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Le cul d’Elisabeth Rioux

Par
Geneviève Morin
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Benoit : Entrez (dans les écoles) la réalité des réseaux sociaux !

Geneviève : C’est la nouvelle religion anyway !

Benoit : C’est une autre forme de religion, mais ce qui pollue la tête des enfants, des petites filles, des gars… les gars s’attendent à ce que les filles se comportent comme ça, en niaiseuses avec des culs injectés de silicone…

Geneviève : Pis qui mangent une pomme par jour.

Benoit : Esti, j’ta boutte.

***

Ça c’est la conversation qu’ont eue Geneviève Pettersen et Benoît Dutrizac au sujet de la révélation choc d’Élisabeth Rioux sur sa relation toxique et sur la violence qu’elle a subie dans son couple avec Bryan McCormick.

Voyez-vous un lien entre la violence conjugale et les « culs injectés de silicone » ?

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Personnellement, je me casse la tête à comprendre les liens entre la violence d’un homme envers une femme et la notoriété d’une femme qui fait de son corps son image de marque.

Je me dis même que le plus aguerri des skieurs ne saurait pas comment glisser aussi vite sur une pente.

Ce que je trouve ironique, c’est que pendant l’entrevue donnée à QUB radio, en fait, quelques minutes plus tôt, M. Dutrizac a eu besoin de se faire expliquer ce que c’était, une story, parce qu’il n’en avait aucune idée.

Pourtant, c’est sans gêne qu’il a avoué qu’il n’en avait rien à foutre des réseaux sociaux, juste avant de nous moraliser sur l’importance d’introduire les réseaux sociaux dans les écoles.

Je me demande comment cette conversation — qui aurait dû être une conversation autour d’un verre de vin, dans un souper d’ami.es — a pu passer sur les ondes d’une radio.

Non que le sujet n’est pas pertinent, car il l’est : je veux dire, les réseaux sociaux influencent notre manière de concevoir notre image et celle des autres. Mais Geneviève Pettersen a débuté sa chronique en parlant des allégations de violence conjugale d’Élisabeth Rioux. C’est un sujet important, ça… la violence faite contre les femmes. Et on ne manque pas de jus pour discuter du sujet.

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Or, il semble qu’Élisabeth Rioux soit une proie facile pour les gens qui aiment les raccourcis intellectuels.

Oui ! Parce qu’elle a de quoi faire jaser, la Rioux : un corps nickel, un visage symétrique et un des plus grands bassins d’abonnements sur Instagram au Québec. Ne cherchez pas plus loin, ce qu’elle vend, c’est son image : elle comme bien d’autres le font et c’est pourtant devenu chose commune sur Instagram.

Or, ce qu’elle nous révèle, en montrant la violence qu’elle a reçue, c’est que ce qui semble être commercialisé comme la parfaite vie ne l’est pas tout à fait… Au fond, Élisabeth nous dit qu’elle vend du rêve. Cela dit, est-ce parce qu’elle vend du rêve/du faux que son témoignage est pour autant questionnable ?

It wasn’t just my ass

Je veux dire, pour que le sujet glisse aussi vite vers son cul injecté de silicone, c’est qu’il devait y avoir un lien à faire entre le corps de la jeune femme et le témoignage qu’elle a livré sur les réseaux sociaux.

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Mais laissez-moi renchérir : qu’est-ce qu’un cul et une relation toxique ont en commun ?

Rien.

Même que je dirais, fucking rien.

N’empêche. Cela m’amène à réfléchir au vrai sujet de la conversion. Parce qu’ils parlent de réseaux sociaux, qu’ils parlent de niaiseuses, de culs et de ventres refaits, ils parlent en fait du corps des femmes. Ils parlent de ça et puis ils parlent de réseaux sociaux, en affirmant qu’ils sont toxiques pour les jeunes garçons.

(Les pauvres.)

Et puis il me vient en tête une réplique tirée de la saison 1 de 13 reasons why :

« It wasn’t just my ass. You made it open season on Hannah Baker »

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Je me rappellerai toujours cette phrase poignante de la très controversée série produite par Netflix. Je veux dire, elle révèle bien le problème que je soulève ici : au fond, le cul d’Élisabeth ouvre la porte à une vraie conversation, c’est-à-dire à celle que nous devrions avoir en tant que société; des corps de femmes exposés sur les réseaux sociaux.

Parce que c’est choquant. Parce que ça rend M. Dutrizac à boutte.

Mais ne parlons pas de violence à la radio. Non.

Parlons plutôt d’images.

Parlons des réseaux sociaux.

