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Est-ce que les youtubeuses « true crime » sont le nouveau Allô Police? (Partie 1)

Spoiler : pas vraiment.

Par
Constance Cazzaniga
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Je suis une milléniale peu originale : j’aime le cold brew, le vin nature, Occupation Double et le true crime, un genre qui fascine et qui gagne en popularité ces dernières années. Ces livres, balados, documentaires Netflix et chaînes YouTube dédiés aux affaires criminelles sont appréciés et bénéficient souvent d’un large public pour toutes sortes de raisons, que ce soit pour le plaisir d’avoir peur, pour se donner l’impression qu’on peut anticiper le pire, pour chercher du sens en étant face à des crimes odieux ou même pour « nourrir un besoin de dépasser les limites ». Toutes des choses qui peuvent aussi nous attirer dans la section des faits divers d’un journal, voire nous faire tomber dans un rabbit hole si on trouve une pile de vieux exemplaires du Allô Police.

C’est justement parce que ça m’est arrivé que je me suis posé une question : est-ce que les youtubeuses de true crime sont en quelque sorte le nouveau Allô Police?

On peut se questionner, d’un point de vue éthique, sur les limites de ce genre de contenus, même si on les consulte nous-mêmes avec un enthousiasme morbide.

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On peut facilement voir plusieurs similitudes : dans un médium comme dans l’autre, on parle d’affaires criminelles, ce qui peut amener des témoins à parler, voire permettre la résolution des cas. Les youtubeuses (parlons-en au féminin, puisqu’elles sont beaucoup plus nombreuses que les hommes à couvrir ce genre d’histoires) comme le journal à sensation qui a cessé ses activités au début des années 2000 après 51 ans d’opération ont aussi en commun d’obtenir des gains financiers et une reconnaissance du public en exploitant la souffrance d’autrui, qu’on le veuille ou non, et de tirer leur succès de notre côté voyeur. On peut donc se questionner, d’un point de vue éthique, sur les limites de ce genre de contenus, même si on les consulte nous-mêmes avec un enthousiasme morbide.

Mais j’ai vite réalisé que les comparaisons s’arrêtaient plus ou moins là. Déjà, on s’entend généralement pour dire que la naissance du true crime vient du monde littéraire, avec la parution en 1965 du livre In Cold Blood, qui détaillait un quadruple meurtre survenu six ans plus tôt. Rien à voir avec la presse à faits divers. En plus, Allô Police couvrait l’actualité, alors que les vidéos qu’on retrouve en ligne se penchent souvent sur des cas qui datent d’au minimum quelques mois et parfois de plus d’un siècle. Et ça, bien que ça ne change peut-être pas grand-chose aux yeux d’un.e adepte d’histoires criminelles, ça peut faire toute une différence pour les proches des victimes, m’explique Stéphane Luce, le fondateur de Meurtres et disparitions irrésolus du Québec (MIDQ), qui était un jeune adolescent quand il s’est mis à baigner dans l’univers des crimes non élucidés bien malgré lui, alors que sa mère a été assassinée. Le tueur court toujours, quatre décennies plus tard.

Quand le cas n’a pas été médiatisé depuis longtemps, il devient facile de véhiculer sans le vouloir des fausses informations.

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« Une youtubeuse ou un youtubeur ne pourra pas faire le même effet aujourd’hui, même en publiant les photos du Allô Police, parce qu’Allô Police, c’est au moment où c’est arrivé qu’on voyait les photos, alors que là, ça pourrait être 30 ans après. La répercussion est moindre. Elle n’est pas banale, mais elle est moindre », résume-t-il. Par contre, couvrir une affaire qui date de plusieurs années ne veut pas dire qu’on ne peut pas choquer la famille touchée par le drame, au contraire. Quand le cas n’a pas été médiatisé depuis longtemps, il devient facile de véhiculer sans le vouloir des fausses informations. « C’est un petit peu dangereux de se fier juste à ce qui a été écrit dans le passé », souligne Stéphane Luce, qui estime que les proches sont tout de même généralement heureux de voir qu’on parle de la victime. « Les youtubeurs sont quand même respectueux et empathiques, du moins ils essaient d’avoir cette image-là », ajoute-t-il avant de conseiller de contacter la famille de la victime avant de publier une vidéo de true crime.

Les erreurs factuelles et un traitement peu sensible du cas, c’est vraiment ce qui peut déranger l’entourage d’une personne assassinée ou disparue, selon lui. Et en matière de manque de sensibilité, on peut voir un peu de tout sur le web. S’il y a bien une tendance dans l’univers YouTube du true crime qui en témoigne, c’est celle de raconter des affaires criminelles en… se maquillant. « Ces trucs-là, ça n’a pas de sens », mentionne Victoria Charlton, youtubeuse de true crime suivie par plus d’un demi-million de personnes et autrice de Gardez l’œil ouvert. « Du ASMR, des mukbang [pour aborder une affaire criminelle]… je trouve ça extrêmement irrespectueux. Je pense à des youtubeurs français, comme un qui fait ça en riant et en blaguant. Je trouve ça vraiment de mauvais goût. Moi, je ne suis pas d’accord de me maquiller en parlant de personnes assassinées. C’est là que je trace la limite. »

«Du ASMR, des mukbang [pour aborder une affaire criminelle]… je trouve ça extrêmement irrespectueux.»

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Le 25 octobre, Victoria Charlton publiera sa première fiction, Et tombent les têtes, qu’elle a coécrite avec Alexandre Soublière. Ce récit – qui porte sur une créatrice de podcast de true crime qui mène sa propre enquête sur les victimes d’un tueur en série – est un retour aux sources pour celle qui a commencé sa carrière sur le web il y a quatre ans avec en poche un BAC en littérature. Mais, au fil des années, Victoria Charlton s’est impliquée à fond dans le milieu : elle a maintenant une licence de détective privée, est bénévole pour le Doe Network et marraine honoraire pour le Réseau Enfants-Retour, en plus d’avoir l’approbation de Stéphane Luce! « J’ai écouté ses vidéos et je pense qu’elle explique très bien les cas, qu’elle fait une bonne job », m’a-t-il dit.

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« J’avais comme un petit sentiment de culpabilité, pour être bien honnête, de traiter d’affaires de true crime, admet Victoria Charlton. J’avais peur d’un peu profiter des victimes. Donc c’est ma façon de redonner au suivant en m’impliquant bénévolement dans ces organismes. » Avec son grand public (623 000 internautes, quand même!), la youtubeuse peut certainement avoir un impact bénéfique en appelant à aller signer une pétition pour relancer une affaire ou encore à faire des dons pour supporter les recherches d’une famille. Son succès fait aussi en sorte qu’elle n’a souvent même plus à approcher les familles des victimes pour obtenir leur consentement, puisque ce sont maintenant les familles qui l’approchent.

Oserais-je dire que ça résonne avec des méthodes d’un journaliste comme Claude Poirier, figure importante du Allô Police? Peut-être pas. Mais ça me fait réaliser que ma question de départ a comme réponse « pas vraiment » plutôt qu’un « non » bien clair et senti. Et ça, ça me donne envie de continuer de fouiller le sujet.

***

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Psst ! Victoria Charlton sera aussi à la tête de Évaporés : Victoria Charlton enquête, une série télé produite par URBANIA en collaboration avec Québecor Contenu. Les six épisodes seront disponibles sur la plateforme par abonnement Vrai à l’hiver 2022.