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Encore du chemin à faire pour bien parler de la violence conjugale

La polémique autour d'Élisabeth Rioux illustre un phénomène de société beaucoup plus vaste.

Par
Laïma A. Gérald
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« Bonjour. La seule chose que je voudrais dire c’est que la « victime » de leurs paroles n’est pas seulement moi, mais toutes les femmes qui risquent de garder le silence et rester dans une situation de violence à cause des agissements de certains journalistes. »

Ça, ce sont les quelques mots que m’a écrits l’entrepreneuse et influenceuse Élisabeth Rioux, après être entrée en contact avec elle mercredi après-midi, pour discuter de LA polémique dont elle fait l’objet cette semaine.

«Cette polémique révèle qu’on a encore énormément de chemin à faire et que les préjugés envers les victimes sont encore très profondément ancrés dans le discours collectif.»

Si vous ne savez pas à quoi je fais référence, voici un petit topo. Élisabeth Rioux, une des personnalités québécoises cumulant le plus d’abonné.e.s sur Instagram, a récemment dénoncé les comportements violents de son ex-conjoint, photos très graphiques à l’appui. Dans la foulée, une animatrice et chroniqueuse a rendu compte de la situation sur LCN puis à QUB radio. Là où ça devient délicat, c’est que cette dernière et ses interlocuteur.trice.s ont préféré mettre l’accent sur le concept d’extimité (la tendance à absolument tout montrer sur les médias sociaux), l’apparence physique et le mode de vie d’Élisabeth Rioux, ce qui a contribué (malgré eux?) à décrédibiliser le témoignage de la jeune influenceuse.

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Malgré le fait que l’animatrice, qui a publié un message d’excuse sur Instagram et ouvert son émission avec un rectificatif, se dise féministe et tout particulièrement sensible à la cause des violences faites aux femmes, une question me taraude: comment ça se fait que de tels propos aient tout de même été tenus?

Rien de nouveau sous le soleil

« Dans la suite logique de la 2e vague de dénonciation de cet été, je pense que beaucoup de gens ont mieux compris certains enjeux en lien avec la violence, ce qui est une bonne chose, affirme Juliette C. Bélanger, étudiante en criminologie et en victimologie, et créatrice de contenu. Maintenant, ce que cette polémique révèle selon moi, c’est qu’on a encore énormément de chemin à faire et que les préjugés envers les victimes sont encore très profondément ancrés dans le discours collectif. »

Garder le silence, encore.

Quand une femme comme Élisabeth Rioux, avec ses 1,7 millions d’abonné.e.s, s’exprime sur un enjeu aussi grave que la violence conjugale, ça fait le tour pas mal vite. Ses stories sont relayées et ses publications font l’objet d’articles et de chroniques dans les médias, c’est sûr. Mais ça va plus loin que ça. « Le message plus personnel que t’a envoyé Élisabeth révèle quelque chose d’important, et je suis d’accord avec ce qu’elle affirme. Quand une personne aussi médiatisée qu’elle dénonce son agresseur, puis se fait à ce point basher et shamer dans l’espace public, ça peut effectivement décourager d’autres victimes de prendre la parole et ça, c’est grave. » avance Juliette C. Bélanger.

«Depuis le début de la pandémie, le service de police de la Ville de Québec a rapporté une augmentation de 33% du nombre d’appels pour violence conjugale.»

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L’étudiante m’explique qu’on parle ici de victimisation secondaire, c’est-à-dire, ne pas croire une victime, la blâmer, la culpabiliser, la réduire à son apparence, la décrédibiliser, etc. « Ça jette un voile ultra négatif sur toutes les personnes qui souhaiteraient à leur tour briser le silence et se libérer d’une situation de violence conjugale. » ajoute Juliette C. Bélanger.

Depuis le début de la pandémie, le service de police de la Ville de Québec a rapporté une augmentation de 33% du nombre d’appels pour violence conjugale. Le confinement, propice à l’isolement et à la séquestration, expliquerait ce phénomène extrêmement préoccupant. De plus, au Québec, au moins 34 femmes par an seront victimes d’une tentative de meurtre par un partenaire intime ou un ex-partenaire intime et 11 d’entre elles y trouveront la mort, selon de récentes données de L’Alliance des maisons d’hébergement de 2e étape pour femmes et enfants victimes de violence conjugale (L’Alliance MH2).

