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La grande décolonisation culturelle est-elle une utopie?

Quelques alternatives pour vous libérer de votre dépendance à l'industrie culturelle américaine.

Par
Benoît Lelièvre
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Même si Justin Trudeau nous a acheté quelques semaines de quiétude, le spectre de la guerre commerciale avec les États-Unis nous guette encore tel Michael Myers surveillant Jamie Lee Curtis d’un peu trop près dans les films de la série Halloween.

Une situation emmerdante pour tout le monde sauf Donald Trump et sa gang de chums qu’il invite à Mar-a-Lago, son palace en Floride, la fin de semaine, parce que les réalités de nos pays sont intimement liées sur à peu près tous les fronts. Et en 2025, c’est devenu encore plus difficile de ne pas interagir avec les États-Unis à raison de plusieurs fois par jour. Le pire c’est que la plupart de ces interactions sont faites de manière inconsciente ou subconsciente.

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Vous vous connectez sur Instagram un beau samedi matin pour consulter les images de votre sortie de la veille en stories, et le temps de faire le tour, vous êtes exposé à cinq (si c’est pas plus) publicités qui mettent de l’argent direct dans les poches de Mark Zuckerberg, qui lui, met de l’argent dans les poches de Donald Trump. Et oui, en cinq minutes, vous avez enrichi un milliardaire et théoriquement financé un politicien qui veut obsessivement nous annexer.

Mais peut-on réellement se purger une fois pour toutes de la culture américaine? Quelles sont nos options pour mettre fin à cette dépendance? Voyons ce qui s’offre à nous.

Sur vos écrans

Il me semble nécessaire de préciser en préambule de ne pas vous mettre trop de pression. Même si vous annulez vos abonnements à Netflix et Amazon et fermez vos comptes sur les réseaux sociaux, vous n’êtes quand même pas à l’abri de l’influence culturelle omnipotente de nos voisins du Sud. C’est comme essayer d’arrêter de fumer, de boire, de manger de la viande et de consommer du sucre, tout en même temps.

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Disons que vous ne mettez pas les chances de votre bord et que vous risquez de vous brûler et de retourner à vos vices avec un vague sentiment de honte et de culpabilité.

Allez-y doucement, graduellement et ne négligez pas l’importance de diversifier vos intérêts.

Pour l’instant, la culture québécoise est en relation fusionnelle avec celle des États-Unis et c’est le temps d’ouvrir le couple et « qu’on commence à voir d’autre monde ». C’est correct si vous voulez finir Severance, mais vous devriez chercher de nouvelles séries à binger sur des plateformes canadiennes.

En termes plus clairs, voici les plateformes dont il faudrait diminuer le temps de visionnement :

– Netflix
– Disney+
– Amazon Prime Video (et la plupart de leurs sous-services)
– Apple TV+
– Roku TV
– Tubi
– Criterion Channel
– Pluto TV
– Vimeo
– YouTube
– Facebook Watch
– Crunchyroll

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Il s’agit de plateformes américaines qui offrent principalement du contenu américain. Même celles qui diffusent du contenu provenant de partout dans le monde comme YouTube et Criterion Channel sont malgré tout frappées par le sceau culturel de l’oncle Sam. Si vous voulez couper un abonnement (ou deux, ou trois), coupez là-dedans.

C’est pas la fin du monde si vous en gardez quelques-uns parce que vous attendez une série qui vous tient à cœur, mais allez quand même voir ailleurs. Ici, votre but devrait être de renouer avec la culture québécoise et canadienne. Et si rien ne vous intéresse, tournez-vous vers l’Angleterre ou peut-être même la Corée du Sud.

À prioriser :

– Crave (à condition de se désabonner de HBO et Starz)
– ICI Tou.tv
– Noovo
– Illico+
– TVA+
– Télé-Québec
– CBC Gem
– Cineplex
– Mubi (basé à Londres)
– BritBox (aussi basé à Londres)

La culture québécoise est facile d’accès en streaming. Vous pouvez, à peu de choses près, regarder la télé en 2025 comme vous le faisiez en 1995. Avec les annonces et tout le reste. Vous pouvez même regarder les nouvelles en direct sur le site de Radio-Canada Information.

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Si vous avez la fibre nostalgique, c’est le moment où jamais de faire du rattrapage ou de revoir votre série québécoise préférée (en skippant peut-être quelques épisodes controversés des Filles de Caleb et de La petite vie).

Les droits de diffusion étant le domaine ultra complexe et farfelu qu’il est, c’est difficile d’avoir accès à l’offre télévisuelle d’ailleurs, mais vous pouvez tout de même utiliser des services comme BritBox, qui ne contribuent peu ou pas à l’impérialisme américain.

Dans vos oreilles

« Notre culture ne nous appartient plus », affirme l’auteur-compositeur-interprète Luc de la Rochellière. Ce dernier a fait une sortie sur les réseaux sociaux cette semaine pour souligner que consommer local, ça peut aussi signifier d’aller voir un artiste québécois en spectacle.

« Au départ, avec les plateformes d’écoute, il y avait une promesse de nous faire entendre par le monde entier. Non seulement ça s’est avéré faux, mais ça nous a fait disparaître aux yeux de notre propre auditoire. »

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Force est d’admettre qu’il a raison. J’ai passé la semaine à essayer de prioriser le contenu québécois et canadien sur mon compte Spotify, et force est de constater que la plupart de mes artistes favoris viennent du sud de la frontière. J’ai finalement jeté mon dévolu sur une énième écoute de Jagged Little Pill d’Alanis Morissette.

