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Selon Ovide, la Méduse était à l’origine une belle jeune fille admirée de tous. Poséidon, dieu des mers, l’apercut un jour, la kidnappa et la viola dans un temple dédié à Athéna. Cette dernière, furieuse, transforma la jeune fille en monstre terrifiant, à la chevelure remplie de serpents venimeux et au regard tellement furieux qu’il pétrifiait quiconque osait la regarder dans les yeux.
C ’est Persée qui réussit à la tuer, à l’aide d’un bouclier-miroir, d’une épée et d’un casque d’invisibilité.
Lorsqu’il lui trancha la gorge, il en sortit le cheval Pégase et le géant Chrysaor, les enfants de Méduse et Poséidon.
Persée prit la tête de la Méduse, ainsi qu’une fiole de son sang, qui avait le pouvoir à la fois de guérir et de tuer.
Une histoire qui se répète depuis aussi longtemps qu’elle existe.
Il offrit la tête à Athéna, qui l’accrocha à son bouclier et s’en servit désormais comme arme, puisque le regard de la Méduse continuait de changer en pierre, même morte.
Cette histoire est très vieille, mais je ne peux pas m’empêcher de constater qu’elle se répète depuis aussi longtemps qu’elle existe.
Quand le mythe devient allégorie
Le symbole de la Méduse est omniprésent dans la pensée féministe, pour illustrer la colère féminine en général.
Une femme en colère, ça fait peur, alors on dit que ce n’est pas beau, c’est déraisonnable, c’est monstrueux.
La colère des femmes est tellement terrifiante qu’on utilise le bouclier-miroir du gaslighting pour les faire taire: on les culpabilise et on projette sur elles les abus qu’elles dénoncent.
Il n’y a rien d’héroïque à être plus terrifié par la colère des femmes.
Et une fois qu’on connaît l’origine de la Méduse, et après avoir vu la façon dont on a traité les femmes autochtones de Val d’Or, Alice Paquet, et pas mal toutes les femmes qui osent dénoncer la culture du viol, le mythe devient allégorie: la colère des femmes qui refusent de porter le blâme de leur viol est constamment démonisée.
La colère est pourtant une émotion saine, vitale et légitime, lorsqu’on ne la confond pas avec la violence. C’est justement lorsqu’elle est réprimée qu’elle peut devenir dangereuse pour soi-même ou pour les autres.
C’est là toute la tragédie de la Méduse. Sa malédiction pétrifiante rend toute expression, toute communication impossible.
Toutes ces expressions qu’on a pu remarquer au cours des derniers mois, voire des dernières années au sein des mouvements sociaux ne devraient pas être considérées comme des attaques personnelles, mais bien comme une affirmation de soi.
Même dans nos mythes contemporains, les hommes-monstres reçoivent un meilleur traitement.
Il faut être bien aveuglé par son privilège pour percevoir l’indignation face à l’injustice comme une oppression. Et à quoi sert ce privilège s’il rend aussi peu courageux lorsqu’une femme s’affirme? Pourquoi user de mauvaise foi et travestir la colère en violence? Pourquoi refuser de regarder ce que nous montrent les femmes?
A-t-on peur de les regarder en face parce qu’on ne veut pas voir l’immensité de leur souffrance? A-t-on peur de savoir pourquoi elles sont en colère?
Belle et Persée: pas le même combat.
Même dans nos mythes contemporains, les hommes-monstres reçoivent un meilleur traitement. Mon petit doigt me dit qu’on ne verra jamais une version de La Belle et la bête où Belle décapite la Bête pour ensuite accrocher sa tête sur sa porte d’entrée pour éloigner les prétendants douteux de type Gaston.
Persée, pourquoi tu n’as pas fait comme Belle ? Pourquoi tu n’as pas essayé d’écouter la Méduse? Pourquoi tu n’as pas tourné ton épée vers Poséidon, qui l’a violée? Vers Athéna, qui l’a victime-blâmée?
Il n’y a rien d’héroïque à être plus terrifié par la colère des femmes que par les horreurs qu’elles dénoncent.
Et la violence avec laquelle on tente de les faire taire, elle est tout aussi banalisée, bien à l’abri sous le casque d’impunité invisibilité.
Ceci dit, on aura beau condamner cette émotion chez les femmes, rappelons-nous que de leur colère naît la liberté de Pégase et le courage de Chrysaor, deux forces qui ont le potentiel de devenir moteur de changement pour un monde de justice et d’égalité.
Pour lire un autre texte d’Audrey Pageau-Marcotte: «L’histoire du désir : Tinder vs l’amour courtois».
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