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Harcèlement : quand les auto-écoles ne passent pas le test de bonne conduite

Plus, beaucoup plus, que des cas isolés.

Par
Laïma A. Gérald
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« Après avoir échoué à mon examen pratique, l’évaluateur m’a dit : “Vous irez demander à votre mari qu’il vous apprenne à conduire.” »

« L’instructeur a passé la première moitié du cours avec sa main sur la mienne, sur le bras de vitesse, et l’autre moitié avec sa main sur le haut de ma cuisse, près de mon entrejambe […]. »

« Mon instructeur a fait des jokes sur la clutch, en la comparant au point G. J’avais 16 ans. »

« L’instructeur m’avait montré comment me servir du lave-glace en me disant : “Joue avec le boutte. C’est comme avec un homme : ça va sortir.” J’avais 16 ans. »

Ce sont le genre de témoignages supplémentaires que l’équipe d’URBANIA et moi-même avons reçu à la suite de la publication de l’article Derrière les portières closes des auto-écoles, un état des lieux des stéréotypes liés au genre qui sévissent dans le milieu des écoles de conduite.

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Ce que nous croyions être une collection de récits toxiques s’est rapidement transformé en véritable raz de marée, assombrissant le portrait initialement tracé. En effet, plus de soixante femmes ont pris la parole publiquement sous la publication Instagram relative à l’article, tandis qu’une vingtaine d’autres m’ont écrit directement en messages privés, me confiant leurs expériences toutes plus troublantes les unes que les autres. Le comble? La majorité d’entre elles pensaient être seules à avoir vécu ce type d’expériences, n’en soupçonnant pas le caractère systémique.

Sexisme, misogynie, infantilisation, allusions sexuellement explicites, avances et attouchements, parfois même sur des mineur.e.s : les histoires se superposent et laissent entrevoir un univers où règne bel et bien une culture problématique.

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Nous avons contacté trois de ces femmes afin d’en savoir plus sur leurs expériences.

Attention, certaines histoires peuvent choquer. Il est question d’inconduites à caractère sexuel, d’attouchements sexuels, de propos déplacés, de victim blaming, etc.

Promenons-nous dans les bois

Barbara a 16 ans lorsqu’elle décide de suivre ses premiers cours de conduite. Alors pensionnaire dans un internat en campagne, elle bénéficie de leçons offertes par son école. Emballée, elle suit plusieurs heures de cours avec un instructeur, d’abord friendly, puis de plus en plus creepy. « L’instructeur devait avoir à peu près 35 ans et il était très (trop?) à l’aise avec moi, se remémore Barbara. Il me racontait souvent sa vie personnelle. Il me complimentait régulièrement sur ma personnalité et mon physique. Il me posait des questions sur ma vie. Moi, je restais polie avec lui, mais je le trouvais quand même un peu awkward. »

«En plein milieu des bois, loin de tout, il m’a demandé de m’arrêter pour “parler de ce qu’on avait appris”. J’avais hyper peur.»

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Un jour, lors de la leçon de conduite hebdomadaire, l’instructeur demande à Barbara de se diriger vers une forêt. « Je me suis exécutée, même si je ne comprenais pas le but », affirme la jeune femme, qui se demandait alors à quoi bon conduire dans un endroit désert, sans panneau de signalisation ni autre véhicule. « En plein milieu des bois, loin de tout, il m’a demandé de m’arrêter pour “parler de ce qu’on avait appris”. J’avais hyper peur. Il mettait sa main sur mes mains et sur mes cuisses, il se rapprochait de mon visage pour me parler. J’étais paniquée, mon cœur battait vite », se souvient Barbara.

Celle qui se décrit comme ayant une forte personnalité prétexte alors un rendez-vous urgent. De retour à l’école, elle confie sa mésaventure à ses camarades de classe. Comble du malheur : elles ont presque toutes vécu des expériences similaires avec ce même instructeur. Barbara, soutenue par sa mère, décide alors de dénoncer le moniteur de conduite problématique.

«[Il a dit] que j’avais essayé de le séduire avec mon uniforme de collégienne»

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« L’école a vraiment bien géré la situation et on m’a crue, se réjouit Barbara. Cela dit, l’instructeur a retourné la situation en prétendant que c’était de ma faute, que j’étais en recherche d’attention, que j’avais essayé de le séduire avec mon uniforme de collégienne et que j’étais une allumeuse. »

Heureusement, Barbara et ses camarades de classe ont pu terminer leurs cours et passer leur permis avec un autre instructeur. Par contre, le moniteur problématique a conservé son emploi.

Au tournant

Ariane a 27 ans lorsqu’elle décide de commencer ses cours de conduite. À chaque leçon, c’est un moniteur différent qui la supervise. Alors qu’elle est au volant d’une voiture avec un des instructeurs de son auto-école, les choses prennent un tournant inattendu.

Attention, contenu explicite.

