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La course aux étoiles

Par
Étienne Côté-Paluck
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Air Transat annonçait jeudi le lancement le 23 janvier prochain des premiers forfaits vacance en Haïti depuis plus d’une décennie dans cette destination anciennement prisée des touristes. Le tourisme est l’un des axes prioritaires du gouvernement haïtien pour la relance de l’économie et de l’emploi dans le pays. Suite à la vague de travailleurs humanitaires et l’augmentation des prix du logement qui a suivi le séisme de 2010, on a parfois l’impression à Port-au-Prince que les chambres d’hôtel se construisent plus rapidement que les logements sociaux.

Une poignée d’hôtels s’inaugurent et se construisent en effet depuis un an l’un à la suite de l’autre dans la capitale haïtienne. Le cinquième Best Western dans les Caraïbes et le premier au pays devrait ouvrir dans les prochains jours à Pétion-Ville avec ses 106 chambres, des salles de conférence et un spa. À côté, on inaugurait il y a cinq jours, en présence du premier ministre, l’hôtel Royal Oasis dont les propriétaires affirment être d’un calibre 5 étoiles avec ses 128 chambres et suites sur huit étages. Plus de quatre ans après le début de sa construction, cet énorme hôtel offre un complexe commercial ainsi que des prix variant de 200 $ à 1200 $ la nuit. On inaugurera aussi cette semaine plus près du centre-ville le début du chantier d’un Marriott qui se veut tout aussi luxueux.

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À cela s’ajoutent les grands hôtels existants de la capitale qui désirent doubler, voire tripler, le nombre de leurs chambres d’ici peu. Le « chic » Karibe Convention Center, d’une architecture qui ressemble plutôt à un décor en carton-pâte, entame les travaux pour ajouter une centaine chambres. Le magnifique Kinam sur la place Saint-Pierre fera sensiblement la même chose.

Le momentum est spéculatif

Les investisseurs étrangers et haïtiens sortent les bidous. Très peu de touristes sont là, on mise donc sur le possible potentiel touristique. Dans ce pays où les risques sont plus importants, ceux-ci peuvent aussi rapporter plus gros.

Et Haïti n’est pas Port-au-Prince, une ville dévastée par un séisme majeur et un manque d’infrastructures chronique dans un environnement surpeuplé. Les projets de construction d’hôtels et de complexes touristiques émergent sur plusieurs des côtes du pays, au nord comme au sud. Car Haïti est aussi synonyme de kilomètres de plages, en plus de chutes, de grottes et de pistes de trekking par centaines ainsi qu’une culture créole et caribéenne marquée.

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Les plages sont publiques, les terrains adjacents, une propriété de l’État qui les loue. Si la priorité est donnée aux projets officiels, très peu de cas semblent par contre être fait du reste. Des dizaines de murs de blocs de béton ont été construits depuis deux ans collés sur les rives par des locataires de l’État très peu scrupuleux. Pour l’instant, la priorité semble être au développement plutôt qu’à la préservation.

Prenons par exemple ce nouvel hôtel en construction par une célèbre famille haïtienne sur une petite plage dans une localité adjacente à Jacmel. En fin de semaine, on y érigeait un mur de ciment de 10 pieds tout autour, devant des villageois stupéfaits face à la fermeture du seul accès public à la plage de Kabik (ci-haut). Certains ont juré de le mettre à terre à la première occasion, mais la rébellion n’aura probablement jamais lieu.

Si de l’étranger le charme d’Haïti réside entre autres dans ses magnifiques constructions en bois, naturellement parasismiques et souvent accompagnées sur les côtes de superbes toits en feuilles de palmiers, il semble que dans les faits c’est le béton qui l’emporte encore dans la plupart des nouvelles constructions hôtelières.

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Les plans stratégiques

Afin d’éviter un développement anarchique, la ministre du tourisme a lancé la préparation de plans d’aménagement touristique des différentes régions ciblées (Sud, Sud-Est, Nord, Arcadins). Un plan national de développement du tourisme est aussi sur la table à dessin. La ministre affirmait à Montréal en septembre miser sur une fenêtre de deux ans pour remettre cette industrie sur pied.

