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La saison morte

Un Vieux-Montréal abandonné.

Par
Hugo Meunier
Hugo Meunier
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« Hier j’ai fait 53$ dans toute ma journée », soupire Alok, derrière le plexiglas de sa boutique de souvenirs située tout juste à côté de la basilique Notre-Dame dans le Vieux-Montréal. Il se souvient avec nostalgie de l’an dernier à pareille date, alors que des centaines de clients défilaient devant lui chaque jour.

Les temps sont durs pour Alok et pour plusieurs autres commerçants du coin.

Une simple balade dans le quartier le plus touristique de la métropole par un jeudi après-midi ensoleillé suffit pour s’en rendre compte. Les terrasses sont pratiquement désertes, plusieurs boutiques sont fermées et les passants éparpillés sont surtout des employés en pause ou en déplacement.

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Les rares visiteurs croisés viennent des environs ou de l’Ontario, mais leur nombre est famélique en comparaison avec la manne de touristes étrangers, de groupes et même de camps de jours qui affluent d’ordinaire. « Je ne fais pas assez de profit pour garder mes employés, j’ai réduit mes heures d’opération et j’ai du mal à payer le loyer », enchaîne Alok de la boutique Bastix, qui dit avoir reçu un peu d’aide du gouvernement.

«D’habitude les gens sortent d’ici avec de gros sacs. Ils achètent des vêtements et des répliques de la basilique. Depuis février, c’est terminé…»

Un plaster sur une hémorragie à l’entendre. « On a quatre mois d’activités par année où c’est payant et où on roule à deux caisses. C’est un désastre total », tranche le commerçant, en train de scanner le porte-clés d’une cliente montréalaise. « D’habitude les gens sortent d’ici avec de gros sacs. Ils achètent des vêtements et des répliques de la basilique. Depuis février, c’est terminé…», résume Alok, près d’un mur complet de coton ouaté aux couleurs du Canada.

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Ce qui frappe à l’extérieur, c’est le calme plat autour de la basilique, où les hordes de touristes inondent habituellement la place d’Armes. D’importants – et assourdissants travaux – sont toutefois en cours sur la paroi de l’église et plusieurs boutiques sont fermées sur la rue Notre-Dame.

Ludmila, une employée de la banque, casse la croûte en solitaire à l’ombre de la statue de Maisonneuve. « C’est vrai que c’est très relaxe, mais ça fait juste sept mois que je suis au Québec, alors je ne sais pas ça ressemble à quoi d’habitude », explique la jeune femme d’origine algérienne, au sujet de la tranquillité ambiante.

Pas l’ombre d’un touriste en vue.

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Au loin, un couple se balade main dans la main, l’air de flâner avec des sacs à dos.

Des premiers touristes? « No, no, we live here in Montreal », répond la dame.

En chemin vers le port, j’arrête à l’hôtel Saint-Sulpice pour voir si on observe une baisse d’achalandage. « 100% », répond l’employée, qui me suggère d’appeler son patron pour en savoir plus.

Je pousse la porte du musée Pointe-à-Callière en ayant une pensée pour l’exposition « Les Incas, c’est le Pérou », qui doit passer dans le beurre sur un joli temps.

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« J’ai peut-être des lunettes roses, mais ça recommence tranquillement et nos nouveaux forfaits se vendent bien », nuance toutefois la directrice des communications et du marketing Marie-Josée Robitaille, à propos des « passeports attraits » vendus en concertation avec d’autres attractions dans l’espoir de revigorer le tourisme local. « Les gens sortent du confinement et veulent aller jouer dehors. On espère qu’ils vont reprendre l’envie de faire des sorties culturelles », ajoute Mme Robitaille, misant notamment sur les vacances de la construction qui s’amorcent.

Pour l’heure, le musée doit en effet se contenter des touristes des environs. Des gens comme Cindy et ses deux ados, venus de Châteauguay pour voir le musée. « C’est accessible et il n’y a pas d’attente. Il n’y a pas de visite guidée par contre à cause du virus », raconte la maman, qui n’a jamais vu Montréal aussi tristounette.

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En fait, le Vieux semble avoir perdu son âme. Pas d’amphibus, d’amuseurs publics, de caricaturistes sur la rue Saint-Amable ni de tour de saute-mouton sur le fleuve, en plus de la disparition des calèches qui faisaient jadis partie du paysage. En fait la baleine égarée est le seul buzz qui a un peu fait vibrer le coeur du quartier dernièrement, mais l’histoire s’est très mal terminée.

« D’habitude les cuisinerS sont en rush 4-5 heures par jour », calcule Clémence, assise à l’avant d’un foodtruck de smoke meat, estimant servir une trentaine de clients par jour.

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Sur le quai du Vieux-Port justement, quelques joggeurs et cyclistes insufflent un semblant de vie, pendant que les employés des foodtruck pianotent sur leurs cellulaires pour passer le temps. « D’habitude les cuisiners sont en rush 4-5 heures par jour », calcule Clémence, assise à l’avant d’un foodtruck de smoke meat, estimant servir une trentaine de clients par jour.

« C’est vraiment mort! », constatent également Jennyfer et Baptiste, les employés d’Éco récréo, qui loue des pédalos et des quadricycles. « On a fait environ 13 000$ en juin contre 67 000$ l’an dernier. Il y un peu de monde le samedi soir », observe Jennyfer. Son collègue constate pour sa part que la clientèle est à cran. « Il y a de la violence verbale et les gens sont agressifs. J’ai entendu dire que c’est pas juste envers nous », souligne le jeune homme, pendant qu’une rare petite famille s’amène pour louer un vélo.

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Au sol, les pastilles « Relancez votre sourire, attraits ouverts » ressemblent à une mauvaise blague tellement tout a l’air mort autour. Plusieurs boutiques aménagées dans des conteneurs à l’ombre de la grande roue sont fermées à mon passage en fin d’après-midi. La grande roue fonctionne par contre, pendant qu’un employé asperge un pédalo utilisé avec un produit nettoyant dans le petit étang en face.

Plusieurs personnes s’élancent dans le ciel à bord de la tyrolienne au moins et leurs cris rappellent que la fin du monde n’est pas encore arrivée. À la Bonbonnière du Vieux-Port, la chanson Billie Jean crachée à tue-tête confirme qu’on vit quand même un été de merde.

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Un peu plus loin, un itinérant mange une molle au chocolat devant la Place Jacques-Cartier abandonnée. La casquette avec laquelle il ramasse de l’argent au sol est presque vide. Les temps sont durs pour tout le monde. Plusieurs cadets marchent ensemble sur le trottoir devant l’hôtel de ville en chantier qui ressemble presque au château de Sauron.

Le McDo un peu plus loin à l’angle du boulevard Saint-Laurent est tristement le commerce le plus achalandée.

J’en profite pour encourager l’économie locale en achetant un latté glacé (6$), des lunettes soleil (10$) et trois bouteilles de vin (65$). Je fais clairement partie de la solution.

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Je vous invite à faire de même et aller dépenser un peu d’argent dans le Vieux, si jamais vous faites partie des 3-4 personnes qui ne sont pas présentement en Gaspésie.

Bonnes vacances.