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Jean-Pierre Ferland: les écrits (et la musique) restent

Aujourd’hui s’est éteint un artiste qui a vu le Québec naître.

Par
Benoît Lelièvre
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Jean-Pierre Ferland est un des artistes préférés de ma mère.

Ma maman n’est pas une mélomane au sens propre du terme. Il n’y avait jamais beaucoup de musique qui jouait à la maison. « Baisse ça, maudit que c’est énervant », s’époumonait-elle à travers la maison, chaque fois que Slipknot, Limp Bizkit ou même Mange L’Ours Mange prenaient en otage les haut-parleurs de l’ordinateur du sous-sol.

Il y a cependant toujours eu de la place chez nous pour les poètes.

Jean Ferrat, Jean Lapointe, Gilbert Bécaud et, peut-être le plus apprécié du groupe, Jean-Pierre Ferland. Samedi, M. Ferland a rendu l’âme dans un CHSLD de Lanaudière à l’âge vénérable de 89 ans. De cause naturelle, semblerait-il. Ça fait drôle. Jean-Pierre Ferland a fait partie du paysage culturel toute ma vie. Il a surmonté plusieurs ennuis de santé au fil des années dont un AVC duquel il s’était lui-même secouru en 2006 avant de reprendre du collier et de faire partie de la distribution des premières saisons de La Voix.

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On aurait cru qu’il serait toujours là, mais, depuis samedi, Jean-Pierre Ferland n’est plus des nôtres. C’est un gros trou qui se crée dans notre culture. C’est un titan qui part. Un artiste qui a élevé le Québec de la grande noirceur à l’âge adulte.

Un héritage indéniable et lourd de sens

Peu d’artistes peuvent se targuer d’avoir joué un rôle aussi crucial dans la création d’une identité nationale, mais Jean-Pierre Ferland pouvait l’affirmer sans doute. Lorsque le Québec est devenu le Québec qu’on connaît, il était au sommet de sa carrière et traçait le chemin que la chanson d’ici allait emprunter dans les décennies suivantes.

Si la balade à texte est aussi importante qu’elle l’est aujourd’hui dans la culture québécoise, c’est en bonne partie à cause d’artistes comme lui. On aime les poèmes chantés, au Québec. On aime regarder les gens qui nous sont chers dans les yeux et leur expliquer pourquoi ils sont extraordinaires et à quel point on les aime, comme M. Ferland l’a fait dans T’es mon amour, t’es ma maîtresse.

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Jean-Pierre Ferland observait le monde avec amour et bienveillance. Il était capable de mettre sur papier non seulement des sentiments, mais aussi la magie des gens qui l’entourent. Son Québec, c’était un endroit merveilleux où la puissance des sentiments conférait une immortalité aux gens qui croisaient son regard. Quand on aime on a toujours vingt ans, chantait-il avec la sagesse qu’on lui connaissait.

Malgré la fatigue et les cheveux blancs, Jean-Pierre Ferland aura eu vingt ans jusqu’à son dernier souffle.

Une partie de lui vit en nous depuis son passage dans notre culture. Ses albums Jaune, Soleil, Écoute pas ça et autres ont contribué à forger notre imaginaire. Si on a eu Les Colocs et Les Cowboys Fringants, c’est parce qu’on a d’abord eu des artistes comme Jean-Pierre Ferland, pour nous donner le droit de chanter le Québec dans notre langue. Dans nos mots.

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Jaune et bleu

Jean-Pierre Ferland était tout d’abord un parolier et un amoureux des mots, mais il était aussi un musicien accompli qui a tout autant contribué à l’identité sonore du Québec qu’à son imaginaire poétique.

L’album Jaune fut un immense moment dans notre évolution musicale. Autant on a eu droit à des petits bijoux de composition comme Le petit roi, Quand aime on a toujours vingt ans et Le chat du café des artistes, on a aussi pu avoir des morceaux complètement flyés comme God is an American ou Sing Sing qui ont libéré la chanson d’ici de la tyrannie du texte. M. Ferland savait suivre et créer au rythme de la musique intuitivement comme un capitaine de bateau suit les vagues pendant la tempête.

Jaune est paru en 1970, alors que Jean-Pierre Ferland avait déjà la mi-trentaine. Il avait vécu à travers la Grande Noirceur de Duplessis, la Révolution tranquille et accueillait les années René Lévesque avec optimisme.

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À un très jeune âge, il avait la sagesse d’un homme ayant vu le Québec changer et évoluer dans la bonne direction. Il avait le regard ouvert sur le monde, mais le cœur bien ancré dans la Belle Province.

Jean-Pierre Ferland était au crépuscule de sa légendaire carrière, mais son héritage a forgé l’identité musicale du Québec d’aujourd’hui. Il n’y a qu’à ouvrir la radio et à écouter Kaïn, La Chicane, Lynda Lemay ou même des artistes plus contemporains comme Gab Bouchard pour entendre la franchise mordante et l’éloquence éternelle que nous a léguées Jean-Pierre Ferland. Si on parle de nous avec cette réflexion douce, mais profonde, c’est parce qu’il a eu le culot de le faire en premier. Si on ose parfois sortir de notre zone de confort et essayer de nouvelles choses, musicalement, c’est parce qu’il l’a fait avant nous.

Merci pour tout, M. Ferland! On va s’ennuyer, mais on aura toujours vos écrits et votre musique pour maintenir votre souvenir bien en vie.