Quarante-cinq kilomètres me séparent de chez Viviane Audet, l’auteure-compositrice-interprète-pianiste-comédienne-etc. qui vient d’accoucher de l’album Le piano et le torrent, son neuvième projet (vous avez bien lu) depuis 2019.
Ça ne veut pas dire qu’elle s’éparpille ni qu’elle tourne les coins ronds, bien au contraire. L’artiste aux multiples talents a le vent en poupe, ce qui tombe sous le sens pour une Gaspésienne.
Ce dernier projet solo – on y reviendra – prend d’ailleurs la forme d’un hommage bien senti à Maria, son village natal. Une manière, a-t-elle expliqué en entrevue, d’en conserver les racines, après la vente de la maison familiale.
Je ne vais pas vous faire croire que je comprends le sens des quinze pièces instrumentales de l’album, mais disons que ça a un effet crissement apaisant tandis que je roule dans la post-tempête du siècle vers Richelieu, en Montérégie, où Viviane vit avec sa famille depuis plusieurs années.
Au lieu de klaxonner comme un perdu sur Iberville pendant que les automobilistes se comportent comme si on était dans Mad Max, je me laisse bercer par Le jour craque ou Les galeries.
Des retrouvailles… genre
Après l’équivalent en temps d’une distance Montréal-Québec, j’arrive enfin dans la jolie maison rustique de Viviane Audet.
Voilà, les artistes sont milliardaires, vous en avez la preuve.
« Eille, allô! », m’accueille-t-elle, avec enthousiasme, élégamment vêtue. Chemise rayée, jabot, même outfit que sur ses photos récentes dans La Presse. Par contre, mon reportage sera meilleur gnac, gnac.
On s’embrasse. Au risque de me faire accuser de guidounerie, j’ai un historique avec Viviane. Elle a déjà lu un ou deux de mes romans et son (excellent) album précédent, Les nuits avancent comme des camions blindés sur les filles, a occupé une place importante dans la trame sonore de mon deuxième voyage en famille. J’écoutais la magnifique Antithèse no.2 pendant mes rides de bus sur le bord des cliffs au Pérou en me disant que si on devait s’écraser dans le ravin, au moins ça serait en écoutant quelque chose de beau.
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Son chum, le comédien-musicien-etc., Robin-Joël Cool, vient me saluer à son tour. Sur l’îlot de la cuisine, son laptop est ouvert sur les textes de Temps de chien, qu’il est en train de répéter.
Ses affaires à lui aussi vont assez bien merci, avec le Gémeaux du meilleur premier rôle masculin qu’il vient de remporter pour cette série signée François Bellefeuille.
L’artiste acadien a aussi fait un passage remarqué à Tout le monde en parle l’année passée, en plus d’avoir piqué le show dans une tenue flamboyante – au bras de sa muse tout aussi extravagante – au dernier gala de l’ADISQ.
Comme quoi, il porte très bien son nom. Une maudite chance.
Imagine t’appeler « Cool », mais être la personne la plus soporifique ever. L’équivalent d’être végane et de s’appeler « Boucher ». Genre.
L’aîné de leurs deux garçons, Abraham, joue à Zelda sur sa Nintendo Switch, en pyjama dans le salon. Comme sa commission scolaire est moins cabochonne que la mienne, il a congé d’école.
Le cadet, Milan, est à la garderie.
Soft workaholic
Mais bon, c’est Viviane la vedette de cet article, alors on s’installe autour de l’îlot et Robin-Joël monte à l’étage répéter ses textes.
Je reviens sur ce rythme de travail effréné des six dernières années (trois albums originaux, cinq trames sonores de film/télé et un album avec leur groupe folk, Mentana.) « J’ai toujours aimé travailler. Je trouvais Garfield cave de ne pas aimer les lundis. Moi, j’ai toujours aimé ça », s’exclame la musicienne, qui se décrit comme une « soft workaholic », « parce que je suis toujours à la dernière minute ».
Elle avoue que la pandémie a certainement exacerbé son rythme créatif, surtout depuis l’aménagement d’un local de musique dans le garage attenant. « Je pense que mes enfants me retiennent du burn-out. Ils me forcent à prendre des breaks », avoue Viviane, qui travaillerait sinon tout le temps.
Trouver sa place
Celle qu’on a d’abord découverte dans le rôle de Sarah Von Trieck dans Grande Ourse ne tient rien pour acquis. De son propre aveu, sa carrière de comédienne a toujours fini par être upstagée par sa carrière musicale. Elle évoque l’anecdote d’une comédie musicale scolaire où la prof lui avait confié la direction musicale, alors qu’elle lorgnait un rôle sur les planches. Le rôle en question? Un personnage qui s’appelait Viviane.
