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Hausse de la consommation par inhalation : de nouveaux défis pour les ressources

La montée des stimulants comme le crystal meth vient bousculer les pratiques d'intervention des organismes communautaires.

Par
Salomé Maari
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À Montréal, le portrait de l’itinérance et les tendances de consommation de drogues dans la rue ont changé drastiquement au cours des dernières années. La montée rapide de la consommation de drogues par inhalation comme le crystal meth a pris de court les organismes communautaires et le réseau de la santé et des services sociaux, qui, face à l’ampleur de ces nouveaux défis, doivent s’adapter d’urgence, avec des ressources limitées.

Signe que la consommation de ce stimulant ne ralentit pas, le nombre de pipes à bulles distribuées dans la ville a presque quintuplé en cinq ans.

Sur le terrain, certains organismes notent un effet secondaire visible de cette tendance de consommation : la désorganisation, l’agitation et la paranoïa sont de plus en plus visibles.

Sur le marché noir, ces substances sont de plus en plus contaminées par divers produits de coupe. « Ça fait cinq, dix ans qu’on le dit, le marché des opioïdes est contaminé, les gens meurent plus par surdose. Là, ce qui est en train d’arriver, c’est que le marché de toutes les drogues est contaminé et les gens qui consomment des psychostimulants consomment de plus en plus de [substances] hyper contaminées », affirme Dre Marie-Ève Goyer, cheffe médicale adjointe des services spécifiques en itinérance, dépendance et santé mentale au CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal.

Dre Marie-Ève Goyer, cheffe médicale adjointe des services spécifiques en itinérance, dépendance et santé mentale au CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal.
Dre Marie-Ève Goyer, cheffe médicale adjointe des services spécifiques en itinérance, dépendance et santé mentale au CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal.
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« Ce sont de gros changements, et malheureusement, les effectifs des organismes n’ont pas connu la même croissance que le phénomène. Donc, on peine à répondre aux besoins », illustre Andréane Désilets, directrice générale de la Maison Benoît Labre.

« On a essayé de s’adapter au fur et à mesure, mais dans la rue, les changements peuvent être tellement rapides », ajoute-t-elle.

UN FACTEUR D’EXCLUSION DES REFUGES

Du côté de la Mission Old Brewery, des usagers aux comportements de plus en plus désorganisés se présentent devant les portes du pavillon Webster.

« La consommation de stimulants – crack, crystal meth –, c’est notre plus gros défi, parce que les comportements à gérer sont plus erratiques, voire violents, dans certains cas », constate de son côté Émilie Fortier, vice-présidente aux services de l’organisme centenaire.

Elle explique que, malgré les efforts déployés pour s’adapter à cette nouvelle réalité, le manque de personnel empêche de répondre adéquatement et de manière sécuritaire aux besoins complexes des consommateurs de stimulants.

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Résultat, la ressource n’a souvent d’autre choix que de refuser l’entrée aux personnes qui présentent ce type de comportement. Cela inquiète grandement Émilie Fortier, qui se dit habitée par « un grand sentiment d’impuissance ».

Émilie Fortier, vice-présidente aux services de la Mission Old Brewery. Photo : Salomé Maari
Émilie Fortier, vice-présidente aux services de la Mission Old Brewery. Photo : Salomé Maari

« Est-ce que le fait de ne pas trouver une place en refuge fait qu’ils vont consommer plus pour ne pas dormir dans la rue? Peut-être », avance Émilie Roberge, coordonnatrice de l’équipe de proximité chez Spectre de rue, un organisme qui offre des services d’analyse de substances et d’injection supervisée.

Certains tendent vers des stimulants pour rester éveillés durant des périodes de vulnérabilité et éviter de se faire voler ou violenter, explique-t-elle.

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Par ailleurs, les enjeux de cohabitation avec les personnes en situation d’itinérance à Montréal ont beaucoup fait jaser, dernièrement : démantèlement de campements, augmentation des plaintes liées à l’itinérance dans le métro, hausse de la criminalité dans le secteur de la Maison Benoît Labre.

