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Intervention anticipée avec Sébastien Diaz et Bianca Gervais

« Crevée », « En crisse », est-ce qu’ils vont bien? Nous envoient-ils des appels à l’aide?

Par
Benoît Lelièvre
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« C’est drôle que tu fasses le lien entre les deux, parce que En crisse est né de la réaction à Crevée », répond affablement Sébastien Diaz vis-à-vis mon inquiétude.

L’idée de la nouvelle série documentaire du couple Gervais-Diaz a émergé l’automne dernier, après le passage de Bianca à Tout le monde en parle pour promouvoir sa série documentaire Crevée. « On était en chemin vers la maison après l’émission et elle recevait des messages par centaines. Elle se faisait dire des choses comme : “De quel droit tu te plains? Moi, j’ai élevé douze enfants, pis j’ai fermé ma gueule.” »

« On est arrivés à la maison, on s’est servi un verre de vin et on s’est rendus à l’évidence : les gens sont en crisse. »

Disponible sur Tou.tv depuis le 24 octobre, En crisse explore la colère personnelle, mais surtout collective et se questionne sur l’utilité que pourrait avoir cette émotion inconfortable dans le futur. Ne ressemblant à aucun autre documentaire, l’objectivité et le réalisme émotionnel s’y côtoient à travers une série de mises en scène qui visent à donner une nouvelle perspective sur la colère.

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« On ne voulait pas faire un autre documentaire avec des images de parc au ralenti et des plans de drone. La colère, c’est une émotion cinématographique », m’explique Bianca Gervais, attablée au restaurant Chez Lionel à Boucherville.

La colère et les émotions nobles

Sébastien et Bianca ont une relation très différente à la colère. Pour lui, ce n’est pas (ou en tout cas très peu) personnel. Il ne semble pas être le genre de personne qui se choque beaucoup dans la vie. Pour elle, c’est une émotion plus intime. Plus immédiate.

« J’suis une petite fille de Ville-Émard. Je me faisais garder par ma grand-mère et on allait à l’église. On me disait que c’était pas beau, la colère. Surtout pas sur le visage d’une femme. Que ça faisait des ravages », m’explique l’actrice et animatrice.

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Cette colère, Bianca l’incarne dans la série à travers des mises en scène inspirées de divers films américains mettant en vedette des hommes en crisse : Fight Club, Taxi Driver et Falling Down, où Michael Douglas pète une Jésus Christ de coche parce que le gérant d’un resto de fast food refuse de lui servir à déjeuner.

Celle-ci est plus complexe et provocante parce que l’inversion des genres fait miroiter nos propres préjugés envers la colère féminine. Une petite voix pernicieuse au fond de nous se demande : ben voyons, elle peut pas aller chercher son déjeuner ailleurs? C’est quoi son problème? Ses pauvres enfants qui attendent dans l’auto.

« La colère n’est pas considérée comme une émotion noble parce que, contrairement au chagrin qui inspire l’empathie, ce n’est pas une émotion passive. Surtout la colère des femmes. Quand je joue un personnage sanguin, on me dit souvent de baisser l’intensité d’un cran ou de finir une scène en larmes, sinon mon personnage ne suscitera pas l’empathie », précise-t-elle.

Dans le deuxième épisode d’En crisse, Bianca donne la parole à un des emblèmes de la colère féminine : celles qu’on appelle « les Karen », ces femmes d’un certain âge souvent issues d’un milieu privilégié, et qui laissent libre cours à leur colère dans des situations où celle-ci peut paraître excessive ou inappropriée. Le segment entier promet de faire jaser, parce que le discours des Karen est…. comment dire? Très Karenesque.

L’une d’entre elles trace un parallèle un peu maladroit entre leur tempérament et le travail de Paul Arcand, allant même jusqu’à qualifier l’ex-animateur de Karen.

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« Ouin, c’est sûr que c’est la job d’un journaliste de poser des questions et de confronter », avoue Sébastien lorsque je lui fais remarquer qu’une femme avec les mêmes fonctions que M. Arcand ne serait sans doute pas qualifiée de Karen. « Mais y a plein d’animateurs et de chroniqueurs radio qui n’ont pas leurs cartes de journalistes et qui passent leur temps à chialer. L’exemple n’était peut-être pas le bon, mais je pense que le parallèle l’est. »

On ne nommera pas ces animateurs et chroniqueurs en question, mais l’argument de Sébastien tient la route. N’empêche, les Karen vont quand même sans doute alimenter les discussions en ligne. Je ne serais pas surpris de les voir transformées en memes dans un futur rapproché.

Extrait de la discussion avec les « Karen » dans le deuxième épisode.
Extrait de la discussion avec les « Karen » dans le deuxième épisode.
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De l’autre côté de la colère

Ex-collaborateur à l’émission de Sébastien Diaz On va se le dire, notre ministre de l’Éducation Bernard Drainville fait une apparition dans En crisse en tant que cible de prédilection de la colère des Québécois. Un excellent casting, parce que je doute que quelqu’un, en ce moment, ne bénéficie d’un aussi petit capital de sympathie dans l’opinion publique.

« Une chose très intéressante qu’il a dite et que j’ai dû couper au montage, c’est qu’il a l’impression d’avoir trop ouvert le dialogue dès le départ », explique Sébastien, qui a co-scénarisé et réalisé la série. « Oui, les politiciens ont l’air plus humains parce qu’on les voit maintenant sur toutes les plateformes, mais je me demande si on n’a pas enlevé une barrière qui aurait dû rester là. On a l’impression qu’ils nous appartiennent. Tsé, René Lévesque, il allait pas à Ad Lib, dans l’temps. »

Bien qu’ils se présentent comme observateurs du phénomène dans En crisse, le couple chouchou des Québécois n’est pas au-dessus de sa propre colère.

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Ça leur arrive aussi de se mettre en crisse, et pas toujours pour des raisons nobles.

Sébastien confie qu’il aime s’obstiner avec des étrangers pro-Trump en ligne à propos de leurs positions conservatrices, mais qu’il finit souvent par se faire prendre à son propre jeu et se choque plus souvent qu’autrement. « Ça m’énerve tellement quand il fait ça. On est à veille de se coucher et bam!, il vient en crisse. Je lui dis toujours : “Pourquoi tu fais ça? Ça sert à rien, tu te fabriques juste des cellules cancéreuses, là” », raconte Bianca.

Pour le couple, tout ce qui touche au mauvais traitement des enfants, l’incompétence, les commentaires en ligne à propos de l’un ou de l’autre sont des déclencheurs de colère. Si Sébastien avoue être plutôt diverti par les mauvais commentaires à son sujet, ça n’est pas le cas pour ceux qui touchent sa blonde.

« Une autre affaire qui vient me chercher : tu sais quand tu t’en vas prendre le pont, pis quelqu’un te coupe? Fais-moi un petit geste pour t’excuser ou quelque chose, mais fais surtout pas semblant que tu ne m’as pas vue », ajoute l’interprète de Karine dans Un monde à part.

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J’ignore si c’est sa formation d’actrice ou son intensité naturelle, mais lorsqu’elle évoque ses irritants, Bianca Gervais parle avec son corps. Ses doigts se crispent, son ton monte. C’est impressionnant. Elle ne me donne pas du tout envie de la mettre en colère.

D’ailleurs, après notre rencontre, Bianca se dirigeait à Montréal pour donner une entrevue à QUB radio. Si vous avez le malheur de la couper à l’entrée du pont, excusez-vous donc!