À l’aube de la trentaine, le téléphone a commencé à moins sonner pour lui offrir d’être devant la caméra, sa baby face ne coïncidant plus avec son âge (et sa réalité de mère).
« Parfois, des réalisateurs m’appelaient, mais pour faire de la musique, pas pour des rôles. »
C’est un peu comme ça qu’elle s’est retrouvée, en 2012, à composer la musique originale du film Camion (de Rafaël Ouellet), avec son amoureux et Eric West. Une première de plusieurs, puisqu’elle enfile depuis les projets cinéma (Les rois mongols, Arsenault et Fils, La petite et le vieux) et télé (Conséquences, Temps de chien, Le monde de Gabrielle Roy), sans oublier des contributions dans le monde du théâtre et du documentaire.
Parallèlement, elle s’efforce de continuer son chemin en solo, parfois avec le vent dans la face.
D’abord avec Le long jeu, un premier album qu’elle surnomme « le béret » paru en 2006, trois ans après sa victoire au Festival en chanson de Petite-Vallée.
Presque dix ans passent avant la sortie de son deuxième projet solo, Le couloir des ouragans, en 2014. S’ensuivent Les filles montagnes (2020) en hommage aux victimes de Polytechnique, puis Les nuits avancent comme des camions blindés sur les filles, en 2023.
Malgré des critiques élogieuses, ça ne se bouscule pas au portillon. « Avec Les nuits, ça n’a pas eu de retentissement dans les médias, je n’ai eu qu’une seule entrevue à CIBL. Au moins, je tourne vite la page et là, je suis surprise par ce qui se passe, mais vraiment pas habituée », confie-t-elle.
Un coquillage à la Maison-Blanche
Par « ce qui se passe », l’artiste fait référence à son dernier album, qui approche le million d’écoutes sur les plateformes de streaming, à peine trois semaines après sa sortie. Le disque s’est aussi hissé au sommet des meilleures ventes sur iTunes Canada, juste derrière Pierre Lapointe.
Elle a aussi écoulé plus de 3000 CD (oui, les gens achètent encore ça) et son spectacle à la Place des Arts prévu en avril prochain affiche déjà complet. Elle ne cache pas tirer profit de l’engouement pour l’achat local, en lien avec le mouvement de boycottage suivant l’imposition des tarifs douaniers par le président Trump.
Ce même Trump à qui elle a eu l’idée d’envoyer son CD au début du mois, sous prétexte qu’il avait besoin d’un peu de calme. Un disque et un barlicoco (le nom d’une pièce et celui d’un coquillage ramassé sur la plage de son village natal), pour être plus précis. « Un petit rappel que chaque pays est souverain (de) ses propres coquillages », a-t-elle mentionné dans sa lettre ayant accompagné son stunt.
Viviane en profite pour regarder sur son cell où est rendu son colis. Encore coincé à l’inspection, soupire-t-elle. « Mais l’actualité va tellement vite que là, je ne voudrais plus lui envoyer. Il ne le mérite plus. »
Fréquenter l’ennui
Il raconte quoi, au juste, ce nouveau disque sur lequel elle a travaillé in and out pendant quelques années avec son complice Ghyslain-Luc Lavigne (son et mixage)?
« Ça parle de s’ennuyer d’un endroit et du côté tragique de la vie qui avance. Ça part d’une réflexion faite en réalisant que je n’avais plus de port d’attache à Maria », raconte Viviane.
Cette fois-ci, la critique semble au rendez-vous. Notamment Sylvain Cormier, du Devoir, qui écrit : « C’est comme si l’on faisait vraiment connaissance, Viviane Audet et nous. »
Une des phrases qui a fait le plus plaisir à la principale intéressée, qui rapporte une conversation lointaine avec un musicien dans un festival, qui lui avait dit : « Viviane, on sait pas t’es qui. » « Ça m’avait toujours perturbée, mais là, je me suis dit : “Enfin, on sait qui je suis!” », rigole la pianiste.
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L’artiste persiste et signe quand je lui ramène le passage d’une entrevue accordée à Josée Lapointe de La Presse, où elle affirme recevoir comme un compliment les gens qui disent s’endormir sur sa musique. « Accompagner des gens dans le sommeil, c’est très intime. Mais ce que je préfère, c’est les gens qui disent écrire sur ma musique. »
C’est mon cas, j’ai même eu droit au dernier album en EXCLUSIVITÉ parce que j’avais fait le tour d’un best of de la musique d’Hans Zimmer.