Haïti a connu plusieurs plans d’aménagement de toutes sortes depuis le séisme de 2010. Une demi-douzaine de plans d’urbanisme ont été concoctés pour la capitale seulement. On en attend toujours les effets. Espérons que ces nouveaux plans ne tomberont pas dans l’oubli.

Mais on sait déjà que les indicateurs semblent pointer dans la même direction : le tourisme d’aventure, de plein-air et de culture. « Si on vend les plages, le soleil et les palmiers, Haïti va perdre au change », affirmait au Miami Herald il y a un mois le « guru » en marketing touristique Bruce Turkel. L’offre pour le tourisme de masse est déjà bien ancrée dans plusieurs pays de la région. Et Haïti devra compter plusieurs années avant d’avoir les infrastructures du même calibre que son voisin républicain, pour ne prendre que cet exemple. Malgré d’énormes améliorations depuis 2005, les routes pavées sont pour la plupart encore remplies de nids de poule, quand ce n’est pas des bouches d’égout à ciel ouvert en milieu urbain.

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La qualité du service offert est aussi très loin des standards occidentaux: hôtels et restaurants de la capitale ne semblent pas connaitre l’adage qui veut que le client soit roi. Attirer simplement l’attention d’un serveur peut parfois amener au découragement. Un verre d’eau sur la table à l’arrivée de nouveaux clients est une pratique rarissime dans ce pays aux chaleurs torrides. Comparé au Québec, le service dans les endroits pour Occidentaux est lent, souvent brouillon et peu efficace. Et les prix sont… exorbitants: très rares sont les chambres avec un minimum de confort sous les 100 $US. À Port-au-Prince, l’accès à un repas dans un resto un peu différent pour moins de 20$ est une illusion, si on exclue quelques fast-foods. Déjà, même avec un aéroport fraîchement rénové de la capitale, l’accueil des bagagistes et chauffeurs de taxi insistants à l’intérieur de l’enceinte internationale peut être très agressant pour une personne qui s’aventure ici pour la première fois.

À Jacmel, ville qui entretien des relations étroites avec le Québec, on vise le tourisme de luxe, le « cinq étoiles », dit-on depuis quelques mois. Un centre de conférence y serait en construction et des plans sont sur la table pour allonger la piste d’atterrissage de l’aéroport régional afin qu’il puisse accueillir des transporteurs internationaux. Les ambitions sont grandes. Les objectifs sont pressants.

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Le choix du haut de gamme est tout de même ambitieux (et curieux). Pourra-t-il voir le jour? On peut le souhaiter, mais j’ai bien hâte de voir comment on s’y prendra. Pour l’instant côté infrastructures, seule la construction d’une route de bitume sur la plage adjacente à la ville historique bat son plein (!).

Le nouveau plan d’Air Transat offre une semaine de vacance, dont deux jours à Port-au-Prince et le reste sur la Côte des Arcadins, à 1h30 au Nord de la capitale. En attendant d’en connaitre les détails, il y a très peu de solutions abordables pour le touriste aventurier qui ne connait pas le pays. Il existe bien des hôtels pour voyageurs de commerce (appelés « Madame Sarah ») de 10 à 30 dollars la nuit, ou encore des hôtels de passe aux tarifs similaires, mais leurs conditions les rendent souvent peu recommandables pour un touriste. Il existe tout de même quelques exceptions. Le Piano Piano (ci-haut) dans la région de Jacmel – géré entre autres par une Québécoise, 50 $ la nuit pour deux, déjeuners compris – est un de ces exemples charmants et accueillants pour le voyageur paré à la fois à la découverte et à la quiétude. Ce sont des endroits comme ceux-là dont le pays aurait probablement plus besoin en ce moment pour faire venir les touristes à la recherche de nouvelles expériences.

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Pour l’instant, on vise plus gros, en espérant un retour encore plus payant.

Twitter : @etiennecp
Facebook : @etiennecp

J’avais déjà fait des suggestions touristiques pour Haïti en 2010. Vous avez d’autres endroits à recommander? Partagez vos trouvailles dans les commentaires.