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Je me suis tanné d’être « le gars qui parle mal »
« Articule quand tu jappes! » est l’insulte que j’ai entendue le plus souvent dans ma vie. Je l’ai entendu beaucoup. « Parler mal » a toujours fait partie de mon identité.
Essentiellement, quand je parle, ça va vite. Très vite. Les syllabes sortent de ma bouche à la vitesse d’une mitraillette. Vous pensez que François Pérusse et Louis-José Houde parlent vite? Vous pourriez être surpris!
Quand je dis que c’est un problème, c’est un problème. Quand je m’adresse pour la première fois à des inconnus, ce n’est pas rare qu’un proche doive servir d’interprète pour traduire mes mots dans un français intelligible.
Le pire, c’est que je ne m’en rends pas compte. On me dit que je parle vite, mais j’ai l’impression de parler normalement. Parfois, je me demande si ce n’est pas les autres qui entendent trop lentement!
Une façon désagréable de vivre
Évidemment, quand je parle vite, il y a des accrochages. Il y a des locutions dures à prononcer et des morceaux de mots qui revolent. On dirait que je veux tout dire en même temps et ça parait.
Mais je vis avec ce trouble-là depuis aussi longtemps que je me souvienne. À cause de ça, certaines choses simples me stressent comme commander au restaurant. Et comme je m’énerve, je m’emballe et ça empire.
J’ai toujours composé avec le problème parce que malgré tout, je me débrouille… correct. J’essaie de ne pas trop y accorder d’importance, de ne pas faire en sorte que ça me freine dans mes projets. Par exemple, ça ne m’a pas empêché de partir mon podcast 3 Bières.
Mais ça me rattrape tout le temps. Je suis celui qui parle mal dans l’émission et qui fait décrocher les gens.
Je le sais parce que je me le suis fait dire régulièrement. Faire le tapis rouge du Gala les Olivier c’est le fun quand t’es en nomination, mais c’est moins drôle quand dans l’extrait présenté à la télévision c’est toi qui bafouilles.
Je tiens à préciser que je n’ai pas été heurté par la joke. C’est plus moi qui étais déçu de moi. Je me souviens m’être dit : « Ah man, si tu pouvais parler comme du monde Pierre-Luc, on passerait pas pour des tatas du web qui ont de la misère à s’exprimer devant 1,4 million de téléspectateurs. »
Je suis « le gars qui parle mal » et c’est lourd à porter. Vous dire la surprise lorsque j’ai été approché pour faire la voix dans une pub il y a deux ans. Je ne le croyais pas! J’étais convaincu que c’était un prank! Je leur ai même répondu: « Êtes-vous sûrs que vous n’êtes pas en train de vous tromper de Pierre-Luc Racine? »
Les mauvais bons conseils
Lorsque j’ai commencé à flirter avec l’idée de monter sur scène, j’ai décidé de suivre des cours de diction pour m’aider. Après tout, si tout le monde me dit que j’articule comme quelqu’un qui a la bouche pleine de beurre de peanut, ça devrait régler le problème.
Je parle mal, donc c’est sûr que je vais me faire comprendre en surprononçant chaque syllabe.
Je me suis donc inscrit à un cours de groupe de « voix et diction » dans une école de théâtre. Pendant cette formation, j’ai appris deux choses: porter ma voix et surarticuler. Je parle mal, donc c’est sûr que je vais me faire comprendre en surprononçant chaque syllabe.
Et en projetant fort, ça me force à ralentir mon rythme. C’est très difficile de crier et de parler vite en même temps. Bam! Problème réglé! Tout ce que j’ai à faire, c’est de lire des textes à très haute voix en sur-ar-ti-cu-lant-toute-dans-cha-que-mot.
Ça a amélioré la situation un peu, mais pas tant que ça. J’avais encore énormément de difficultés. D’ailleurs, l’extrait où je m’accroche dans ma propre bouche présenté aux Olivier a été mis en onde 2-3 ans après ces cours-là.
Je ne sais pas quelle mouche m’a piqué en novembre dernier. Probablement aucune, comme on est en novembre et qu’il n’y a pas de mouche à cette période de l’année. Mais je me suis tanné. Vraiment tanné.