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La « bonne » victime

Parmi les biais qui ont été utilisés pour décrédibiliser le témoignage d’Élisabeth Rioux, on attaque son corps, sa carrière et son mode de vie d’influenceuse, son intelligence, la soi-disant mauvaise influence qu’elle exerce sur les jeunes filles et sa tendance à exposer les moindres détails de sa vie sur Instagram (à “laver son linge sale en public”, pour citer l’animatrice polémique). « Le mythe de la “bonne victime” persiste dans la tête de beaucoup de gens et les récentes prises de paroles médiatiques le montrent bien, explique Juliette C. Bélanger. Élisabeth Rioux sort du carcan de la victime humble, qui ne cherche pas l’attention, qui a de la difficulté à se relever et qui ne dit pas un mot. Selon moi, le fait que l’influenceuse ne corresponde pas à l’image d’une “victime typique” a pu contribuer au traitement inapproprié et au ton trop léger employé dans la chronique. »

«on assiste à un discours internalisé (on pourrait même parler de misogynie internalisée) qui a pris le dessus et qui a des impacts réels.»

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Juliette ajoute que quand une victime de violence ne correspond pas au stéréotype que l’on s’en fait, c’est fréquent que certain.e.s s’emparent d’éléments de sa personnalité, son apparence, son mode de vie pour décrédibiliser son expérience. L’explication de l’étudiante et créatrice de contenu me rappelle les expériences malheureuses d’Alice Paquet, Safia Nolin ou Léa Clermont-Dion, qui ont toutes été attaquées sur des aspects de leur personne, lorsqu’elles ont eu le courage de briser le silence.

Invalider quand on ne comprend pas

« Je pense que c’est primordial de souligner que ce n’est pas parce qu’on ne comprend pas une situation, pour des raisons de valeurs, de générations ou de convictions, que ça nous donne le droit de l’invalider, souligne Juliette C. Bélanger. Les médias traditionnels ont une voix puissante et les personnes qui détiennent une tribune ont une responsabilité. Dans le cas de la polémique actuelle, on assiste à un discours internalisé (on pourrait même parler de misogynie internalisée) qui a pris le dessus et qui a des impacts réels. »

«Si je devais faire ressortir une chose de toute cette situation, c’est que c’est le symptôme d’un problème de société qui est beaucoup plus vaste.»

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Par exemple, L’Alliance MH2 a fait paraître un communiqué aux médias sommant Dutrizac, Pettersen et Marcoux d’ajuster leur traitement journalistique de la violence conjugale. Selon l’organisme, « il aurait été tout à fait possible de critiquer l’univers des influenceurs sans toutefois occulter la réalité bien tangible de violence conjugale pour une jeune mère fragilisée en processus judiciaire avec son agresseur. ». L’Alliance MH2 rappelle également que l’Institut national de santé publique du Québec propose une trousse médiatique pour la couverture des enjeux de violence conjugale. Ça aurait probablement été utile…

Mieux parler des violences conjugales

En plus de ses études en criminologie et victimologie, Juliette C. Bélanger crée du contenu pertinent sur le féminisme, l’inclusion et la société. « Si je devais faire ressortir une chose de toute cette situation, qui est vraiment complexe, c’est que c’est le symptôme d’un problème de société qui est beaucoup plus vaste. Élisabeth le nomme dans le message qu’elle t’a envoyé: elle n’est pas la seule personne touchée par le traitement maladroit des médias à son égard. La preuve, tout le monde en parle vraiment beaucoup et ça soulève les passions. Au-delà de ça, je crois qu’il faut utiliser cette histoire pour continuer de réfléchir à notre responsabilité personnelle et sociétale. Chaque fois qu’une histoire comme celle-là se produit, les personnes qui ont vécu des violences à caractère sexuel, qui n’ont pas été crues et qui ont été humiliées, stigmatisées et invalidées revivent leur trauma et il faut prendre soin de ça, être plus doux, plus empathiques. » conseille Juliette.

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Si vous ou quelqu’un de votre entourage est victime de violence conjugale, contactez SOS violences conjugales.