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Journée nationale de la vérité et de la réconciliation : et si on parlait aussi de guérison?
Le 30 septembre 2021 marquera la toute première Journée nationale de la vérité et de la réconciliation. Le but de cette initiative? Rendre hommage aux enfants disparu.e.s et aux survivant.e.s des pensionnats, à leurs familles et à leurs communautés. Selon le site du gouvernement du Canada, « la commémoration publique de l’histoire tragique et douloureuse des pensionnats et de leurs séquelles durables est un élément essentiel du processus de réconciliation ».
Le 30 septembre se tient également la Journée du chandail orange, une journée commémorative organisée par les communautés autochtones servant à rendre hommage aux victimes des pensionnats. Le symbole s’inspire de l’histoire de Phyllis Webstad, une fillette de la Première Nation Xgat’tem Stswecem’c, qui, à son premier jour d’école, est arrivée vêtue d’un chandail orange, lequel lui a été retiré. Le chandail orange est alors devenu un symbole de la dépossession de la culture et de la liberté dont ont été victimes les enfants autochtones pendant plusieurs générations.
Dans la foulée, le 28 septembre marque également le triste premier anniversaire de la mort de Joyce Echaquan, cette femme atikamekw de 37 ans décédée à l’hôpital de Saint-Charles-Borromée. On se rappelle qu’avant sa mort, elle avait enregistré un Facebook Live révélant les mauvais traitements dont elle était victime.
Pour toutes ces raisons, nous avons discuté avec Kijâtai-Alexandra Veillette-Cheezo, artiste, chroniqueuse à Espaces autochtones, étudiante en journaliste et co-animatrice du balado Voies parallèles.
Pour commencer, quelle est la mission du balado Voies parallèles, que tu co-animes avec Laurence Depelteau-McEvoy, fondatrice de Nouveau Monde productions?
Pour moi, la mission se trouve dans le nom Voies parallèles. Je suis née d’une mère allochtone et d’un père autochtone de la nation Anishnabe, alors que Laurence est allochtone. On cherche à créer un dialogue et à faire se rencontrer nos réalités. On discute, on s’entretient avec des invité.e.s, et surtout, on s’écoute humblement. Selon moi, la guérison passe par là. Oui, il y a une réparation entre le gouvernement et les Premières Nations, mais aussi entre Autochtones et Allochtones. Pour nous, les notions d’écoute et d’humilité sont très importantes et c’est ce qu’on souhaite illustrer. Le podcast crée donc un espace de discussions fondamentalement humaines, authentiques, et c’est précieux.
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Comment perçois-tu la création de la Journée nationale de la vérité et de la réconciliation?
«Il ne faudrait pas que ce soit une journée juste pour se donner bonne conscience, mais qu’il y ait une réelle intention de poser des gestes concrets»
Pour être franche, je suis encore en train de me questionner. La Journée du chandail orange existe depuis 2013 et les Autochtones se remémorent les victimes des pensionnats depuis beaucoup plus longtemps. Évidemment, je trouve ça important d’officialiser cette journée sur le plan gouvernemental… Pour te donner un exemple de mes réflexions, je me questionne sur le mot « réconciliation ». Les mots « réparation » et « guérison » seraient-ils plus appropriés? Pour moi, oui.
Je m’interroge aussi sur les intentions du gouvernement. Il ne faudrait pas que ce soit une journée juste pour se donner bonne conscience, mais qu’il y ait une réelle intention de poser des gestes concrets en ce sens. Mais je me dis tout de même que ça poussera peut-être les personnes allochtones à s’informer, à comprendre pourquoi ça se passe ce jour-là, ce que ça représente, et à devenir plus sensibilisées à nos réalités.
Sur le site du gouvernement du Canada, je remarque qu’on encourage les Canadien.ne.s à porter le orange le 30 septembre, « pour sensibiliser le public au tragique héritage des pensionnats et pour rendre hommage aux milliers de survivants ». Que penses-tu de ça? Y vois-tu un réel geste de soutien ou une contradiction?
C’est une bonne question. Je vois que dans la foulée, le site du gouvernement en profite pour rappeler l’histoire du chandail orange, tant mieux. Pour les Premières Nations, c’est un symbole très fort. Après, c’est sûr qu’il y a quelque chose de paradoxal dans le fait que le gouvernement encourage la population à porter le orange puisque dans l’histoire, le gouvernement occupe la place de l’oppresseur.
«il y a quelque chose de paradoxal dans le fait que le gouvernement encourage la population à porter le orange puisque dans l’histoire, le gouvernement occupe la place de l’oppresseur»
J’ai tellement de questionnements par rapport à ça. En proposant à la population de porter le orange, c’est comme si le gouvernement induisait la réconciliation (c’est pas mon mot préféré, mais c’est celui qu’emploient les fonctionnaires). Mais la réconciliation, c’est la responsabilité de qui? Je pense que ce n’est pas qu’aux Autochtones de faire le travail, mais le gouvernement ne peut pas se « réconcilier » sans nous.