Trouver le vrai problème
J’ouvre Google et je me lance à la recherche d’un orthophoniste sans savoir s’ils traitent les adultes ou même s’il existe une solution à mon problème. J’appelle à quelques endroits et une orthophoniste me demande de lui envoyer un extrait de moi sans montage. J’en envoie quelques-uns et elle pense que j’ai peut-être un problème de bredouillement ou en anglais, du cluttering, un mot qui décrit mieux le phénomène.
Elle m’envoie ce lien et je lis : « Le bredouillement est un trouble de la fluence, caractérisé par un débit anormalement rapide et irrégulier et un grand nombre d’accidents de parole. […] Cela est d’autant plus difficile que la personne qui bredouille n’a pas réellement conscience de son trouble. L’entourage se plaint davantage que la personne elle-même qui a du mal à s’entendre. »
Une chance que j’étais déjà assis parce que je serais tombé à terre! Je ne me sens plus seul au monde pour la première fois! Je suis en train de me lire dans une description qui parle de moi! J’imagine que c’est comme ça que les gens qui croient en l’astrologie se sentent en lisant leur description!
L’orthophoniste me réfère à une de ses collègues spécialisées en la matière. Est-ce qu’il y aurait de l’espoir?
Réapprendre à parler
C’est Suzanne Labbé qui me traite depuis quelques semaines. Vous savez mon problème de diction? À ma grande surprise, je n’en ai pas. Là où c’est compliqué, c’est plutôt dans mon rythme. Mes syllabes ne sont pas égales. C’est comme si mes espaces n’étaient pas à la bonne place.
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Elle pense qu’il y a du bégaiement là-dedans. Parler vite serait une méthode compensatoire que j’aurais développée pour diminuer les probabilités de m’enfarger. Les problèmes de bégaiements subviennent surtout en début de phrase. Si je n’arrête jamais, j’ai moins de chance de me planter.
Évidemment, la vitesse reste un enjeu. J’en ai parlé au début, mais parler vite, ce n’est pas nécessairement un problème. Des artistes qui parlent vite et qu’on comprend, il n’en manque pas. La différence, c’est qu’eux prennent des pauses aux bons moments, mais c’est sur que ralentir un peu ne me ferait pas de tort.
Vous vous souvenez de mes ex-er-ci-ce-de-dic-tion-sur-ar-ti-cu-lé où je projetais ma voix avec force? Il s’avère que c’est exactement l’inverse que je devais faire!
Ce que j’apprends avec elle, c’est d’être détendu et en contrôle. Je ne savais pas à quel point c’était agréable de juste parler sans crier.
Ce que j’apprends avec elle, c’est d’être détendu et en contrôle. Je ne savais pas à quel point c’était agréable de juste parler sans crier. Maintenant, je me parle à voix haute plus souvent qu’avant juste parce que ça me relaxe. On ne m’avait jamais dit à quel point c’était plaisant de… simplement parler!
Récemment, je faisais le montage d’une vidéo tournée au mois de juin et je ne me reconnaissais plus. Je me disais : « Pierre-Luc, relaxe, cesse de forcer comme ça, fais l’inverse! » Et depuis, c’est ce que je fais et le bien que ça m’apporte est indescriptible.
Corriger 36 ans de mauvais plis et une tonne de réflexes compensatoires n’est pas facile. C’est même extrêmement ardu. Je me pratique au moins 30 minutes par jour. Cependant, je sens déjà être plus fluide qu’avant. J’ai récemment animé une soirée de deux heures sur Zoom sans que personne ne m’ait demandé de me répéter une seule fois. C’est quelque chose que je n’aurais jamais cru possible!
Avant, on me demandait constamment de répéter mes questions comme si j’étais l’animateur de la Guerre des clans!
Mon problème est loin d’être réglé à 100%. Je perds encore le contrôle lorsque je m’emballe spontanément sur un sujet qui me passionne, mais je sens que j’avance. Étrangement, ma voix actuelle sans forcer est plus grave que celle que j’utilisais avant parce que je force moins. J’ai vraiment hâte d’entendre ma nouvelle façon de parler!
Je vous en redonne des nouvelles lorsque je serai plus avancé dans ce dossier, mais je tiens à avertir mes contacts: je suis rendu un de ses fatigants qui envoient des messages vocaux en privé maintenant!