Le cul d’Élisabeth ouvre la porte à une vraie conversation, c’est-à-dire à celle que nous devrions avoir en tant que société; des corps de femmes exposés sur les réseaux sociaux.

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Ne nous questionnons pas, en tant que société, sur la normalisation de la violence faite aux femmes sur nos écrans. Parce que les exemples ne manquent pas: pensons à Fifty Shades of Grey, une série de films qui mettent en scène la violence sexuelle exercée sur une femme naïve ou encore au plus récent film d’Elisabeth Moss, Invisible Man, qui montre littéralement une femme se faire tabasser par son ex pendant 2 heures, ou à Kingsman dans lequel apparait un touché vaginal complètement violent, ou à presque tous les films d’horreur (Psycho, Scream, Halloween, etc.) qui mettent en scène des meurtres de femmes de manière magistrale…

Non, parlons plutôt de ses maudites « niaiseuses » qui ont le cul plus gros que la cervelle.

Parlons-en des réseaux sociaux et déconstruisons la pertinence qu’ils ont dans notre société. N’entamons pas la conversation plus loin qu’il ne le faut et affirmons que les réseaux sociaux vendent du faux.

Ne réfléchissons pas plus loin, je veux dire à quoi bon parler du slogan de Tinder « Ne sois pas bidon, sois réel » (Don’t be fake, be real instead).

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Ne déplions pas ce que nous édifions en tant que société, c’est-à-dire l’image et les dispositifs de la sexualité qui découlent d’elle.

Allons-y, déplaçons le sujet et même, parlons des jeunes garçons qui souffrent de désillusion lorsqu’ils réalisent brutalement que le cul d’Éli (on est rendue amie, j’ai décidé) n’est pas une grâce du jardin d’Éden.

Parlons des réseaux sociaux et surtout parlons du corps d’Élisabeth, sans toutefois parler de la standardisation des corps. N’allons pas plus loin, l’effort intellectuel ferait perdre le fil à quiconque se rassure dans son incompréhension des réseaux sociaux.

Ne parlons pas de construction, déconstruisons plutôt l’actualité : la guerre des ex sur Instagram et la fausseté qui anime tout le reste prime sur ce qui est normalisé – soit la violence.

Ne nous interrogeons pas trop sur la force du nombre et sur le cumul qu’il est maintenant possible de constater : les femmes vivent des violences et ne se taisent plus.

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Insistons pour qu’une réflexion sur les réseaux sociaux soit introduite dans les écoles, pour que les enfants puissent apprendre à décoder un faux cul d’un vrai.

Soyons à boutte de ça.

Levons-nous et dénonçons le silicone.

Sexualisation

« Élisabeth Rioux allègue avoir été victime de violences conjugales à ses 1,7 millions abonnés »

Ça, c’est le titre du segment d’émission de Benoit Dutrizac du 10 novembre dernier. Le premier problème s’érige donc déjà – quand on écoute ledit extrait, toute question de violence conjugale se voit évacuée au profit d’une autre discussion – celle sur son cul.

Je me dis… Il faudrait peut-être dire les vraies choses, ces deux-là n’avaient pas envie de parler de la dénonciation d’Élisabeth Rioux, mais plutôt de son « fucking cul » qui les dérange tant et qui met, encore et toujours, à mal l’image so pure des femmes.

Ce que le duo fait dans ce segment d’émission relève beaucoup plus d’une discussion sur le type de sexualité acceptable pour la femme que sur les enjeux de la violence conjugale.

Ces deux-là n’avaient pas envie de parler de la dénonciation d’Élisabeth Rioux, mais plutôt de son «fucking cul».

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Parce qu’en parlant de ses fesses, on souligne leur caractère sexuel. Et je tombe de ma chaise en constatant que la sexualisation des femmes fait encore tomber des gens de leur chaise (pensons à un human centipede ici pour représenter la loop infernale de chaises qui tombent).

C’est donc difficile de voir comment cette discussion a de quoi d’intéressant, puisque je trouve particulièrement difficile de ne pas voir un jugement de valeur sur ce qui serait une « bonne image » et sur ce qui est à l’inverse, une « mauvaise image ».

***

Je suis triste pour Élisabeth. Je ne la connais pas, mais si j’étais à sa place, j’aurais le coeur gros en apercevant que les gens sont incapables de dissocier mon image de ma parole en tant que femme. Que je suis stigmatisée dans ce que vends.

Que je ne suis rien d’autre qu’une image.

Si j’étais à sa place, je serais à boutte.

***

Un merci spécial à Sabrina Clermont, qui partage ses réflexions aux miennes depuis plus de 8 ans maintenant et qui m’aide à développer encore et toujours ma pensée.

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