.jpg)
J’haïs ça l’échec. Je sais qu’on essaie fort de le valoriser par les temps qui nous poussent à performer trop et à nous rendre un peu fous à force de vouloir défoncer le plafond de la réussite, mais j’y arrive pas à me dire que c’est ok. Qu’on apprend de. Que c’est acceptable.
J’ai jamais trouvé ça acceptable, échouer. Jamais, jamais. D’aussi loin que je me souvienne. En fait, c’est plus tordu que ça, c’est plus que tout ce qui n’est pas en concordance avec mon idée du parfait, c’est un échec. Cause de l’anxiété, allô.
Mais ça vaut juste pour moi.
Je suis loin d’être sévère de même avec les autres. Je le suis même pas vraiment avec les p’tits. Pas assez, j’me dis, des fois. On dirait que je veux les préserver de ça, en fait, cette pression toute personnelle et sans doute pire que celle qui peut venir de l’extérieur. Parce qu’aux autres, on peut plus facilement dire tayeule ou écouter ailleurs. Mais pas avec soi.
En entrevue, j’ai jamais vraiment eu le choix de répondre que je suis trop perfectionniste ou que j’ai des exigences élevées envers moi-même, je le sais que c’est la pire des réponses parce que celle que beaucoup trop de gens utilisent, mais j’vois jamais quoi dire d’autre à part peut-être que mon bureau devient rapidement un bordel et ça ne me semble pas tant plus mieux comme réponse. C’est que.
Ça peut vraiment m’empêcher ou me ralentir dans l’existence que d’être ainsi parce qu’avec une telle manière de voir les choses vient une manière de faire les choses. Souvent une manière logique, une manière qui implique un enchaînement d’événements et d’actions qui répondent à un sens aigu de l’organisation, un tetris du monde. Honnêtement, ça suck avec les dents. Souvent, je ne peux pas faire autrement que suivre l’efficace de ma to-do list trop longue et trop détaillée et si bien alpha-numérotée. Allô, l’anxiété, j’ai dit, plus haut.
Donc l’échec, je suis appelée à le voir constamment, finalement.
C’est un peu subtil, ceci dit, mais c’est là. Dans cette inaptitude à être bien en soi et ailleurs que dans le calcul des gestes. Dans cette inadéquation, si souvent ressentie, avec le réel, avec la vie, avec ce que j’essaie de m’appliquer à être, à devenir. Il y a bien des lieux où je parviens à avoir une respiration plus légère, un poids de moins, une impression d’être adéquate. En classe, avec une craie. Dans le rire en cascade des p’tits. Dans les yeux des gens qui m’aiment malgré tout, malgré moi.
J’échoue à me voir, j’pense. Mais j’essaie fort, par exemple. Je risque souvent, je me garroche en avant, là où ma zone de confort est nulle parce que je ne peux prévoir le résultat ou juste le calculer à moitié. L’imprévisible et le spontané et le “n’y pense pas trop avant de” sont des armes efficaces contre moi-même, aie-je fini par découvrir.
Faut que j’aille là où je perds le contrôle, là où je ne peux tout paramétrer, là où la part de ce qui ne dépend pas de moi est plus forte que celle qui le fait. Là où je n’ai pas le choix de baisser les bras et de me dire que j’ai fait tout ce que je pouvais et qu’advienne que pourra. Même si ça me fait peur.
Même s’il y a des critiques. Même si je ne suis pas satisfaite.
La vie, me semble, comporte plus d’agréments quand on la prend avec un peu moins de psychorigidité. Quand on parvient à se sentir assez, malgré des envies d’absolu. J’écris ça et je cherche à me convaincre, ceci dit. À force de me le répéter, ça va peut-être finir par rentrer. Par s’accrocher à un bout de pensée et à faire son chemin jusqu’au fond de ce que je suis.
D’ici là, il y a des jours d’épuisement, des jours où tenir ma tasse à café, c’est ce que j’arrive à faire de plus signifiant. C’est chaud, ça me tient dans le ici et maintenant. Ça m’empêche d’aller dans le trop loin et dans le trop creux. J’haïs l’échec, je te disais. C’parce que c’t’un mot miroir, je pense. Je cherche une way pour le fracasser.
M’a peut-être finir par juste y pitcher ma tasse.
***
Pour lire un autre texte de Véronique Grenier : “Le plaisir”
Identifiez-vous! (c’est gratuit)
Soyez le premier à commenter!