Logo

La série « In Memoriam » : au-delà des classes sociales

Pas tous les riches sont nés aussi haïssables.

Par
Benoît Lelièvre
Publicité

Issu de la classe ouvrière, j’ai pris plusieurs années à comprendre qu’est-ce que ça signifiait, être riche. Pas métaphoriquement, là. La vraie richesse financière.

Celle qui fait que des gens sont nés et vivent leur vie sans jamais comprendre qu’on peut manquer d’argent ou qu’on doive se priver pendant quelque temps afin de s’offrir un plan de vie qui se tient ou juste un plaisir onéreux. Ces gens-là vivent dans un monde parallèle. Dans un univers les protégeant des problèmes qui affligent le reste du monde.

Malgré tout, ça ne veut pas nécessairement dire qu’ils ne souffrent pas et que cette souffrance n’est pas légitime. La nouvelle série-événement Crave In Memoriam explore cette inconfortable pensée selon laquelle un environnement dit « privilégié » peut aussi être un enfer. C’est à la fois extrêmement divertissant et assez complexe et lucide pour vous garder émotionnellement investis jusqu’à la dernière seconde de chaque épisode.

Bref, en plein mon genre de série!

Publicité

Le poids des fantômes

Sous ses vagues airs de version québécoise de Succession (également disponible sur Crave), In Memoriam renferme un drame de privilégiés très différent et surtout beaucoup plus universel que celui de la famille Roy.

Ici, les quatre frères et sœurs du clan de Léry ont été déchirés depuis longtemps par les idées et machinations machiavéliques d’un père extrêmement violent et manipulateur. À la mort de ce dernier, il leur laisse sa fortune de 84 millions de dollars… à condition qu’ils traversent une série de six épreuves conçue pour essayer de les détruire, une dernière fois.

Le génie d’In Memoriam, c’est de juxtaposer trauma et cupidité comme deux conditions qui peuvent coexister à parts égales à l’intérieur d’une personne.

Publicité

Que c’est possible pour quelqu’un d’être à la fois une victime et un agresseur. Riche, mais blessé pour la vie. C’est très confrontant et, dans les premiers épisodes, ça se passe beaucoup à travers le personnage de Mathieu (le beau Éric Bruneau), rejeté par sa fratrie pour des transgressions passées. Pour les jeunes survivants, Mathieu sert à la fois de grand frère et d’antagoniste.

Le reste de la famille de Léry n’est pas blanc comme neige, non plus. Judith (Catherine Brunet) a besoin d’argent pour aider son ex-copain toxicomane endetté, Julien (Jean-Simon Leduc) est poursuivi pour fraude en Suisse et Lucile (une Évelyne Brochu dont je m’ennuyais) traîne sur ses épaules une histoire d’assassinat de chien pas encore 100% claire. Les quatre enfants de Paul-Émile de Léry (et tous ceux qui ont partagé sa vie) traînent une blessure avec laquelle ils doivent composer, mais aussi une noirceur qui prend le contrôle dans les moments les plus inopportuns.

In Memoriam est, d’abord et avant tout, une étude complexe de personnages qui met à l’épreuve la vieille moralité judéo-chrétienne selon laquelle les gens sont soit bons, soit mauvais. Parce qu’on peut être les deux à la fois et même plus encore, si on sent le besoin de se protéger. C’est ce genre de nuance qui rend une histoire palpitante et imprévisible.

Publicité

La fine ligne entre l’inspiration et l’exploitation

Tout le monde a pensé la même chose à l’annonce d’In Memoriam : « Bon, v’là notre Succession local. C’est à notre tour de regarder des riches s’entre-détruire. »

C’est cependant beaucoup plus compliqué (et immersif) que ça. Voyez-vous, l’idée d’une famille riche où les enfants se démènent pour se prouver à leur père est peut-être inspirée de la série américaine, mais elle n’est en aucun cas une tentative d’exploiter les mêmes émotions. Les auteurs Pierre-Marc Drouin et Pascale Renaud-Hébert ont visiblement regardé Succession, mais elle leur a inspiré quelque chose de différent. De plus sombre et introspectif.

In Memoriam n’invoque pas QUE Succession, non plus. La structure narrative rappelle notre obsession pandémique collective pour Squid Game avec sa mortelle série d’épreuves. Toutefois, ces épreuves-ci ont été pensées pour ne garder qu’une seule personne dans la classe sociale dans laquelle la famille a grandi. Au fond, c’est un genre de Squid Game existentiel marxiste où les protagonistes ne doivent pas remporter les épreuves pour gagner, mais pour se détacher de ce qu’on croit savoir à propos de soi-même. La rédemption des personnages équivaut à refuser du cash, mais personne ne s’en sent capable.

Pensez ce que vous voudrez à la lecture du synopsis d’In Memoriam ou même de cette critique, mais je trouve ça merveilleux qu’une série aussi nuancée au niveau de la psychologie des personnages ait été créée grâce à la douce alchimie de l’inspiration.

Publicité

In Memoriam s’inscrit dans les enjeux et les tensions sociales du moment, mais offre un regard empathique et rassembleur sur les conflits intérieurs qui nous séparent, souvent sans même qu’on s’en rende compte.

La moitié seulement des épisodes est disponible en ligne, mais dépêchez-vous de clencher ça puisque le reste suivra au rythme d’un épisode chaque jeudi pour tout le mois d’avril! C’est la série du printemps, ne manquez surtout pas ça.