Son rouge est éclatant. Vingt et une lettres blanches brodées sur l’avant promettent de ramener l’Amérique à sa gloire d’antan. Sur sa droite, un drapeau américain, et sur sa gauche, les chiffres 45-47 célèbrent l’ancienne présidence et la prochaine potentielle du candidat républicain. À l’arrière de l’objet, le point culminant : le nom de celui qui monopolise l’espace médiatique depuis 2016 « TRUMP ».
Malgré cette omniprésence, le Québec semble à l’abri d’une vague d’amour trumpiste, sauf pour quelques manifestations marginales. Mais il reste que des gens ouvertement pro-Trump, il y en a quand même de notre côté de la frontière.
C’est donc dans l’espoir de les inviter à sortir de l’ombre que j’ai « fièrement » porté l’emblème du mouvement MAGA dans trois grandes villes du Québec. En plus d’attirer les regards, l’idée était de voir si les sympathisants ou détracteurs du président orangé auraient le courage de venir louanger ou challenger mes « convictions ».
Oui, je suis un troll.
Montréal : l’épicentre anti-Trump
Chaque lundi matin, l’équipe des journalistes d’URBANIA se rencontre pour planifier la semaine. C’était le moment idéal pour entamer ma quête, m’attendant à une cancellation immédiate de la part de mes collègues, tous des révolutionnaires d’extrême gauche, comme on le sait.
Au moment d’enfiler la casquette, j’anticipais des cris du cœur, des discours sur les conséquences d’accorder de l’espace médiatique à certaines personnes ou même à un « je te croyais plus intelligent que ça ». J’ai plutôt eu droit à des roulements d’yeux, un rire nerveux et quelques collègues qui s’en torchaient royalement. Faut croire que j’ai trop tiré l’élastique des niaiseries chez URBANIA.
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Comme m’a souvent dit mon patron, there’s no news in the newsroom. Il me fallait donc tester la théorie dans la rue, croiser le regard des gens et sortir de ma chambre d’écho afin de bien constater l’impact que peut avoir cet objet hautement politique.
« Peut-être que les gens à Montréal vont te féliciter en pensant que c’est un geste de contestation », me fait remarquer ma collègue Malia.
Peut-être. Peut-être que je vais aussi me faire insulter. Ou cracher au visage. J’enfile donc le polarisant couvre-chef et je file vers le centre-ville. Mon plan : vagabonder quelques heures, pour terminer mon trajet au campus de l’UQAM, le repère par excellence des wokes si j’en crois Richard Martineau. Je l’avoue, je suis nerveux.
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Malgré tout, aucune confrontation ni félicitations. En approchant du MTelus, je croise une horde d’amateurs de Slipknot rassemblés devant la salle. Je fonce, la tête bien haute, question d’attirer les regards. Une congestion de piétons m’oblige toutefois à m’arrêter au beau milieu de l’attroupement. Un groupe de jeunes tente tant bien que mal de continuer leur conversation comme si de rien n’était, mais ne peut s’empêcher de regarder ma casquette emblématique. L’espace pour circuler disparaît à vue d’œil. Le bouncer remarque ma présence. Je sens de plus en plus d’yeux se poser sur moi. L’air se fait rare. Une brèche. Je saisis l’opportunité.
Il me reste un dernier arrêt : l’UQAM.
Le campus fraîchement rénové du Quartier latin pullule d’étudiants. J’anticipe des réactions incendiaires et peut-être même un débat.
Encore une fois, les réactions se limitent à des regards de jugement, un marmonnement du genre « mhhhhh » et un klaxon au loin. On est loin des rassemblements contestataires que crée l’activiste de droite Charlie Kirk sur les campus américains. En fait, je pense que j’aurais eu droit à plus de réactions si j’avais porté un carré vert. Too soon?
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Cette absence de réactions me force à me questionner sur le rapport qu’entretient le Québec avec les objets à caractère politique. Louis Aucoin, stratège en communications, en avait long à dire sur le sujet :
« Je pense qu’au Québec, le dernier grand symbole politique qu’on a vu, c’est justement le carré rouge. C’est un symbole qui a traversé les générations. Mais plus ça va, et moins les gens ont confiance en nos politiciens, et moins ils ont envie d’afficher leur soutien pour un parti politique. »
Et dans le cas de la casquette MAGA?
« Ce symbole-là a une portée immense. N’importe quel parti politique rêve (dans un certain sens) d’en avoir un similaire, mais on n’est pas là. […] Il n’y a personne qui va porter une casquette pour dire 95 000 logements supplémentaires abordables à Saint-Hyacinthe. Il faudrait que ça soit pour un grand enjeu, comme l’indépendance. »
Ça mange du bleu ou du rouge en Estrie?
À des fins de (grande) rigueur scientifique, il me fallait sortir de Montréal.
J’ai donc mis le cap vers L’Estrie. Mais avant de vagabonder dans les rues de Sherbrooke, j’ai d’abord fait une escale dans un lieu de culte du vrai monde et j’ai nommé : un Tim Hortons de Saint-Jean-sur-Richelieu.