Selon Émilie Roberge, le syndrome du « pas dans ma cour » peut encourager la désaffiliation des personnes qui vivent dans la rue. « Ils ne peuvent pas être dans le métro, ils ne peuvent pas être dans les parcs, ils ne peuvent pas être dans la rue, ils ne peuvent pas être dans les ressources. À force de se faire rejeter tout le temps et à ne jamais avoir de place, tu finis par te braquer. »

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DES RECORDS DE SURDOSES ET PLUS DE DÉSORGANISATION

À l’unité Urgence-dépendance du CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal, les nouvelles tendances de consommation dans la rue se font bien sentir. « On n’avait jamais eu d’overdoses à ce point-là. Mais cette année [2024], on en a vraiment eu beaucoup par rapport à toutes les autres années auparavant. On a atteint des records », affirme Pamela Quezada-Escobar, cheffe de service en réadaptation de l’unité, qui offre des services psychosociaux et des soins infirmiers pour des personnes en situation de crise en lien avec leur dépendance.

Pour tenter de répondre aux nouveaux besoins de la population ciblée, la ressource a élargi son offre de services, notamment au niveau de la formation et de la sensibilisation. En novembre 2023, l’unité a créé un partenariat avec Urgences-santé, qui permet désormais aux paramédics qui transportent des patients de se rendre directement à l’Urgence-dépendance pour des cas d’intoxication. C’est vraisemblablement la première fois qu’un centre non-hospitalier accueille des ambulances d’Urgences-santé.

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« Avant, on n’avait pas besoin d’agents de sécurité sur place », explique Pamela Quezada-Escobar. Toutefois, face à l’exacerbation des comportements de désorganisation parmi sa clientèle, la ressource s’est dotée, il y a environ six mois, d’agents de sécurité le soir et la nuit – deux moments où le personnel est réduit – pour assurer la sécurité des usagers et des employés.

Photo : Jean Bourbeau
Photo : Jean Bourbeau

PLUS D’HEURES, PLUS DE SOINS, PLUS DE BESOINS

Situé dans le quartier Centre-Sud, Spectre de rue a récemment étendu les heures d’ouvertures de sa salle d’injection supervisée dans le cadre de mesures hivernales. Alors qu’elle est habituellement ouverte sept heures par jour, elle l’est maintenant 12 heures par jour. « L’hiver passé, on a constaté, en ouvrant 12 heures, que l’achalandage le justifiait. Le besoin était là », affirme Cédric Baillargeon, coordonnateur du projet de logements.

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« On tente de trouver du financement pour maintenir cet horaire-là à l’année », ajoute-t-il.

L’organisme a aussi un projet de logements en cours de construction, explique Cédric Baillargeon. « On va ajouter 22 chambres pour des jeunes de la rue ».

De plus en plus, le personnel de l’organisme est amené à soigner des plaies et à intervenir lors de surdoses. « Tout le monde ici est formé en RCR, en oxygénothérapie et en premiers soins avancés », affirme la directrice générale, Annie Aubertin.

« Les travailleurs de rue ont autant de Band-Aids dans leur sac que de matériel de consommation », illustre-t-elle.

« À force de se faire refuser des soins, d’arriver intoxiqués [à l’hôpital] et de se faire revirer de bord, les gens se présentent de moins en moins aux urgences, même s’ils ont un vrai besoin », déplore Cédric Baillargeon. Selon lui, certains usagers ont aussi vécu des traumatismes en milieu hospitalier, comme « des soins qui leur ont été prodigués contre leur gré. »

Photo : Jean Bourbeau
Photo : Jean Bourbeau
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« JUSTE LA POINTE DE L’ICEBERG »

Les nouvelles tendances de consommation, les nouveaux défis qu’elles entraînent et la toxicité du marché illicite ne sont que « la pointe de l’iceberg », prévient pour sa part Dre Goyer.

« On chiale parce qu’il y a des seringues dans notre cage d’escalier ou parce qu’il y a du brouhaha dans notre ruelle, mais on dirait qu’on ne voit pas le lien avec le fait de ne pas s’occuper de la pauvreté, la crise du logement et des traumatismes vécus pendant l’enfance », déplore-t-elle.

L’experte croit qu’il est temps de remettre en question le statu quo. « On va laisser ça continuer combien de temps en voyant les ravages que ça fait? »

Selon elle, la solution passe entre autres par la décriminalisation, voire la légalisation des drogues au Canada.

« À un moment donné, il va falloir le contrôler, ce marché-là, si le problème c’est sa toxicité », déclare-t-elle.

En attendant, les organismes et le réseau de la santé n’ont d’autres choix que de continuer à faire leur possible, le vent dans la face, à la merci de l’imprévisibilité de la rue.

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