« Dans la vie, j’ai de la misère avec les silences. Donc je cherchais toujours des sujets de conversation pour combler les temps morts aux feux rouges », admet Ariane, aujourd’hui âgée de 31 ans. « Je me souviens que je venais de me séparer et le moniteur aussi. On s’est mis à parler de dating, à faire des blagues là-dessus, on se partageait des expériences. C’était relax. »

«Il a mis sa main sur ma cuisse. Au tournant, il a descendu ses doigts et il s’est mis à me toucher entre les jambes»

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Puis, l’instructeur passe en vitesse supérieure : il lui avoue qu’il aimerait l’inviter à sortir un soir. Ariane rit, sans plus. « J’essayais de dissoudre le malaise. On fait souvent ça, rire quand on est mal à l’aise. » La jeune femme poursuit son récit. « On roulait près du parc Laurier, je me souviens. Il a mis sa main sur ma cuisse. Au tournant, il a descendu ses doigts et il s’est mis à me toucher entre les jambes, sur ma vulve. Je ne savais pas quoi faire, je conduisais, je ne pouvais pas réagir avec mes mains. »

Ariane, consciente du danger, est tétanisée, d’autant plus qu’elle est au volant d’une voiture qu’elle apprend à maîtriser. « Il a enlevé sa main, puis il l’a remise, se remémore la jeune femme. Il m’a dit “Laisse-toi faire” ou quelque chose comme ça. Je lui ai dit d’arrêter, tout en tournant le volant, ce qui m’a permis de dégager sa main avec mon coude. Il m’a répondu que comme nos conversations tournaient autour du dating, que j’étais célibataire et que je semblais ouverte, il ne voyait pas de problème à faire ça. En gros, il disait que je l’avais cherché, que c’était de ma faute », raconte-t-elle avant d’ajouter qu’une telle conversation n’était évidemment pas une invitation à toucher ses parties intimes.

«En gros, il disait que je l’avais cherché, que c’était de ma faute.»

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Ariane conduit vers l’école, stationne la voiture, quitte le véhicule et part sans dire un mot de plus.

Ce n’est que six mois plus tard qu’elle décide de reprendre ses cours, sans avertir l’école de l’incident. Comble de malheur, c’est le même instructeur qui se dirige vers elle pour superviser sa conduite.

« Je pense qu’il ne se souvenait pas de moi, et j’ai fait comme si de rien n’était, admet Ariane. J’ai pris sur moi. J’étais stressée, ma tête n’était pas là. »

C’est en lisant les autres témoignages recueillis par URBANIA qu’Ariane a réalisé que son expérience n’était pas un cas isolé. « C’est une situation alarmante. Si j’avais eu conscience de l’ampleur du problème, j’aurais sans doute dénoncé à l’époque », croit-elle.

Avance. Recule. Avance. Recule.

Anne-Sarah s’est tout de suite sentie interpellée par les citations publiées sur le compte Instagram d’URBANIA. Tout comme la majorité des femmes qui ont commenté sous la publication, elle pensait être seule dans sa situation.

«mon expérience d’apprentissage de conduite n’a vraiment pas été agréable»

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« Quand j’ai commencé mes cours de conduite, j’étais une jeune fille de 16 ans », raconte Anne-Sarah, qui se souvient avoir eu différents instructeurs, certains gentils, d’autres agressifs et impatients. « Un jour, je suis tombée sur un moniteur doux, avec qui je me sentais en confiance. Sauf que lorsque le cours a réellement commencé, quand je tenais le bras de vitesse, il mettait toujours sa main sur la mienne. Je me tassais, mais il continuait. Je me sentais tellement mal à l’aise. Il allait même jusqu’à ramener ma main, et la sienne par-dessus, sur ma cuisse, ses doigts vers mon entrejambe. J’étais paralysée », ajoute la jeune femme.

Anne-Sarah me confie également que pendant les cours, l’instructeur lui racontait travailler comme chauffeur pour un groupe criminel. « Il me disait qu’il transportait des jeunes travailleuses du sexe entre Montréal et Québec, pour un groupe manifestement illégal, se remémore-t-elle. Je ne savais pas comment réagir. J’en ai parlé à ma mère, elle était hors d’elle et elle est tout de suite intervenue auprès de l’école de conduite. »

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À l’instar de l’instructeur de Barbara, le moniteur d’Anne-Sarah a conservé son emploi. Cette dernière s’est simplement vu attribuer un nouvel instructeur pour la poursuite de ses cours.

«Je comprends toutes les femmes qui disent avoir abandonné après des expériences comme celles-là»

« Ça a été mieux après, mais mon expérience d’apprentissage de conduite n’a vraiment pas été agréable », admet Anne-Sarah, qui a rapidement obtenu son permis, mais qui ne s’est jamais vraiment sentie en sécurité tout au long de ses cours. « Je comprends toutes les femmes qui disent avoir abandonné après des expériences comme celles-là. Tout ce qu’on décrit, ce ne sont pas des environnements appropriés pour apprendre. La dynamique de pouvoir rend les choses tellement touchy, surtout que le moniteur a le dernier mot sur l’obtention de quelque chose d’important pour nous, surtout pour les personnes qui vivent en région », conclut Anne-Sarah, qui espère que son expérience aidera à lever le voile sur cet enjeu.

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