En tout cas, le succès du dernier album l’oblige à faire face à une nouvelle réalité: recevoir des messages weirds. « Certains sont touchants, comme une fille qui me dit écouter l’album au chevet de sa mère qui a demandé l’aide médicale à mourir. Par contre, j’ai aussi reçu un message d’un gars qui dit aimer mes orteils… », souligne-t-elle, en référence à ses pieds nus apparaissant sur la pochette de son dernier album.
Le calme après la tempête
Une chose qui frappe, avec ce nouvel album, c’est son contraste avec les deux précédents, très engagés.
Viviane croit que le fait d’avoir des parents qui ont évolué dans des métiers d’aide – son père dans le communautaire et sa mère comme technicienne en diététique à l’hôpital de Maria – l’a amenée à se questionner sur sa propre contribution à la société. « Je me disais : “Tabarnouche, qu’est-ce que je fais, moi?” »
Un cheminement qui a débouché d’abord sur Les filles montagnes et de la musique pour des projets documentaires.
Mais c’est sur Les nuits avancent comme des camions blindés que ce côté engagé s’est le plus révélé.
L’album renferme plusieurs pièces percutantes qui explorent des thèmes comme la violence conjugale, les féminicides et l’émancipation des femmes. « J’étais post-me too à ma façon. De voir comment ça se répercutait sur les filles et même les gars autour de moi. J’étais comme pleine de ça », analyse-t-elle.
Pizza pochette
Robin-Joël revient dans la cuisine, c’est l’heure du lunch. Pizza pochette au menu. Pendant que ça chauffe dans le micro-ondes, pas le choix d’aborder leur nouveau statut de power couple.
Les deux trouvent ça un peu abstrait. « Ça fait 17 ans qu’on est ensemble, on s’est connus sur le plateau de tournage de Belle-Baie. Robin jouait mon chum dans l’émission. Une semaine plus tard, on sortait ensemble et il venait vivre avec moi à Montréal », résume Viviane, flanquée de son chum portant un magnifique pull décoré de tartes aux bleuets, une création de l’artiste montréalaise Pony.
Leur projet folk Mentana est né un an après leur rencontre. « Mentana, ça a été notre premier enfant. J’aimais vraiment les tounes en anglais de Robin et ça nous a fait vivre des choses incroyables », s’enthousiasme Viviane.
Un euphémisme, à entendre cette histoire bizarre de courriel d’une production télé allemande reçu peu de temps après la naissance de leur aîné. « Ils souhaitaient faire un truc culturel, en marge du Festival de Jazz de Montréal. Quand c’est sorti, quelques mois plus tard, on s’est mis à vendre des disques en Allemagne, puis on était le meilleur vendeur sur iTunes Allemagne dans la catégorie folk. L’ambassade allemande à Ottawa nous a invités trois années de suite à leur party annuel », raconte-t-elle en riant.
Bref, Mario Pelchat cartonne au Liban, Mentana en Allemagne.
Surfer sur la vague Stréliski
En conclusion, on souhaite quoi à du monde pour qui tout semble réussir?
Parce qu’en plus de la musique, il y a eu ce voyage en famille en Australie et même le coming out public du papa de Viviane dans nos pages. Grosse année.
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Pour la suite, il y a l’enregistrement d’un autre album de Mentana prévu cet été, puis l’écriture d’une série télé avec Robin. Sinon, elle aimerait aussi écrire un roman. Mais à très court terme, le couple prévoit manger une raclette, ce soir.
Ne reste qu’à souhaiter à Viviane Audet que les choses continuent sur cette lancée, surfant sur ce buzz inattendu envers le néo-classique, après qu’Alexandra Stréliski ait raflé le prix de l’album de l’année au dernier gala de l’ADISQ. « Elle a éduqué le public sur ce genre de musique, en plus de paver la voie avec son immense talent et son accessibilité », louange Viviane Audet, qui lance aussi des fleurs aux Québécois d’avoir ouvert leur cœur sur ce style musical. « Je pense que ça répond à un besoin de bien-être et de bonheur. Le fait de ne pas avoir de mots permet à l’esprit de mieux s’évader », résume-t-elle.
Espérons que ce besoin de bien-être et de bonheur se rende aux oreilles de Donald Trump, puisque Viviane m’envoie une capture d’écran au moment d’achever ce texte. Ça vient de la poste.
Son colis vient d’arriver à la Maison-Blanche.