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Je publie donc je suis

Par
Julie Lemay
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La vie des gens pas nécessairement riches, ni célèbres, c’est celle qu’on peut désormais avoir dans la face à longueur de journée en étant actifs sur les médias sociaux. Tasse-toé la sœur Kardashian qui se pose en bikini sur son yacht à Miami parce que la sœur Langlois peut aussi se poser sur sa chaloupe à moteur à St-Jean-sur-Richelieu, pis avoir PRESQU’AUTANT DE LIKES!

Un jour, ma charmante coloc et moi-même, philosophes des temps modernes, avons convenu que la vie, c’est comme du tofu. À la base, ç’a une bonne valeur nutritive, mais si t’ajoutes pas un peu de saveurs, ça peut devenir plate et finir par goûter le carton. Et personne ne veut d’une vie qui goûte le carton. Alors on s’cuisine l’existence. L’affaire, c’est que les médias sociaux peuvent devenir le festival de l’assaisonnement over the top.

Spice up your life!“, que ça dit!

CHECK MA VIE COMME ELLE VAUT LA PEINE D’ÊTRE VÉCUE!

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On connaît tous cette personne qui change sa photo de profil aux semaines, qui nous avise qu’elle était ici ou là-bas, qu’elle mangeait ci, avec ça, qu’elle courait cette distance, en portant ces souliers, qu’elle a fait du yoga et que “Namaste, la vie!”, ça lui a vraiment fait du bien de se stretcher l’aine, samedi matin à 9h27. Oui, cette personne qui fait de son quotidien une représentation sans fin et qui nous amène à nous demander elle est où, la damnée limite du dévoilement?!

Incluez vos propres suggestions ici parce que je suis convaincue que des exemples d’abus d’exposition sur les médias sociaux, vous en avez un char pis une barge. C’est qu’on tombe souvent dans le débordement… Mes faits vécus? Lire un statut concernant la consistance du caca d’un bébé + tomber sur des photos d’une fille avec moue déconfite d’endeuillée, installée su’l bord d’une pierre tombale devant un tas de terre fraîchement tapé.

Je. Ne. Comprends. Pas.

La seule hypothèse que je peux émettre est que ces gens étaient en train de se snapchatter la vie quand l’expression “se garder une petite gêne” a été créée.

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On va se le dire, ça peut être sain, l’fun et créatif de se raconter! C’est quand même une belle chose de penser qu’on peut faire sourire 75 402 personnes en publiant une anecdote de vie ou de savoir qu’on peut garder contact avec la fille de notre primaire qu’on n’a pas vue depuis 1824. Mais des fois, le terrain devient glissant.

Sentir qu’on doit constamment faire un show avec sa vie et participer au concours d’assaisonnement de son existence peut faire en sorte qu’on finit par se créer un faux-soi sublimé. Un fossé peut finir par se créer entre notre réalité et ce qu’on souhaite projeter et c’est là qu’on peut commencer à trouver notre vie ben plate : en comparant son “soi-même devant l’écran” avec son “soi-même derrière l’écran”.

Même face. Même nom. Deux vies. Une plus ennuyante que l’autre.

On peut finir par se mentir à soi-même, mais aussi devenir envieux de la vie des autres faux-soi, pensant que leur quotidien se déroule toujours selon l’intensité exposée. Vous savez, ces personnes qui mangent toujours dans le meilleur resto EVER, avec les meilleurs amis EVER, qui sont à l’évènement le plus trendy EVER et blablabli blablabla? Bon Dieu qu’ils ont l’air de réussir, eux!

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C’est vrai que ça peut être bien de se contempler sous son plus beau jour. C’est valorisant!
Mais quelle vérité se cache derrière l’image? Et à force d’exposer un gros bonheur gras dans la face des gens, qui tente-t-on de convaincre?
Soi-même ou les autres?

Rectifions : c’est normal que nos déjeuners ne soient pas toujours constitués d’un œuf poché déposé sur lit de roquette fraîche, accompagné de la reproduction du cercle chromatique en fruits. C’est correct qu’on ne soit pas monté sur notre chaise pour poser le contenu de notre tasse question que notre déjeuner soit validé par une émoticône “wouah!”. C’est correct parce que ce n’est pas important! Le jour où ça deviendra une priorité collective de s’extasier devant un saupoudrage de cannelle su’l top d’un chai latté, il faudra vraiment remettre en question notre rapport à l’humanité.

Alors oui, on peut bien oser ajouter un peu de sucre en poudre sur le gâteau blanc de nos vies, mais il faut aussi doser. Avec toutes les images de soi qu’on peut se créer, j’nous souhaite juste d’aimer autant la version qu’on perçoit en se mirant sur les Internets que la version originale de soi qui nous est renvoyée par notre miroir. Il y en a une qui a des chances d’être plus authentique que l’autre même si on ne peut pas la valider à grand coup de likes, elle mérite bien un peu d’amour!

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Pour lire une autre chronique de Julie Lemay : “Touche-toi (ou pas)”

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