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J’ai travaillé pour Éric Salvail et Gilbert Rozon. Voici pourquoi je n’ai rien dit.
Alors que les empires d’Éric Salvail et de Gibert Rozon implosent sous leurs yeux, Rose-Aimée Automne T. Morin, une ancienne employée des deux géants, nous explique pourquoi elle a choisi de se taire. Même si elle voyait bien ce qui se passait. Comme tout le monde.
Salut,
Je suis ici pour présenter mes excuses.
J’ai souvent souligné l’importance de la dénonciation. Je vous ai encouragés à parler, j’ai maudit le backlash que subissent les victimes qui prennent parole et je nous ai invités à collectivement nous fâcher contre la culture du viol et ses acteurs. Pourtant, j’ai travaillé pour Éric Salvail pendant trois ans et, alors que j’étais régulièrement témoin de scènes répréhensibles telles que citées dans l’enquête de La Presse, je n’ai pas dit un mot.
Je n’ai absolument pas été à la hauteur de ce que je prêche. J’ai failli à mes valeurs, comme plusieurs personnalités du milieu médiatique.
Pourquoi?
Je n’ai rien dit parce qu’Éric Salvail est gentil. Je vous jure, c’est vraiment un homme aimable et profondément généreux. Sans oublier qu’il est drôle. C’est aussi, sans l’ombre d’un doute, le meilleur producteur que je connaisse. Honnêtement, j’aimais mon boss. Mais.
Éric Salvail a utilisé sa position d’autorité à des fins malsaines. Et toutes les qualités du monde ne peuvent effacer ce triste fait. Aucune gentillesse n’aurait dû me laisser silencieuse devant le sort de mes collègues parfois réduits à des corps convoités.
Je n’ai rien dit parce que je n’étais que témoin. Si les hommes concernés ne parlaient pas, pourquoi devais-je le faire? Je croyais que si je prenais parole en leur nom, j’allais les plonger dans une position encore plus délicate.
Pourtant, chaque fois qu’un homme m’a harcelée, j’aurais tout donné pour qu’on intervienne. Que n’im-por-te-qui intervienne. J’ai failli à mes collègues par peur d’être celle qui en ferait trop. Et je ne réalise qu’aujourd’hui à quel point c’était con.
Je n’ai rien dit parce que le milieu est petit. En télé, les gens d’influence sont peu nombreux. Si on veut avoir des contrats, vaut mieux ne pas trop faire de vagues. Et c’est aussi vrai pour les personnalités artistiques qui n’y œuvrent pas directement. Quel artiste en promotion d’une tournée peut se permettre de bouder un passage à En mode Salvail? Les tribunes sont rares, personne n’a le luxe d’y tourner le dos.
En télé, les gens d’influence sont peu nombreux. Si on veut avoir des contrats, vaut mieux ne pas trop faire de vagues.
Malgré tout, certains l’ont fait. Des gens intègres ont évité les plateaux d’Éric Salvail. Il s’agit donc d’un choix, même si plusieurs personnalités publiques se sont senties prisonnières d’un star-système limité.
J’ai n’ai rien dit parce que je ne comprenais pas à quel point c’était grave. Au bureau, les propos de notre patron passaient pour des blagues. Mais quand la joke dure des années, quand elle vise toujours les mêmes individus et que, malgré tout, on préfère croire à un show d’humour plutôt qu’à du harcèlement, on devient tous coupables.
Voilà. Je n’ai rien dit parce que mon silence me rendait coupable.
Après Salvail, j’ai travaillé pour Gilbert Rozon. La seule fois où je l’ai croisé sur un plateau, il m’a chuchoté à l’oreille qu’il aimerait regarder sous ma jupe, convaincu que ce qu’il y avait là était très beau. Je n’ai rien dit publiquement, parce que rendue-là, j’avais l’impression que c’était normal, pour un boss, d’être complètement déplacé. De mettre le sexe au cœur de ses relations de travail.
Mais c’est terminé. La digue a lâché. Le courage de celles et ceux qui parlent enclenche déjà une transformation. On ne pourra plus rester de marbre devant le comportement de ceux que le pouvoir rend malveillants de la sorte. J’imagine avec délectation certains décideurs trembler devant la vague de dénonciations et de conscientisation qui happe présentement l’Amérique.
Je n’ai rien dit publiquement, parce que rendue-là, j’avais l’impression que c’était normal, pour un boss, d’être complètement déplacé.
Et en attendant que ces patrons soient publiquement nommés, je crois que le milieu artistique a un solide examen de conscience à mener. Notre silence était inacceptable. Il en revient à nous tous de briser cette culture qui préfère le culte de la personnalité à l’intégrité physique et mentale des employés.
On ne m’y prendra plus. Encore pardon.
Pour d’autres lectures sur la vague de dénonciations d’inconduites sexuelles au Québec, c’est ici.