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Déménagement et confidences
«Nous, on force pas, on vérifie la qualité de la bière!», lance Michel en pointant le trailer rempli à ras bord de meubles et d’effets personnels de son fils Henrik.
La scène se déroule sur la 7e avenue du quartier Saint-Michel vers 9h, sous un soleil radieux. Comme c’est le 1er juillet et que les règles de bonne conduite sociale sont un concept un peu flou, on ne juge pas Michel. Pour être franc, mon collègue Junior et moi caressons aussi l’idée d’en boire une froide après notre journée à jouer les bons samaritains en aidant les gens à bouger leurs boîtes à l’occasion de la fête nationale du déménagement.
En cette période où trouver un appartement abordable sur l’île de Montréal représente un exploit quasiment aussi improbable que le parcours des Canadiens en séries éliminatoires, on s’est dit que de contribuer au jus de coude collectif dans un quartier où la vie n’est pas toujours facile serait la moindre des choses.
Parlant de jus de coude, Henrik en a sué un coup pour dénicher un appartement où les chiens sont permis. «J’ai épluché TOUTES les annonces de logement sur Kijiji et compagnie qui disaient accepter les animaux. Souvent, ce sont seulement les chats qui sont acceptés. Rendu à un certain point, je me suis dit que j’aimerais mieux finir à la rue avec mon chien que de m’en départir pour trouver quelque chose», confie le jeune homme flanqué de sa copine Amélie, qui annonce avoir finalement trouvé quelque chose à Lachine, à l’autre extrémité de l’île.
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«J’ai épluché TOUTES les annonces de logement qui disaient accepter les animaux. Souvent, ce sont seulement les chats qui sont acceptés»
«Il dit ça, mais je pense que ça l’arrange de s’en aller dans ce bout-là, sa blonde habite en face juste de l’autre côté du fleuve à Sainte-Catherine», badine son père Michel en décochant un sourire complice à sa bru.
Lorsqu’on leur propose notre aide, le trio nous indique avoir pratiquement fini de paqueter le stock d’Henrik. «On a commencé à 7h à matin pour être sûr d’avoir le temps de tout faire aujourd’hui. Mais merci quand même pour l’offre!», lance le jeune homme.
On poursuit notre balade dans le quartier pour trouver de nouveaux citoyen.ne.s en quête de déménageurs d’un jour motivés.
Le logement d’une vie
Après quelques coins de rues, un constat s’impose: ça ne déménage pas fort fort dans Saint-Michel aujourd’hui. On commence à se demander si on a pas manqué le bateau en arrivant sur les lieux un peu trop tard quand on aperçoit deux femmes au loin qui jonglent avec des boîtes en carton rapiécées.
«Ah merci! Vous êtes ben fins!», nous dit Colombe, l’ancienne locataire, et Jennifer, sa belle-fille, lorsqu’on leur offre un coup de main. Cette fois, nos muscles sont mis à contribution. On fait plusieurs voyages de boîtes remplies de vaisselle, de nourriture et autres effets personnels entre le logement de Colombe et la petite voiture garée juste en face du bloc appartement, qui déborde de stock rapidement.
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Après avoir joué à Tetris quelques minutes pour faire fitter toutes les boîtes, Colombe nous raconte un peu son histoire.
La femme de 64 ans a élevé deux fils et passé quatre décennies dans le logement qu’elle s’apprête à quitter à contrecoeur pour un appartement un peu plus au sud-est du quartier.
Pour elle, plus que tout, ce sont les souvenirs d’une vie qui sont le plus douloureux à laisser derrière.
Selon elle, son propriétaire a rénové le logement au-dessus de chez elle afin de le louer plus cher et n’a rien fait pour l’aider lorsqu’elle lui a fait part de ses problèmes avec les nouveaux locataires. «Depuis 6 mois, la maman et sa jeune fille qui ont emménagé là font beaucoup de bruit à toute heure du jour et de la nuit. Ça fait une éternité que j’ai pas eu une bonne nuit et ça me cause beaucoup de stress et d’anxiété. Lorsque j’en ai parlé au proprio, il m’a grosso modo dit de m’arranger avec mes troubles parce que la locataire au-dessus paye plus que moi. Ça a été la goutte de trop», confie Colombe visiblement à bout.
Pour elle, plus que tout, ce sont les souvenirs d’une vie qui sont le plus douloureux à laisser derrière. «C’est vraiment ça qui me fait mal», avoue la sexagénaire les larmes aux yeux.
«Vois-le comme un nouveau départ vers le mieux! Ça ne sert à rien de s’accrocher au passé, il n’y a plus rien ici pour toi», l’encourage sa belle-fille, avant de lâcher un «ça va bien aller» qu’elle regrette aussitôt. «Esti, je suis pu capable de cette phrase-là!», lance-t-elle, provoquant un rire généralisé.
