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Jean-François Provençal et son quasi burnout de la pandémie

En attendant la fin du monde avec Lucien.

Par
Hugo Meunier
Hugo Meunier
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« Je pense qu’il n’y a pas d’espoir. On va tous mourir. »

Jean-François Provençal ne tourne pas autour du pot pour ventiler son pessimisme envers le sort de la planète.

Comme la fin est proche, je me sens presque mal d’avoir passé un joyeux moment en compagnie de l’humoriste, auteur, réalisateur et acteur dans un café de son hood, dans le quartier Villeray.

Si je le rencontre aujourd’hui, c’est d’abord parce que j’avais envie de jaser de son personnage déjanté de Lucien dans la deuxième saison de la série C’est comme ça que je t’aime, mais aussi de sa vie et de ses autres créations artistiques.

Le barista du café Larue salue Jean-François Provençal à son arrivée. Un habitué, visiblement. Le comédien m’offre un latté sur le bras, avant de me rejoindre sur un tabouret au bord de la fenêtre.

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C’est le printemps et le soleil cogne fort dans la vitre. « C’est probablement la pire place », analyse un des six membres fondateurs du groupe Les Appendices. Après un déménagement furtif sur une table random au centre, il s’exclame à nouveau quelques minutes plus tard : « Là! C’est la meilleure place! », en voyant les tabourets au comptoir se libérer.

Après ce jeu de chaise musicale, on entre dans le vif du sujet. « Je suis en burnout de la pandémie, je pense. J’ai travaillé comme jamais et là, je suis fatigué », admet Provençal, qui dit avoir besoin de « rien calisser un peu », même s’il s’estime choyé d’avoir été aussi occupé depuis deux ans, contrairement à plusieurs artistes.

Cette fatigue post-pandémique semble effectivement lui rentrer dedans, forçant une introspection.

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« J’ai pensé souvent aller travailler dans une job de 9 à 5 et ne rien ramener à la maison. Tiens, je pourrais venir travailler ici! », propose-t-il.

« Non », répond du tac au tac l’employé du café pince-sans-rire, qui capte des bribes de notre conversation.

Non, Jean-François Provençal n’a pas passé la pandémie à attendre son chèque de la PCU et à rattraper sa liste d’écoute Netflix. Il se remémore le début de la crise en mars 2020, lorsqu’il donnait un show de musique à Gatineau avec son compagnon Julien Corriveau. « Un gars m’a dit : “J’aimerais ça te donner un colleux, mais on ne peut pas.” Il m’a alors présenté son coude… », raconte le trentenaire au sujet de son tout premier elbow punch.

À l’instar d’un paquet d’artistes, il s’est alors doté du matériel nécessaire (signe de l’engouement, tout était discontinué, note-t-il) pour se consacrer à fond à son podcast Tu me niaises avec ses acolytes de Sexe Illégal (Mathieu Séguin et Philippe Cigna).

Provençal cherche ses mots pour décrire ce drôle d’ovni dans l’univers de la balado, qui fédère 2000 abonné.e.s sur Patreon et 10 000 sur YouTube. « C’est un hybride entre sketchs absurdes, grandes questions philosophiques et podcast. C’est plus une émission web », tente le réalisateur.

Mais pour se faire une tête, le mieux est d’aller voir par vous-même.

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L’enrobage visuel détonne de la jasette conventionnelle, avec un montage, des « effets spéciaux » magnifiquement kitsch, du motion design funky, des chansons qui se transforment en vers d’oreille et des entrevues dans des décors de sofa ou de chaises de camping. Autour d’un spliff ou d’un BBQ végane, on y aborde des sujets « sérieux » (les funérailles publiques de René Angélil), des légers (l’effet déconstipant du poulet) et des (très) absurdes comme cette séance de Donjons & niaisons psychédélique avec jet ski/femmes fortes.

« J’ai vraiment l’impression que mon podcast sera analysé dans 10-15 ans. C’est vraiment l’affaire dont je suis le plus fier, je pense. C’est exactement moi, sans compromis », clame Provençal.

« Je trouve ça gênant »

Parlant de compromis, l’artiste dit vouloir en faire le moins possible et refuse de jouer la game pour recevoir un chèque.

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D’un œil extérieur, Jean-François Provençal a pourtant l’air de vivre sa best life. Il fait ce qu’il aime avec ses chums depuis qu’il a quitté les bancs d’école, en plus d’incarner un personnage mémorable dans la série de l’heure à Radio-Canada.

«Ça va crissement pas bien, mais tout le monde s’en calisse et veut des likes sur les réseaux sociaux. Je trouve ça gênant.»

Mais au-delà de son bonheur personnel, la maison brûle et Provençal a du mal à en faire abstraction. « Ça va crissement pas bien, mais tout le monde s’en calisse et veut des likes sur les réseaux sociaux. Je trouve ça gênant », admet-il, jalousant un peu (mais sincèrement) le superpouvoir de Gino Chouinard de voir le beau partout.

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Le trentenaire n’a pas l’étoffe d’un militant par contre. Il est trop tard pour ça de toute façon, soupire-t-il. « C’est le capitalisme qui va gagner. »

Dans un tel contexte, même son projet d’avoir un bébé avec sa blonde devient une source d’angoisse. « Je suis full inquiet, mais ma blonde est un peu dans le déni par rapport à ça… »

L’inévitable apocalypse et la pandémie ont certainement influencé son rapport avec son métier, voire sa notoriété. « Ça ne sert absolument à rien », tranche-t-il au sujet de cette course aux likes et à l’attention.