Does she know how you told me

You’d hold me until you died? ‘Til you died

But you’re still alliiiive

Pour streamer de la musique, on n’a pas vraiment une foule d’options. Tidal paie les artistes beaucoup mieux que ses compétiteurs, Bandcamp permet une meilleure monétisation pour les artistes indépendants, mais dans les deux cas, une bonne partie de notre argent se retrouve de l’autre côté de la frontière. Spotify n’est pas une entreprise américaine, mais sa réputation la précède.

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Donc, la solution ne consiste pas à faire un boycott total, mais plutôt de faire preuve d’un meilleur engagement envers les artistes d’ici. Oui, iTunes, c’est le démon, mais vous pouvez l’utiliser pour donner un véritable coup de pouce à l’industrie musicale locale.

À éviter :

– Apple Music
– Amazon Music
– YouTube Music
– Pandora
– iheartradio

Zone grise :

– Tidal
– iTunes
– Spotify
– Bandcamp
– Deezer
– Quobuz
– Soundcloud

À prioriser :

– Aller voir des spectacles
– Acheter de la marchandise

N’attendez pas que les artistes locaux se rendent à vous, allez plutôt vers eux. « On se sent seuls et impuissants devant la menace américaine. On est anxieux et on ne va pas bien. Qu’est-ce qu’on fait quand on ne va pas bien? On se tourne vers la famille », philosophe l’interprète de Sauvez mon âme qui m’explique par la bande que le spectacle L’amour crisse de Louise Latraverse lui a fait le plus grand bien.

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Il incite aussi les diffuseurs à recommencer à jouer de la musique actuelle à la radio pour familiariser l’auditoire avec les nouveaux artistes locaux. « Une chanson, plus tu l’écoutes, plus tu l’aimes. Si tu vas voir un artiste en spectacle et que tu découvres une chanson, tu peux acheter l’album et la faire jouer chez vous. Tout le monde en sort gagnant », poursuit-il.

Dans vos poches

En à peine vingt ans, les réseaux sociaux sont devenus un outil de communication universel omniprésents partout dans le monde. Ils sont à la fois pratiques et problématiques pour tout le monde parce qu’ils ont, en quelque sorte, centralisé l’Internet. « Tout le monde est sur les réseaux et tout le monde est sur les réseaux tout le temps », comme l’affirmait un de mes anciens patrons. On se trouve plus facilement que jamais, mais on y est exposés à un nombre indécent de publicités et tout ce qu’on n’y trouve pas disparaît éventuellement de nos esprits.

« J’ai décidé d’arrêter de vendre vos yeux à Mark Zuckerberg contre l’attention et des clics envers ma personne et mes projets », écrivait l’humoriste Jean-François Provençal qui a tiré la plug sur ses comptes où 86 000 et 30 000 adeptes le suivaient. « J’encourage tous les autres créateurs.trice.s de contenus à faire de même. Sans notre contenu, Meta n’existe plus. »

Je ne vous apprends malheureusement rien, mais on est en relation de codépendance avec les réseaux sociaux.

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J’ai réussi à quitter X en 2023, mais ma dépendance s’est simplement tournée vers les autres plateformes. Personne ne devrait se sevrer à froid des réseaux, mais en enlever un de votre diète et vous donner des limites de temps sur les autres, c’est une bonne façon de commencer. Moins de temps perdu, moins de pub, moins d’argent pour Zuck et Donald (Donald Zuck, hihi).

À diminuer :

– Facebook
– Instagram
– WhatsApp
– X
– Snapchat
– Amazon
– Tous les services Google

Zone Grise :

– TikTok
– Telegram

À prioriser:

– Bluesky (c’est Américain, mais il n’y a pas d’annonces)
– BeReal

Comme vous le savez déjà, TikTok appartient à une compagnie chinoise. Vous pouvez décider de ce que vous avez envie de faire avec cette information, mais dans un contexte de guerre commerciale avec les USA, votre argent irait ailleurs que dans les poches des maudits tech bros de la Silicon Valley. Du moins, pour l’instant.

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Telegram est une application d’origine russe qui se veut une alternative à WhatsApp et Facebook Messenger, toutes deux la propriété de Mark Zuckerberg. Elle est tellement sécure qu’elle est employée par la Russie et l’Ukraine dans leur conflit à des fins de communications. Elle est aussi tellement sécure qu’elle est utilisée par des pédophiles pour échanger du contenu sans possibilité que ce soit modéré. Vous voyez un peu le concept.

La meilleure option, pour continuer d’utiliser les réseaux sociaux librement sans augmenter le pouvoir d’achat des oligarques de Donald Trump, c’est Bluesky. C’est d’ailleurs pour cette raison que tout le monde y migre depuis novembre dernier. Oui, c’est une compagnie américaine, mais elle est gérée de manière responsable, afin de ne pas créer une autre situation où Elon Musk achète tout, libère les nazis et sacre tous ses employés dehors.

*

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Voici donc le portrait de la situation dans laquelle on se retrouve actuellement (ça bouge vite). La culture américaine est partout dans nos vies et dans plusieurs cas, elle fait de l’ombre à la nôtre. Ça va prendre plus qu’un peu de bonne volonté pour la tasser ; ça va prendre du temps et beaucoup de solidarité afin de faire diminuer son influence. Il faut qu’on se tienne les coudes.

Je laisse le mot de la fin à Luc de la Rochellière : « L’élection de Donald Trump a déclenché une véritable tempête et qu’est-ce qu’on fait quand il fait tempête? On rentre à la maison. »