C’est sûr qu’on parle d’une Commission de vérité et réconciliation et que le gouvernement fait de belles promesses. J’espère juste que ça va mener à des actions concrètes, pour prouver leurs intentions de réparer le passé… Je pense que j’ai des trusts issues, rendu là (rires). C’est comme quand quelqu’un te blesse et revient en te disant qu’il va changer. Ça prend des actions!
Ça fait un an que Joyce Echaquan est décédée. Dans les derniers mois, on a retrouvé des centaines de sépultures sur les sites d’anciens pensionnats en Colombie-Britannique et en Saskatchewan. Les conditions de vie des Autochtones ne cessent de faire les manchettes. Selon toi, la population allochtone est-elle plus sensible, plus consciente de ces enjeux qu’il y a un an?
«Il y a vraiment beaucoup de chemin à faire […] mais dans la dernière année, je sens une plus grande ouverture et une plus grande écoute»
Il y a un avant et un après Joyce Echaquan, je ne suis pas la seule à le penser. Mais tu sais, il y a aussi un avant et un après la résistance d’Oka, en 1990. Peu à peu, les gens s’éveillent, je le sens dans mon quotidien. Parfois, je suis dans des taxis, ou je parle avec des gens différents, et la conversation en vient aux enjeux autochtones. Je sens que les gens sont plus informés, qu’ils ont lu des articles, vu des documentaires qui décrivent différentes réalités des populations autochtones. Il y a vraiment beaucoup de chemin à faire, il y a encore énormément de personnes qui ont des préjugés, mais dans la dernière année, je sens une plus grande ouverture et une plus grande écoute. Je suis persuadée que tout le monde a la possibilité d’ouvrir ses perspectives, il faut avoir la volonté de le faire.
Donc pour moi, Joyce Echaquan, la résistance d’Oka, les sépultures, ce sont des événements forts qui marquent les esprits de manière puissante, que ce soit quand ça se passe ou quand c’est traduit dans la culture. Je pense au très bon film Beans de Tracey Deer (2020). C’est une œuvre difficile à regarder, autant pour les Autochtones que les Allochtones. Tout ça joue sur la notion de « confort ». Les Allochtones se confrontent à des réalités difficiles à admettre et pour les Autochtones, ça remue des traumatismes. Pour une personne autochtone, juste parler des pensionnats, ça représente une grande charge émotionnelle. Mon père est allé au pensionnat et ça a eu un impact immense sur sa vie, mais aussi celle de ses enfants. Il ne faut pas minimiser le traumatisme intergénérationnel.
Récemment, La Baie a commercialisé des chandails oranges pour la Journée du 30 septembre, portant le slogan Every Child Matters (chaque enfant compte), ce qui a beaucoup fait réagir. Vu le passé coloniale du magasin, comment perçois-tu cette initiative?
«Donc si une personne veut apporter un soutien, je conseillerais de le faire directement auprès d’organismes qui viennent en aide aux survivants des pensionnats ou aux personnes autochtones itinérantes»
C’est sûr que la réputation de La Baie est lourdement connotée. Quand j’ai vu qu’ils vendaient des chandails orange, la première chose que je me suis dite, c’est : « Ils ont pas vraiment pensé à leur affaire ». En fait, quand une grande entreprise pose ce genre de geste, on se demande toujours pourquoi ils le font. Est-ce que c’est vraiment pour soutenir les personnes marginalisées ou c’est une manière de faire de l’argent ou alors de redorer son image?
Donc si une personne veut apporter un soutien, je conseillerais de le faire directement auprès d’organismes qui viennent en aide aux survivants des pensionnats ou aux personnes autochtones itinérantes. Je n’irais pas à La Baie pour le faire.
Pour terminer, quels sont tes souhaits pour l’avenir de la Journée nationale de la vérité et de la réconciliation?
Je souhaite qu’on se rappelle des raisons pour lesquelles la journée a été créée justement. Je veux qu’on se souvienne de pourquoi Joyce a dû faire cette vidéo. Je veux qu’on se souvienne de l’impact passé, présent et futur des pensionnats sur les personnes qui y sont allées, sur leur famille et ceux et celles qui y ont laissé leur vie.
J’ai peur qu’on oublie. J’ai aussi peur des autres tragédies qui vont continuer d’être révélées, parce que ce n’est pas terminé, malheureusement. Mais il faut qu’on en parle, il ne peut plus passer tout ça sous silence.