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Il faut qu’on se parle de Louis C.K.

Après Weinstein, Rozon et Salvail, est-ce que le géant de l'humour sera le prochain à tomber?

Par
Stéphane Morneau
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La semaine dernière, dans la foulée du mouvement #MoiAussi et des allégations d’inconduites sexuelles visant Éric Salvail et Gilbert Rozon, pour ne nommer qu’eux, je me posais la question suivante : que puis-je faire afin d’éviter que ma fille dise, à son tour, #MoiAussi quand elle sera plus vieille?

J’avais des pistes de solution en plus de nombreuses interrogations. En fin de compte, je concluais que le changement devait provenir des individus, moi le premier, et que les actions concrètes seraient nécessaires pour la suite des choses.

C’est pourquoi j’ai décidé de vous parler cette semaine de Louis C.K.

Comme plusieurs, j’adore le travail de C.K., sur scène et à la télévision. Il a redonné du souffle à l’humour aux États-Unis et son écriture est une influence que je dissimule à peine.

J’ai écouté et regardé de nombreuses fois pas mal tout ce qu’il a déjà produit artistiquement parlant. J’ai fait découvrir à des gens que j’estime ses numéros moins connus, j’ai fait l’éloge de ses séries sur de nombreuses plateformes et j’ai même payé pour télécharger ses heures de comédie sur son site.

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Sauf que depuis quelque temps, des rumeurs à son sujet ont refait surface et les histoires dégueulasses s’accumulent. Si bien qu’en septembre, une journaliste du New York Times, Cara Buckley, lui posait les questions auxquelles il ne veut pas répondre dans la foulée de sa tournée promotionnelle pour son dernier film I Love You, Daddy.

Ces questions, sans détour, ne sont pas anodines.

En effet, Buckley lui a demandé directement s’il souhaitait commenter les rumeurs d’inconduites sexuelles à son endroit qui ont refait la manchette à la suite de la sortie de l’humoriste Tig Notaro qui lui demandait d’affronter les rumeurs au lieu de pousser les questions sous le tapis.

Sa réponse exacte va comme suit : I’m not going to answer to that stuff, because they’re rumors. If you actually participate in a rumor, you make it bigger and you make it real.

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Traduction : je ne vais pas répondre à ça parce qu’il s’agit de rumeurs. Quand tu participes aux rumeurs, elles grossissent et deviennent vraies.

Le hic dans cette réponse de C.K., c’est que les rumeurs ont en effet gagné en importance et, de plus en plus, on demande à l’humoriste de renom de rendre des comptes, puisque les détails de ces rumeurs ont fait le tour du web.

Il y a la légende de l’humour aux États-Unis Roseanne Barr qui a affirmé qu’elle avait entendu de nombreuses histoires à son sujet, même si elle n’avait jamais été témoin de rien. Elle aussi, comme Notaro, croit que C.K. devrait affronter les rumeurs.

L’humoriste Jen Kirkman, de son côté en 2015, faisait des allusions à C.K.(sans le nommer) dans son podcast en parlant d’un humoriste très connu qui abuse des femmes avec qui il travaille. Elle a ensuite retiré le tout, laissant sous-entendre que son gérant lui avait fortement suggéré de ne pas trop en parler si elle tenait à poursuivre sa carrière.

En 2012, le site Gawker publiait les dénonciations de deux humoristes sous le couvert de l’anonymat. Elles dévoilaient avoir été forcées à regarder Louis C.K. se masturber devant elles dans une chambre d’hôtel lors d’un festival d’humour au Colorado.

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En 2012, le site Gawker publiait les dénonciations de deux humoristes sous le couvert de l’anonymat. Elles dévoilaient avoir été forcées à regarder Louis C.K. se masturber devant elles dans une chambre d’hôtel lors d’un festival d’humour au Colorado. Quand elles ont tenté de quitter la chambre, C.K. se serait tenu devant la porte afin de leur faire entrave, jusqu’à ce qu’il termine sa besogne. Le site a fait suite à l’histoire en 2015 et, à l’époque, C.K. refusait aussi de commenter les rumeurs.

Toujours selon Gawker, il y a cette histoire où un fan a confronté Louis en lui demandant candidement d’arrêter de montrer son pénis sans consentement à des femmes, ce à quoi C.K. aurait demandé à lui parler au téléphone en privé, tentant surtout d’obtenir des infos sur ce que l’individu avait entendu à son sujet. Là aussi, le tout s’est dissipé après quelques semaines, même si le même homme laissait entendre que C.K. avait empoigné à la gorge une jeune humoriste en lui tenant des propos sexuellement violent.

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Comme je vous disais, les histoires s’accumulent et si cette semaine nous a appris quelque chose – c’est qu’il n’y a pas de fumée sans feu.

C’est pourquoi je voulais vous parler de Louis C.K., parce que j’ai un malaise avec son art depuis que je connais ces allégations.

Il ne s’agit pas ici d’un procès, mais disons qu’il est difficile de ne pas anticiper le pire à la lumière de ce que nous savons des hommes à qui le pouvoir exacerbe les pires pulsions.

Pour moi, célébrer des êtres répréhensibles, ça ne fonctionne pas, aussi talentueux puissent-ils être.

Contrairement au magazine français Les Inrockuptibles, qui a fait la une de son édition d’octobre avec Bertrand Cantat, je ne suis pas capable de séparer l’homme de l’artiste. Pour moi, célébrer des êtres répréhensibles, ça ne fonctionne pas, aussi talentueux puissent-ils être.

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Il y a plusieurs degrés, évidemment, mais j’ai l’habitude de ratisser large. Roman Polanski et Woody Allen ne sont plus dans mes choix cinématographiques depuis longtemps et je dois avouer avoir de la difficulté à apprécier le travail de Casey Affleck depuis qu’on sait comment il traite certaines actrices.

Ici, il y a un débat à avoir et si les rumeurs concernant Louis C.K. s’avèrent vraies, il faudra déterminer comment, et si, on sépare l’oeuvre de l’homme.

De mon côté, je n’ai pas peur de le dire, les rumeurs me suffisent.

Je suis conscient du piège de la chose et que, sans preuve, on peut faire dire ce que l’on veut aux rumeurs. Mais il y a une petite voix au fond de ma caboche qui me répète que ça serait étonnant que tout ça ne soit que de la fiction pure et dure.

Alors, on fait quoi? On boycotte de façon préventive? On espère le mieux, comme les invétérés de Salvail qui s’accrochent encore à l’espoir de revoir l’animateur-vedette en forme à l’écran? On regarde dans l’autre direction comme d’habitude?

Je ne suis plus capable de faire comme si rien n’était. Les artistes que j’apprécie ne sont pas à l’abri.

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Pour ma part, je ne suis plus capable de faire comme si rien n’était. Les artistes que j’apprécie ne sont pas à l’abri. Louis C.K. n’a peut-être rien à se reprocher, mais c’est trop tard pour moi, le doute est semé.

Il n’y a pas de fumée sans feu.