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La participation de Julie à OD est-elle de l’inclusivité de façade?
Entre vous et moi, s’il n’y avait pas Occupation Double cet automne, ma 2e vague en zone rouge serait pas mal moins excitante. Et même si cette année, on a pas droit à des images de plages idylliques des Seychelles ou des îles Galápagos, on est des centaines de milliers à être au rendez-vous devant nos écrans.
Si vous êtes aussi assidue que moi, ou que vous êtes un minimum actif sur les réseaux sociaux, vous avez sans doute entendu parler de la candidate Julie Munger, une maquilleuse professionnelle de 29 ans originaire de Chicoutimi.
Mais ce n’est pas seulement ses excellentes quotes, son énergie pétillante et son accent du Saguenay qui attirent l’attention du Québec sur elle: Julie est une femme grosse, une première dans l’histoire de la célèbre téléréalité.
Diversité oui, mais à quel prix?
Depuis les dernières éditions d’OD, on sent que la production fait des efforts pour diversifier son casting. En effet, on remarque la présence de plus en plus de personnes noires, métissées et issues de la diversité. L’an dernier, l’équipe a également frappé fort en recrutant Khate Lessard, la première femme trans d’OD.
Cette année, à la demande de bon nombre de téléspectateur.trice.s, la production a décidé de sélectionner une femme plus size, ce qui fait beaucoup jaser depuis le début de la saison, tant dans les maisons que sur les réseaux sociaux.
Quand j’ai appris la nouvelle, j’ai sauté de joie. « Enfin une candidate qui sort un peu des standards de beauté! », que je me suis dit.
Est-ce que de voir la femme en question se faire rejeter (et en souffrir) à cause de son apparence aide la cause? Est-ce qu’OD s’y est pris de la bonne façon?
Mais depuis quelques épisodes, particulièrement celui de dimanche dernier, je suis plus mitigée. Est-ce que d’inclure une femme grosse suffit pour revendiquer un casting diversifié? Est-ce que de voir la femme en question se faire rejeter (et en souffrir) à cause de son apparence aide la cause? Est-ce qu’OD s’y est pris de la bonne façon?
Pour démêler tout ça, j’ai discuté avec Marie-France Goyer, candidate au doctorat en sexologie spécialisée dans les discours grossophobes et grande fan d’Occupation Double.
« Je te dirais que depuis dimanche, on est pas mal de femmes grosses à se sentir extrêmement triggered en regardant OD, me confie Marie-France. Les scènes où l’on voit Julie pleurer parce que les gars la rejettent sur le plan amoureux, ou encore le segment où elle a une date avec Patrick, mais qu’il la friendzone d’emblée et lui parle même de son intérêt pour d’autres femmes, ça ressasse énormément d’émotions négatives pour les personnes grosses qui ont vécu des expériences de rejets similaires, plus souvent qu’à leur tour. »
« Je l’apprécie, mais juste comme une amie. »
Personnellement, je soutiens et encourage la cause de la diversité à l’écran, que ce soit en fiction, en pub et dans les médias en général. Mais Marie-France Goyer me fait réaliser que de placer une personne comme Julie, qui se distingue des standards de beauté, au coeur d’une émission comme OD, ce n’est pas suffisant « C’est super que la prod fasse des efforts pour présenter des candidat.e.s plus diversifié.e.s mais dans le cas de Julie, il y a plusieurs écueils. Le principal problème, c’est qu’elle fait face à des gars qui semblent tous attirés par le même modèle de femmes, c’est-à-dire cisgenres et minces. Par contre, tous les gars s’entendent pour dire que Julie est drôle, brillante et que sa personnalité est extraordinaire. Sans exception, ils l’ont tous placée dans la catégorie « amie », (la fameuse friendzone) dès les premiers épisodes. Plus largement, ce que ça envoie comme message, c’est que les femmes grosses sont le fun, mais ne peuvent pas susciter l’intérêt amoureux ni le désir. ».
«Tout le monde aime Julie, on parle de sa personnalité, son humour, son énergie, mais les hommes ne la considèrent pas comme partenaire potentielle ni comme une girlfriend material.»