Pour cette raison, Provençal ne se consacre qu’à des projets qui l’intéressent. Une intégrité qui lui coûte littéralement cher. « J’aurais pas une chronique à Salut Bonjour même si c’est payant ni n’écrirais des sketchs pour un humoriste poche. Beaucoup de mes amis sont très riches, leur maison est payée, mais moi, je ne suis pas là », assure-t-il.

Il est tout de même conscient de son privilège, celui d’avoir eu carte blanche pour faire neuf saisons des Appendices avec ses amis de la polyvalente Chanoine-Armand-Racicot de Saint-Jean-sur-Richelieu.

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« L’humour, ça ne me tente plus »

Pendant que Dire Strait attaque le premier couplet de Sultan of Swing à la radio, Jean-François Provençal me parle de sa désillusion envers l’humour d’ici.

« L’humour, ça ne me tente plus. Je ne m’identifie plus aux humoristes, je les trouve niaiseux à parler de leur piscine et leur petit nombril », lance sans ambage Jean-François, qui a un peu promené son premier one-man show intitulé Cornet avant la pandémie. Il compte malgré tout quelques ami.e.s dans le milieu de l’humour, dont certain.e.s ont des opinions encore plus tranchées que lui.

« Les plus jeunes sont découragés des plus vieux. Certains humoristes ont une réflexion, mais en général, je ne vois pas pourquoi je m’identifierais à eux », critique Provençal, estimant que les humoristes d’ici sont incapables de développer une pensée critique. « La société a drastiquement changé et ils ne sont pas capables de formuler une opinion ou de se mouiller un peu. Ils ont assez d’argent et un chalet dans le nord. D’un autre côté, je les comprends un peu : parler, c’est rendu dangereux. »

«Il n’y a pas vraiment de rectitude woke. Tu vas te faire critiquer si tu dis des affaires qui n’ont pas d’allure. Les jokes misogynes, c’est juste plus drôle.»

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S’il reconnaît une forme d’autocensure à l’heure actuelle, le génie derrière le succès viral J’ai faim plus que Alain pense malgré tout que la notoriété vient avec une responsabilité. « Il n’y a pas vraiment de rectitude woke. Tu vas te faire critiquer si tu dis des affaires qui n’ont pas d’allure. Les jokes misogynes, c’est juste plus drôle », nuance l’humoriste déçu, qui concède que les gens tapent parfois sur le mauvais clou.

De toute façon, il ne croit pas trop à la cancel culture, qui n’annule jamais vraiment personne ou presque. « Ma prédiction : Maripier Morin va revenir en 2022. Mais je m’en calisse, le monde va brûler pareil! »

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Comédien > humoriste

Pour toutes ces raisons, Jean-François Provençal souhaite troquer son chapeau d’humoriste pour celui de comédien.

Ses yeux s’illuminent sous sa casquette jaune enfoncée sur sa tête lorsque je lui demande de me parler de son personnage dans C’est comme ça que je t’aime.

Il ne s’attendait pas à ce que son personnage prenne de l’importance dans la nouvelle saison. Un beau cadeau, certes, qui vient avec un syndrome de l’imposteur. « Quand j’ai lu une scène, je me suis dit : “Ayoye, j’ai un monologue de huit pages à faire devant les plus grands comédiens du Québec!” Je l’ai apprise par cœur », raconte Provençal, qui s’en tire à merveille dans ce rôle plus complexe que prévu.

«J’ai tiré du gun, fait une scène de nu et tripoté un mannequin. On dirait que j’ai juste vécu mes rêves.»

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Sans divulgâcher la patente, disons que le naïf Lucien lutte avec toutes sortes de démons intérieurs et extérieurs dans sa relation toxique avec la glaciale Marie-Josée (impeccable Sophie Desmarais). « J’ai tiré du gun, fait une scène de nu et tripoté un mannequin. On dirait que j’ai juste vécu mes rêves », badine Provençal, qui ne tarit pas d’éloges envers ses collègues de la série, qui lui ont laissé toute la latitude pour développer son Lucien. « Ils m’ont vraiment fait sentir en confiance. T’es un peu le gardien de ton personnage et c’est comme du théâtre filmé. Je ne voulais surtout pas décevoir Sophie (Desmarais) et qu’elle se dise : “Ah non, pas un humoriste!” », admet-il, pendant que Eminem chante The Real Slim Shady à la radio.

Après avoir été de la distribution d’une série de François Létourneau (qu’il surnomme affectueusement le « Tarantino du Québec »), Jean-François Provençal aimerait jouer encore, au cinéma surtout. « J’aimerais me fondre là-dedans, dire les mots des autres, oublier mes problèmes… », résume Provençal, qui fantasme des rôles dans des films de Robert Morin, Stéphane Lafleur ou Robin Aubert.

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Mais pour l’heure, Jean-François Provençal s’accorde un repos bien mérité. Le droit (le privilège) de ne rien calisser un peu, en attendant le prochain projet qui le fera vibrer. « Je veux juste tripper et être un artiste », résume-t-il candidement.

Être un artiste, sans faire trop de compromis.