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J’ai les doigts sur le clavier et ça veut pas écrire, depuis un moment. Je m’essaie, mais je n’y arrive pas, les mots bloquent, me restent dans la tête, la gorge, les épaules, les coudes. Je fais partie de ces individus qui peuvent avoir l’inertie facile. Qui peuvent figer. Dans leur lit, le salon, l’épicerie, devant un écran. Vraiment être momentanément incapables de se mouvoir. Pas par paralysie, non, juste parce que “ça” ne veut pas, ne veut plus. On voudrait que le temps se suspende, pouvoir se reprendre sans que les minutes et les secondes glissent sans arrêt. Qu’on ne perde rien. Mais ça marche pas de même. Des fois, je fige.

J’ai peur du matin parce que je vais devoir me pitcher en bas de mon lit et me meuvoir, j’ai peur de la nuit parce que je vais la passer éveillée, à me tourner dans mon lit, à fixer Pinterest, le cerveau à vide, la vie à off. Toujours cet ours enragé juste à côté de moi. Avoir peur sans raison valable. Juste une esti de chienne. Une brique dans le ventre, une brique à spin. Des élancements dans le haut du dos. Le pouls qui grimpe, pour le fun de même, à 140. Le cœur qui serre, qui étau. La tête qui fend, qui pulse. Des sueurs. Des tremblements. Le respire qui se fait jamais au complet, l’impression d’étouffer, de se noyer de l’intérieur, aussi. Ça vient en tas ou en secousses. Toujours ce fond de serrement de soi, d’envie de repli. Anxiété, on dit.

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Le beau de la chose, c’est que ça se cache bien. Ça peut pas paraître. Ça se passe toute en dedans. Sauf les crises plus fortes, mais là, y’a moyen de se terrer dans un coin et d’attendre bien seulement que ça cesse, que ça passe.

Y’a juste si t’es proche de moi. Tu vas voir que je te réponds moins vite, si je réponds. Le piton vert sera allumé, mais je te parlerai pas. J’en serai pas capable. Tu vas m’appeler, tu le sais ben que j’ai toujours mon cellulaire dans la main, que j’ai un afficheur, que si je ne décroche pas, c’est un acte volontaire. Je pourrai pas décrocher. Tu vas laisser un message que j’écouterai pas. Je pourrai pas. Si tu passes me voir, tu vas peut-être monter mon courrier, la boîte sera pleine. Ça va me faire chier que t’aies fait ça, mais je ne te le dirai pas, je sais que tu voulais bien faire et je sais aussi que le courrier est mieux dans mon entrée. Je le lirai pas tout de suite, par exemple. Je pourrai pas. Mais je t’aurai ouvert la porte et ça m’aura fait du bien de te voir. En surprise. Parce que si je le sais que tu viens, je vais stresser. Comme pour l’ensemble des rendez-vous qui se fixent à mon agenda qui prennent toute la place. Dans ma tête, l’ensemble du temps pour se rendre à ces moments se découpent en de minuscules instants et je ne vois que cette somme d’instants à devoir franchir pour me rendre où je devrai être. Je les vois tous. Un par un.

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Ça doit pas trop être vivable, hein, la vie, tu dois avoir le goût de me dire. T’as tellement raison. Y’a des fois où je m’haïs vraiment. Parfois, j’ai l’impression de ne plus avoir de peau tellement le réel semble me toucher trop. Toujours cette envie de fuir, me fuir. Mais ça se fait pas tant, pas trop, pas adéquatement, se fuir. Y’a pas d’ailleurs possible. Et le plus difficile, c’est sans doute de se voir aller et de pas être capable plus que ça de faire de quoi. Cette impuissance à expliquer, à s’expliquer. Parce qu’honnêtement, quand le téléphone sonne, je le sais bien que je devrais répondre, que je ne vais pas en mourir, que ça ne m’exigera pas toute l’énergie du monde, que je ne vais pas me vider de ma substance, je le sais. Mais ça change rien à la force qui m’empêche de. Ou contre laquelle je vais vraiment m’épuiser tout le jus de vie si je me décide à la lutte.

Mindfullness. Complexe B. Yoga. Fucking coloriage. Manger tout court, manger bien. Être suivie par des professionnels. Écrire. Le spa. Avaler des comprimés, au besoin. Name it je te jure je l’ai fait. Sauf les chakras, chu pas allée là, j’irai jamais là.

Depuis les années, je fais avec. Y’a des jours plus laids que d’autres, parfois des semaines, parfois des mois. On développe des manières de cacher, d’éviter. Des manières de s’entourer de gens qui papier bulle l’air autour de soi. Clairement, ça ne m’a pas trop empêchée de faire et de réussir des affaires. C’est ce qui m’étonne toujours le plus. Que malgré moi, ces bouts de moi, il y ait tout de même du beau qui se génère, que je parvienne à me battre assez fort contre moi-même, contre la peur d’avoir peur, pour enfiler les jours, les meubler, accepter ceux que je passe en boule dans mon lit parce que y’en aura d’autres où je serai capable de sourire aux gens, de leur parler, de toute. C’est mon inconstance, peut-être, parfois qu’il faut accepter. Ma facilité au retranchement. Des fois, je peux rien donner. Quand ça heurte trop.

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Anxiété, je disais. On l’entend souvent, ce mot, esti qu’y dit rien. Y le cache bien. C’est peut-être ça sa game. C’est peut-être ça sur bien des sourires qui s’étirent un peu trop large autour de toi, des fois. Des sourires qui se forcent mais qui font mal, y’a un hurlement qui se pète derrière les dents bien serrées. Si jamais tu l’entends, le hurlement, même juste un peu, même à peine, tu peux prendre un petit doigt, faire un câlin, montrer que t’es là. Je te jure, ce sera beaucoup. Que t’es là juste parce que. Que tu vas le rester. Malgré les tranchées.

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Pour lire un autre texte de Véronique Grenier : “Beachclub.”

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