Marie-France, qui se spécialise dans l’analyse des discours grossophobes, ajoute que dans la culture et dans l’imaginaire populaire, il y a une sous-représentation des femmes grosses. Et lorsqu’elles sont présentes, elles subissent un traitement stéréotypé, en étant drôles, amusantes, et en ne servant que de soutien, voire de faire-valoir, à leurs amies minces. « C’est malheureusement ce qui est reproduit cette année à OD! » ajoute Marie-France. Tout le monde aime Julie, on parle de sa personnalité, son humour, son énergie, mais les hommes ne la considèrent pas comme partenaire potentielle ni comme une girlfriend material. Et autre chose qui me met à l’aise: toutes les candidates adorent Julie. Bien sûr, elle a l’air d’une femme super, mais j’ai l’impression qu’elles l’aiment d’autant plus qu’elles ne la considèrent pas comme une compétition. Ça aussi, c’est un biais récurrent. ».
Du déjà-vu.
Plusieurs recherches ont démontré qu’une des principales discriminations vécues par les femmes grosses dans la sphère intime est que, si elles sont sexuellement désirées par les hommes, ceux-ci se montrent souvent réticents à l’idée d’être vues en public avec elles. « Imagine devant tout le Québec, s’exclame Marie-France. Je suis convaincue que si un des candidats avait un intérêt pour Julie, il serait sûrement gêné de le montrer, par peur du jugement. »
À plusieurs reprises dans les dernières semaines, on a vu Julie être triste et même pleurer, à cause du rejet dont elle fait l’objet. « C’est du déjà-vu pour moi. » a-t-elle affirmé mardi soir, pleine d’émotions, lors du brunch d’élimination. Patrick, Renaud, Jordan: tous les gars qui font battre son coeur la considèrent « juste » comme une amie, voire comme « leur bro ». Une dynamique que Julie avoue avoir vécue très fréquemment dans sa vie personnelle. « Ce sont toujours mes amies qui se pognent les gars qui m’intéressent, » a-t-elle avoué à Éloïse, en larmes.
https://www.instagram.com/p/CF726tfB7OI/
De l’inclusion de façade.
« Ça aurait été le fun que l’intégration d’une personne grosse à OD nous fasse remettre en question tous nos préjugés grossophobes, et montre que les femmes plus size peuvent être dignes d’intérêt au-delà de leur “beauté intérieure”. » affirme Marie-France. Bien sûr, ce n’est pas à Julie personnellement de porter tout le poids de l’inclusion des personnes grosses. Mais je me dis que si on intègre une femme avec un corps qui n’est pas dans les standards de beauté, il faut qu’elle ait une réelle chance de gagner et de plaire à des gens dans les maisons. Sinon, c’est de l’inclusivité de façade, de l’instrumentalisation. Pas de l’inclusion. »
Marie-France Goyer attire également mon attention sur un autre aspect de la question: « Il n’y a absolument rien de mal à avoir des préférences physiques, mais il faut reconnaître que celles-ci sont influencées par nos préjugés et par les normes sociales. Ce n’est pas un hasard si les femmes grosses, trans et noires ne se rendent jamais loin dans l’émission. Les populations marginalisées rapportent toutes des expériences de rejet sur la base de leur caractéristique stigmatisée, que ce soit leur grosseur ou leur couleur de peau. » m’explique la spécialiste.
«Ça aurait été le fun que l’intégration d’une personne grosse à OD nous fasse remettre en question tous nos préjugés grossophobes, et montre que les femmes plus size peuvent être dignes d’intérêt au-delà de leur “beauté intérieure”.»
Selon Marie-France, pour qu’on puisse réellement parler d’inclusion, il faudrait qu’il y ait plus qu’une personne considérée comme diversifiée. Pas juste « une femme grosse », « un homme noir », « une femme trans », etc., utilisés comme des tokens. Il serait aussi primordial de s’assurer qu’il y ait des candidat.e.s pour s’intéresser aux personnes en question, pour ne pas reproduire les dynamiques sociales, les normes socio-sexuelles et les préjugés grossophobes. « La question que je me pose, c’est à qui profite l’inclusion de Julie jusqu’à présent. Est-ce que ça profite à la prod qui peut se vanter d’être plus inclusive. comme l’an dernier avec Khate? Est-ce que ça profite aux personnes minces qui peuvent se comparer et se rassurer? Et finalement, je pense qu’il faudrait qu’il ait une meilleure modération sur les réseaux sociaux, sur lesquels on peut actuellement lire des centaines de commentaires extrêmement violents envers Julie, pour ne pas créer une plateforme grossophobe de plus. » déplore Marie-France.
Mais comme a dit Julie mardi soir, bouleversante de résilience: « J’espère tout de même que j’inspire des gens au Québec. J’espère que ça va faire avancer les choses et que ça va faire comprendre à plein de gens que la différence, c’est beau! ».