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Mon meurtre préféré: pourquoi tout le monde trippe sur le «true crime»

On s'est penchés sur cet engouement qui dure depuis quelques années déjà.

Par
Mélissa Pelletier
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Par un petit après-midi gris, vous roulez sur l’autoroute. Soudainement, ça ralentit. Vraiment. Du genre que votre mini-retard commence à prendre des airs de manque de respect. Après 48 minutes de tripotage de clés, de tounes insupportables et de regards exaspérés à vos voisins, vous réalisez que c’est en fait un accident — un brin sanglant — qui ralentit TOUT le trafic. Et tant qu’à y être, vous vous rincez aussi l’œil. BAM. La curiosité morbide a encore frappé.

Pire, de plus en plus de personnes — moi la première! — prennent du temps dans leur horaire chargé à bloc pour en apprendre plus sur les pires atrocités faites à l’humain. Meurtres, violences extrêmes, agressions sexuelles… Dur de ne pas avoir entendu parler de Ted Bundy : autoportrait d’un tueur, Making a Murderer, My Favorite Murder, Cold! Mais qu’est-ce qui peut bien nous attirer dans le true crime, ces documentaires, podcasts et livres terrifiants, mais ô combien passionnants?

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Nos grands-parents aussi trippaient true crime!

« Les gens aiment avoir peur, d’où l’habitude de se raconter des histoires d’horreur, de préférence supposément réelles, sur le bord d’un feu de camp. Je pense que le true crime répond exactement au même besoin! Un bon true crime se consomme comme de la fiction. Ça nous tient en haleine », lance Catherine, étudiante de 37 ans passionnée par le genre.

«Les gens aiment avoir peur, d’où l’habitude de se raconter des histoires d’horreur, de préférence supposément réelles, sur le bord d’un feu de camp. Je pense que le true crime répond exactement au même besoin!»

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Et cet intérêt ne date pas d’hier. Eh oui, nos grands-parents aussi trippaient true crime! À l’époque, ils pouvaient frissonner en écoutant entre autres religieusement Crime Classics, une émission de radio américaine réalisée par Elliott Lewis au début des années 50 racontant de vieux meurtres; en dévorant In Cold Blood de Truman Capote en 1966, livre relatant le meurtre d’une famille de fermiers; et en visionnant Bonnie and Clyde en 1967, film basé sur l’histoire folle des meurtriers Bonnie Parker et Clyde Barrow.

La romancière et essayiste Joyce Carol Oates jasait déjà de la popularité grandissante du true crime dans la revue américaine The New York Review of Books en 1999. « Les récits de true crime ont toujours été extrêmement populaires auprès des lecteurs. Apparemment, le genre a de quoi séduire aussi bien le public cultivé que le public à faible niveau d’instruction, aussi bien les femmes que les hommes. »

Si ce courant est né aux États-Unis sous une forme littéraire, il s’est depuis étendu à nos écrans et écouteurs. Et le Québec est aujourd’hui loin de traîner de la patte avec des contenus de qualité comme Synthèses : le cas Valérie Leblanc et Le dernier soir. « L’effet de proximité joue certainement dans mon intérêt pour ces contenus québécois. On connaît souvent les lieux, on en a déjà entendu parler… Ça permet de mieux visualiser la chose, de se l’approprier plus facilement, de se sentir plus concerné », explique Catherine avec enthousiasme.

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Même que pour certain. e. s, ça peut devenir un pas pire wake-up call. « Je sais que ça part d’une curiosité morbide, mais le true crime répond à un besoin de me dire “OK, c’est ça le pire qui peut arriver”. Un été, je sortais beaucoup. Je n’avais pas énormément de cash, alors je rentrais souvent à pied. Le nombre de fois où je suis passée saoule par le viaduc Rosemont aux petites heures… Quelques semaines plus tard, un dude louche que je croisais souvent a été arrêté pour agression sexuelle. My god! J’ai réalisé à quel point j’ai failli vivre une des histoires qui me fascinent. Là, je rentre autrement. Je suis plus vigilante », lance Michelle, journaliste de 26 ans.