Une fois dans l’antre du beigne, je me mets rapidement en file. J’entends les gens chuchoter derrière moi, je suis clairement le sujet de leur conversation. Le couple en avant me jette un regard au-dessus de l’épaule. Lorsque vient mon tour pour commander, la caissière m’accueille, tout sourire. Je vais m’asseoir et j’attends. Je continue de fixer le couple qui a déjà reçu son repas, mais qui attend près du comptoir. Ils attendent quoi, au juste? Veulent-ils, à la première occasion, saisir mon grand café et me le jeter au visage? Ou simplement cracher dans mon wrap du travailleur à la moindre distraction? Au bout de 10 minutes, ma commande est prête. À peine ai-je le temps de me lever, je vois la jeune dame du couple saisir mon sac et quitter l’établissement d’un pas déterminé.
Impossible! On vient de voler ma commande. What the fuck. C’est donc ça, ma première confrontation? Un wrap en trio volé?
Franchement. Heureusement, le staff du Tim a été compréhensif et on me prépare une seconde commande. Sont-ils pro-Trump? La question est légitime.
Une fois à Sherbrooke, j’ai seulement droit à un « criss de cave » de la part d’un ado accompagné de sa gang de chums. C’est tout. Pourquoi les gens ne viennent pas me parler? Sont-ils tout simplement écœurés de parler de politique américaine?
« C’est normal qu’on en parle : c’est nos voisins et on a des liens économiques très importants avec eux. Par contre, les médias en parlent constamment et ça fait qu’on parle moins de politique provinciale et fédérale. […] C’est pas normal, selon moi, que des réseaux d’information diffusent en direct des conventions républicaines ou démocrates », m’explique Thierry Giasson de l’Université Laval.
Québec, le cœur du pays du Québec.
Qui aurait cru que c’est au légendaire Madrid 2.0 que je recevrais mon tout premier compliment, gracieuseté d’un sympathique travailleur de la construction?
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Aussitôt débarqué dans le Vieux-Québec, j’entends au loin une voix du type « je conduis un F150 » me lancer un « nice hat, pal! ».
Enfin, un dialogue.
Je me présente au monsieur, accompagné de sa femme, et je leur explique mon expérience.
« J’ai justement amené mon t-shirt de Trump et je comptais le porter pour aller souper au restaurant, mais j’étais pas certain que ça allait bien passer. […] Finalement, vous êtes quand même plus tolérants qu’à Toronto », me raconte l’homme en visite de l’Ontario.
« J’aime Trump, je ne supporte pas tout ce qu’il a fait ou dit, mais je trouve qu’il a du caractère. Dans mon coin, ça manque de médias conservateurs. Je préférerais habiter en Floride, je suis mieux là-bas. J’ai déjà pris une bière avec du monde de sa sécurité après un rallye, c’est du bon monde qui travaille pour lui. »
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Ce qui m’étonne, c’est que l’homme ne correspond à aucun cliché que j’avais des trumpistes. Éduqué, bien sapé et articulé. Pas tout à fait le profil que je cherche non plus, puisque je préférerais parler à un Québécois. Je vagabonde une bonne heure dans les rues de la ville pour terminer ma quête devant le consulat des États-Unis. Feels like home.
Au moment de prendre un selfie avec le drapeau américain, un agent de sécurité complimente ma calotte.
– C’est l’ancien ou le nouveau modèle?
– Ah, parce que vous vous y connaissez?
– Oui, quand même. Et je vois beaucoup de gens qui la portent venir se prendre en photo devant le bâtiment.
Au moment de lui révéler que je suis journaliste, je sens une méfiance s’installer.
Le stratège en communication Louis Aucoin souligne que le Québec est loin d’être l’endroit idéal pour s’afficher comme étant pro-Trump. « Il y a un fond conservateur au Québec, certes, parce que c’est une société qui a dû se protéger. Les vieux stratèges politiques appellent ça “le fond bleu”, mais ils n’ont pas besoin de Make America Great Again. Ils préfèrent le gros bon sens, comme le dirait Pierre Poilievre. »
Difficile, toutefois, de décerner si le port de la casquette était considéré par les gens que j’ai croisés comme un geste ironique ou si je provoquais chez eux un réel inconfort. Une conclusion plutôt facile à tirer, selon Thierry Giasson :
« En y réfléchissant bien, je pense que c’est plutôt de la suspicion que ça a généré chez les gens. Parce qu’encore une fois, c’est une chose quand on la voit à la télé, c’en est une autre quand on la voit devant nous, dans notre espace privé, personnel ou même public. C’est tellement rare que c’est choquant, au Québec. »
Et si je me fie à certains regards, c’est clair que ça génère un sentiment d’inquiétude chez certains en raison du message politique derrière la casquette. Un message stratégique et réfléchi, selon M. Aucoin :
« Le message MAGA, c’est un message de peur. La peur, c’est le sentiment qui fait le plus bouger les gens et qui les amène à poser un geste, qui, dans ce cas-là, est un vote. »
style=”font-weight: 400;”>Chose certaine, je suis soulagé de ne plus avoir à déambuler dans les rues, affublé de la calotte. Ça aurait commencé à me coûter cher en wraps du travailleur.
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