On quitte Colombe et Jennifer qui doivent partir pour décharger la voiture au nouvel appartement de Colombe et on continue notre promenade.
Un peu plus loin, on tombe sur un trio qui transportent des boîtes d’une auto vers un demi sous-sol. «Bonjour! Avez-vous besoin d’aide? On s’est entraîné tout le printemps, on est top shape pour transporter vos meubles!» Aussitôt dit, je croise le regard désapprobateur de Junior qui me trouve légèrement douche.
«J’ai trouvé cet appart grâce à Sandra, qui est la propriétaire et une amie de la famille. J’ai vraiment été chanceuse avec la crise du logement en ce moment»
Jenni, la nouvelle occupante, n’est pas trop trop sûre de vouloir parler à deux gaillards travaillant pour un média qu’elle ne connait pas (sûrement la seule au Québec), mais sa mère la pousse à accepter notre offre.
On sort quelques boîtes assez lourdes, dont un climatiseur et des cartons de bouffe, puis on passe aux questions. «J’ai trouvé cet appart grâce à Sandra, qui est la propriétaire et une amie de la famille. J’ai vraiment été chanceuse avec la crise du logement en ce moment», explique Jenni à propos de la troisième femme du trio, qui esquisse un sourire gêné à l’autre bout de l’appartement.
C’est également un retour dans le quartier pour Jenni qui a grandi quelques rues plus loin, après un bout de temps passé sur le Plateau. Après une séparation, elle voit son nouveau chez soi comme son petit havre de paix.
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Lorsque je demande le nom de sa mère, Junior s’anime. «Edith!? J’ai votre nom tatoué sur le poignet!», lui lance mon collègue sous le coup de l’émotion. «No way!» lui rétorque Edith, en observant l’encre sur sa peau à l’honneur de sa propre mère.
La rédemption est sur la Rive-Sud
Le temps file, on décide de tenter notre chance un peu plus au sud, dans le Petit-Maghreb.
«Regarde-moi ça ce gros truck-là!» lâche Junior en pointant un petit groupe rassemblé autour d’un camion de location de l’autre côté du boulevard.
On se stationne derrière le véhicule et j’aborde le monsieur qui a l’air responsable des opérations de paquetage, perché dans sa boîte de pick-up. «On est un peu pressé, c’est quoi vos questions?», me demande-t-il, trouvant «très suspect» que deux inconnus veuillent forcer des jarrets gratuitement en ce premier juillet. Masqué, je ne peux malheureusement pas lui montrer mon sourire le plus sympathique, mais heureusement, un jeune homme qui connaît URBANIA vient à notre rescousse. «Ils ont vraiment pas l’air de faire ça pour les mauvaises raisons, Patrick», lance-t-il à l’intention du monsieur suspicieux.
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On nous accepte finalement dans le clan et on s’attèle à la tâche afin de déménager les meubles d’Anne-Sophie, l’ancienne locataire et la belle-fille de Patrick, qui elle, est bien contente qu’on puisse l’aider. «Excusez pour Monster, il fait vraiment beaucoup d’anxiété. Il est pas méchant!», explique-t-elle en parlant de son petit chien posté à l’entrée qui jappe et tire sur sa laisse sans arrêt pour essayer d’arracher l’une de nos jambes.
Véritable expert de Tetris, Junior réorganise l’espace du trailer avec les meubles et autres objets qu’on amène de l’appartement d’Anne-Sophie. «C’était vraiment pas évident de se trouver un logement qui accepte les animaux (deux chats, un chien et un lézard). Ça fait depuis septembre qu’on regarde et on vient seulement de trouver», raconte la jeune femme entre deux boîtes.
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«Ça fait depuis septembre qu’on regarde et on vient seulement de trouver»
C’est finalement sur la Rive-Sud qu’elle a déniché son petit nid. «Les loyers sont vraiment moins chers et ça ne me dérange pas trop de ne pas être sur l’Île. Tant que je suis proche d’un métro pour pouvoir aller à l’école, ça me va», avoue Anne-Sophie, qui compte retourner aux études en design graphique au cégep du Vieux Montréal après un parcours en cuisine à l’ITHQ.
On doit retourner au bureau. C’est un bon timing puisque le trailer, la boite du pick-up et le camion sont pleins à craquer. «Merci les boys! Et désolé pour tout à l’heure, on sait jamais à qui on a affaire!», nous dit Patrick au moment où on quitte le groupe avant de nous décocher un fist bump.
Sur la route du retour, le dos et les bras un brin meurtris après seulement quelques heures à aider ces gens, Junior et moi réalisons à quel point on est chanceux de ne pas avoir eu à planifier un déménagement durant cette année de tous les défis.
À toutes celles et à tous ceux qui ont vécu cette journée dans les boîtes, la poussière et la sueur pour se trouver une petite oasis, on vous lève notre verre. Santé!
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