Marc-André Lamontagne-Laflamme, psychologue qui a travaillé avec beaucoup de criminels, est loin d’être surpris par cette fascination collective. « Regarder, ça permet de sublimer des émotions, des pulsions. On ne s’en rend pas compte, mais notre surmoi nous empêche souvent de commettre des actions déviantes! En voir d’autres le faire à l’écran ou de l’entendre dans un podcast, par exemple, ça peut nourrir un besoin de dépasser les limites. On a tous envie, un jour ou l’autre, de faire des trucs qui n’ont pas de bon sens. »

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Columbo, quand tu nous tiens

Ce manque de sens, justement, est un peu beaucoup le nerf de la guerre — euh, du true crime. Quand une situation est mystérieuse, on a TOUS le même réflexe (j’espère) : chercher du sens. Ce qui expliquerait que certain. e. s consomment du true crime comme s’il n’y avait pas de lendemain. « J’ai par exemple regardé beaucoup de trucs sur le tueur Ted Bundy pour tenter de comprendre. Devant un crime particulièrement sordide, je peux passer beaucoup de temps à me dire “Voyons, ça n’a pas de bon sens!” Qu’est-ce qui pousse une personne à assassiner? Ou à manger quelqu’un, tiens? Ça m’a fait beaucoup de bien de réaliser que des fois, il n’y a juste pas de raison. C’est étrangement apaisant », lance Michelle.

Pour Catherine, regarder du true crime n’a par contre pas l’effet d’une séance de yoga ou d’une bonne tisane. Au contraire, elle se transforme presque en détective. « J’adore remonter le fil des événements qui ont mené au crime, et ensuite à l’enquête qui a permis d’arrêter le coupable. Si le crime n’est pas résolu, c’est encore mieux! Je n’ai absolument aucune limite : les scènes les plus sanglantes, les descriptions les plus intenses. On nous raconte une histoire, véridique, certes, mais comme c’est le cas pour toute histoire, tout peut passer si c’est bien fait. »

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C’est grave, docteur?

C’est bien beau tout ça, mais est-ce qu’on doit s’inquiéter de cette hausse constante de la popularité du true crime? À quel moment est-ce que ça devient creepy de se divertir avec des récits de pauvres gensses comme vous et moi qui se font torturer, brûler, décapiter, violer, alouette? « Ma consommation de true crime ne m’a jamais inquiétée, et je n’ai jamais eu l’impression qu’on me jugeait de m’intéresser aux documentaires criminels, mais peut-être que certain. e. s ne comprennent pas l’intérêt, ou trouvent ça trop “gore”, trop dégueulasse », explique Catherine.

«Quand le contenu est très graphique, ça peut créer un choc même quand on ne fait que voir ou entendre ce qui s’est passé. Certaines personnes qui ont vu le crime de Luka Rocco Magnotta, par exemple, ont vécu ensuite des symptômes [de choc] post-traumatique!»

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Est-ce que regarder en rafale Un tueur si proche ou écouter My Favorite Murder pourrait même donner des envies de commettre des actes criminels à certaines personnes? « Pour quelqu’un qui a une vie équilibrée, ce serait très étonnant. En tant que psychologue, j’aurais tendance à m’inquiéter si quelqu’un s’isole pour regarder constamment ce genre de contenu ou si la personne est déjà fragile psychologiquement. Là, oui, il pourrait y avoir un danger d’identification aux criminels — ou même une envie de secouer un peu son quotidien en faisant quelque chose de spectaculaire », tranche Marc-André Lamontagne-Laflamme, qui met toutefois en garde les consommateurs de true crime contre le traumatisme vicariant. «Quand le contenu est très graphique, ça peut créer un choc même quand on ne fait que voir ou entendre ce qui s’est passé. Certaines personnes qui ont vu le crime de Luka Rocco Magnotta, par exemple, ont vécu ensuite des symptômes [de choc] post-traumatique!»

Mais on s’entend que c’est heureusement rare si on connaît ses limites. En fait, la popularité du true crime aurait même plus de potentiel positif que négatif. Et si fouiller dans un cold case permettait de trouver la ou le coupable? Et si la découverte de tel élément élucidait tel mystère? Si ces questions sont à prendre avec mille pincettes — ne devient pas détective ou policier.ère qui veut — les contenus true crime permettent certainement d’offrir un nouveau regard sur des crimes horribles.

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« J’ai adoré The Jinx, une série sur Robert Durst, qui a permis qu’on l’arrête enfin pour des crimes commis des années auparavant », indique Catherine. Michelle abonde dans ce sens. « Les contenus true crime sont souvent créés à partir d’excellent journalisme. Je suis souvent impressionnée et inspirée! Si ça peut rendre justice aux victimes un jour, ce serait merveilleux. On est rendus à un point où le true crime n’est plus seulement intéressant. Maintenant, on peut faire quelque chose de plus! »