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J’ai pensé à ça, l’autre nuit, entre deux insomnies. J’ai envie de te faire écouter une chanson pendant que tu lis… Va chercher Rien à faire de Marie-Pierre Arthur sur ton site préféré, pis mets tes écouteurs. Je t’attends.
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On va se dire les vraies affaires : la chimio, c’est… différent pour chacun. J’ai mon p’tit Monocle (pas de faute de frappe ici, je l’appelle comme ça depuis toujours) qui vient de souffler ses 80 bougies et qui fait de la chimio lui aussi. Pour les poumons. Je l’aime énormément. Il a commencé ses traitements avant moi et m’a rassuré d’un : « Inquiète-toi pas, la p’tite. Y’a rien là! Je pète le feu! »
Ça fait que je suis partie à l’hôpital au petit matin, le chest bombé, prête et confiante, en me disant que chez les Lemay, on est fait fort! Si Monocle pète le feu…
Sur le coup, j’ai été étourdie. Je pensais que c’était le stress qui me faisait tourner la tête, vu que je n’étais pas encore mise sous tension, mais non. C’était la grosse pilule antivomi d’avant jus rouge, jus qui allait bientôt envahir mon corps.
J’ai passé l’heure et demie d’injection dans un état second à faire des jeux niaiseux de personnalités avec ma bonne fée et à regarder autour de moi les chaises qui se remplissaient de femmes venues, comme moi, faire un gros FUCK YOU au cancer. Oui, ce matin-là, dans ma salle, il n’y avait que des femmes. Pas de Monsieur Latreille en vue.
Arrivée chez moi, j’ai pris le bord de mon lit et ma bonne fée, le bord de la pharmacie. Parce que c’est ça la chimio : on te donne du gros jus à l’hôpital, mais ça te prend une panoplie de pilules et d’autres injections pour aider ton corps à gérer ledit jus à la maison.
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Je pense que je suis faite en sucre.
Quand j’ouvre les yeux après ma première sieste, mon lit bouge comme un bateau en pleine tempête et je m’enfonce dans mes innombrables oreillers.
Je pète pas le feu pantoute, Monocle. Quand j’ouvre les yeux après ma première sieste, mon lit bouge comme un bateau en pleine tempête et je m’enfonce dans mes innombrables oreillers. Tu sais, « rentrer dans son matelas et VOIR tes oreilles à plusieurs pieds au dessus de toi? Ben c’est ça. Un badtrip digne de Trainspotting. Quand je réussis à m’extraire de là, je retrouve ma fée qui m’attend en bas, pleine de sollicitude, la soupe sur le rond, le regard rempli de bon bouillon. Je réussis à manger et retourne me coucher. Je fais ça toute la journée. Je dors trois-quatre heures, je me lève deux heures. Pendant ce temps-là, mes fées changent de shift. Je ne veux pas passer la première nuit toute seule…
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Jour un après la chimio.
Je vais un peu mieux, mais je suis encore sonnée. Je prends mon antivomi, de la cortisone pour fouetter mon corps et je commence les injections qui vont permettre à mes globules blancs de se refaire une santé en prévision de la prochaine chimio. Je peux pas croire qu’on prépare déjà la suivante…
Jour deux, même manège. Antivomi, cortisone, injection. Je regarde attentivement ma fée qui s’active sur la seringue, parce que demain je serai toute seule. Je devrai me piquer ou aller au CLSC. Et comme tu sais que j’ai une tête de cochon…
Jour trois. Antivomi. Injection. Facile. J’suis fière de moi, mais molle comme une guenille. Je passe ma journée à dormir. Sans la cortisone, mon corps s’effouère. Sans la cortisone, je dors dors dors…
J’ai pris le temps
De bien regarder
Tout l’engrenage
Éparpillé
J’ai essayé
Au mieux de renverser
Les vieux rouages
Du bon côté
C’est dans cette éternelle nuit du troisième jour que Marie-Pierre s’est frayée un chemin jusqu’à moi. C’est ça. Exactement ça : Y’a rien à faire d’autre que de remonter ma machine entière à l’envers. La chimio me jette à terre, oui. Elle va me sacrer à terre aux deux semaines, parce que je suis jeune et en forme, tu te rappelles? J’ai droit aux “doses denses” pour éviter autant que possible une récidive. Mais ma machine, elle va rouler, fie-toi sur moi. À l’endroit ou à l’envers, elle va rouler. Pis sur un moyen temps.
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Jour quatre. Je tourne en rond. Une petite sieste de deux heures. Juste un antivomi. Injection bébé-fafa. Toujours un peu sonnée, mais rien de comparable à ce que je viens de traverser. Je tourne en rond. J’attends des fées, un magicien, ma fille et son père. Les deux derniers arrivent en premier. On est en famille, je me détends un peu. Puis une fée. La fée du jour. Elle débarque avec du melon d’eau, son clipper, son amour et ses ciseaux.
Aujourd’hui est un grand jour! Aujourd’hui, on rase mes cheveux. Pas bon pour le moral de les laisser tomber en touffes disparates, ça a l’air. Alors aujourd’hui, je prends les devants et je prends même un verre de blanc.
Ma fille papillonne autour de moi et ses petites arabesques font frissonner mon crâne mis à nu. Les courants d’air me font le même effet que les caresses d’un amant trop attendu.
Trois autres fées suivent, les bras chargés de victuailles, le cœur débordant de love et le cellulaire à l’assaut pour les photos. C’est festif et heureux. Ma fille papillonne autour de moi et ses petites arabesques font frissonner mon crâne mis à nu. Les courants d’air me font le même effet que les caresses d’un amant trop attendu.
Le magicien arrive en dernier. C’est mon cadeau. Il m’offre des cheveux. De toutes les longueurs, de toutes les couleurs. J’ai décidé de m’amuser. Tant qu’à… Merci, L’Échevelé.
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Je prends du mieux. Je vais aller marcher tous les jours avec une tête différente et du Marie-Pierre Arthur dans les oreilles, jusqu’au prochain traitement.
Ça sent le printemps. Prends ma main qu’on marche par en avant. Pis si t’as une petite minute, veux-tu signer cette pétition, stp? Ça aiderait ben du monde comme moi à passer à travers les effets secondaires. Merci mon ami(e).
*******Les carnets d’Anick Lemay ont été rassemblés en un livre, Le gouffre lumineux, dans lequel réflexions, histoires inédites et photos ont été ajoutées. Vous pouvez vous procurer ce livre à notre boutique en ligne!
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