles peu importe le parti qui imprime ses pancartes. « Il y a beaucoup de drogues, d’itinérance, de problèmes de santé mentale, de gentrification et les travaillleuses du sexe sont laissées seules sur Sainte-Catherine à l’abandon. Je suis pour la mixité, mais faut pas tasser les gens plus marginaux non plus », énumère Patricia Tulasne, convaincue que l’argent est mal redistribué dans le quartier pour aider ces gens.

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Si elle devenait mairesse, elle s’engagerait à mettre davantage les nombreux organismes communautaires du quartier à contribution. « C’est eux qui ont les solutions, il faudrait juste leur faire confiance », croit-elle.

Cette ardente militante des droits des animaux souhaite micropucer les chiens et chats, en plus d’améliorer le contrôle et de freiner l’euthanasie des bêtes, veut s’inspirer de la ville de Calgary, où la fourrière municipale n’est pas à but lucratif. Patricia Tulasne avait aussi fait de la protection des animaux son cheval de bataille lorsqu’elle s’était présentée comme indépendante à la mairie de Montréal en 2013, récoltant environ 2500 voix.

Si elle remet ça, c’est qu’elle se décrit comme une battante, mais aussi parce qu’elle voit -– impuissante – son quartier dépérir avec les années. « On met des gens au pouvoir et ensuite on se bat pendant quatre ans contre les gens qu’on a mis au pouvoir », déplore Patricia Tulasne en flattant son caniche Pedro, emmailloté dans un pull sur ses genoux. « Il est aveugle et édenté », précise la comédienne, tandis qu’Octave, le Beagle qu’elle a trouvé abandonné dans sa cour, me rôde autour avec un jouet dans la gueule. « Ce sont deux rescapés, je n’encourage pas des usines à chiots », tranche-t-elle.

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Sur le terrain, Patricia Tulasne constate que la polarisation Plante-Coderre est vive dans ses échanges avec les citoyen.ne.s. La lutte s’annonce d’ailleurs serrée entre les deux partis. En 2017, le maire Pierre Lessard-Blais (Projet Montréal) l’avait emporté de peu sur le vétéran Réal Ménard (qui fait d’ailleurs un retour pour un poste d’élu).

C’est la conseillère d’arrondissement pour le district de Louis-Riel, Karine Boivin Roy qui tentera de ravir la mairie pour Ensemble Montréal. « Les gens sont contents d’une troisième voie, mais c’est sûr que mon parti ne rallie pas beaucoup de monde dans mon quartier », reconnaît-elle avec lucidité.

Rien pour l’empêcher de constater qu’il existe à Montréal deux poids deux mesures dans la gestion des arrondissements. « Il y a des poubelles éventrées et des déchets partout ici, pas sûre que tu verrais ça à Westmount », déplore-t-elle.

Même constat entourant le feu vert au projet de transbordement de conteneurs de Ray-Mont Logistiques, qui inquiète les citoyens du secteur visé par le vaste chantier. Une centaine de camions devraient circuler chaque jour dans un secteur abandonné du quartier industriel que des citoyen.ne.s rêvent de voir converti en parc. « Le projet contribuera grandement à l’émission de gaz à effet de serre, mais on dirait que c’est tristement permis ici », soupire Mme Tulasne, d’avis que tout devrait présentement être décidé en fonction de la grille du réchauffement climatique.

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L’entrevue est finie, Patricia Tulasne se prépare à aller faire un peu de porte à porte. « Ce n’est pas ma force », admet-elle avec franchise, se disant paradoxalement timide de nature. « J’ai toujours l’impression de déranger les gens », avoue l’aspirante mairesse, qui se botte quand même le derrière pour le faire le plus souvent possible.

En sortant, le soleil brille. « Stérilisez vos animaux, soyez responsables! », peut-on lire sur une affiche dans la fenêtre de sa chambre. Patricia prend une pile de dépliants et de cartes d’affaires, avant de s’engager sur la rue Nicolet. Aucun bénévole ne l’accompagne, parfois elle demande à des ami.e.s de venir avec elle. « Presque tous ceux à qui je parle me disent qu’ils vont voter pour moi, reste à voir si c’est vrai! », souligne la candidate en allant frapper à une première adresse.
Pas de réponse. Le même manège se répète à la porte voisine. Les gens doivent travailler, en déduit-elle.

On continue. Les deux premières personnes à ouvrir disent avoir déjà voté par anticipation. « Si elles avaient voté pour moi, elles me l’auraient dit », souligne-t-elle en s’exclamant à la vue d’un chat magnifique.

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Les gens qui répondent sont polis, lui souhaitent bonne chance. « Je suis une citoyenne et je veux m’impliquer pour vous! », promet la candidate.

De l’autre côté de la rue, une jeune femme reconnaît la « candidate Patricia » et lui demande sa position sur le démantèlement du campement Notre-Dame l’an dernier. Les deux se mettent vite d’accord sur le côté inhumain de l’opération. « Je prends bonne note de tout ça et je trouve en plus qu’il manque de femmes en politique », tranche la jeune femme, qui se demande toutefois si elle ne devrait pas plutôt opter pour un choix stratégique pour barrer la route à Denis Coderre. « Plusieurs personnes me disent avoir ce dilemme d’ailleurs », admet Patricia Tulasne.

Je l’abandonne au coin de sa rue avec la certitude que même si elle ne devient pas mairesse dimanche, elle n’aura pas dit son dernier mot.