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Comment je suis devenue citoyenne canadienne… sur Zoom

Ô Canada, ce que tu me fais faire.

Par
Daisy Le Corre
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À ma reine-marraine.

Hier matin, je suis devenue Canadienne. Je recommence : hier matin, je suis devenue Canadienne!!!!!!!! Ça parait tellement fou. Même moi, j’ai du mal à y croire, j’attends de recevoir mon fameux passeport noir pour en avoir le coeur net. L’enfant et l’ado timide que j’étais serait étonnée de voir ce que je suis devenue. Elle serait fière de voir que je porte encore des Timberland (mais qu’elles me servent pour de vrai, cette fois), que je m’habille toujours un peu n’importe comment et que je vis désormais au pays de l’hiver (sans savoir skier). Elle serait bouche bée de savoir qu’un petit être m’appelle « mama » et que ma moitié est parfaitement bilingue. En revanche, elle ne serait pas si étonnée de savoir qu’un jour, j’ai tout plaqué par amour, au point d’embrasser totalement une culture « étrangère » qui m’est pourtant si familière depuis le premier jour.

C’est en 2014 que j’ai su que je n’allais plus jamais pouvoir me passer du Canada, et du Québec en particulier. C’était le 1er mai 2014, le magazine L’Etudiant m’avait missionnée pour aller faire des portraits d’étudiant.e.s français.es installé.e.s aux quatre coins du Canada. J’étais aux anges, d’autant que j’avais besoin de changer d’air, ça tombait bien. Voilà comment je me suis retrouvée à Toronto, Ottawa, Québec et puis enfin, Montréal. Mon périple a duré un peu plus d’un mois avant de rentrer à Paris. Et là…

«Choc culturel inversé» : cette impression étrange et désarmante de revenir dans son pays de naissance et ne plus s’y sentir chez soi.

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Comment expliquer l’inexplicable. Le vrai terme, c’est « choc culturel inversé » : cette impression étrange et désarmante de revenir dans son pays de naissance et ne plus s’y sentir chez soi. Sans pour autant éprouver un quelconque désamour ou une rancune envers son pays d’origine. Ce n’est pas du tout ça. Juste cette sensation de devoir faire sa vie, ou une partie, ailleurs. Et en particulier, là-bas, au Canada.

J’en ai parlé autour de moi, sans trop savoir ce que je voulais qu’on me réponde. Et puis, le destin a pris les choses en main : au beau milieu de ma déprime estivale, mon téléphone a sonné et on m’a proposé de repartir à Montréal. « On a un partenariat avec l’Université de Montréal et on veut que ce soit toi qui rédiges le contenu. » J’ai dû me pincer pour être sûre que c’était vrai, ce qui se passait. On m’a demandé quand je voulais partir (« le plus tôt possible ») et quand je voulais revenir (« je ne sais pas, on verra plus tard »). J’ai donc passé plus de trois mois à Montréal fin 2014, dans un Airbnb ex-centré un peu cheap, où tout s’est joué. Il n’en fallait pas plus pour être contaminée par la feuille d’érable et sa Belle Province.

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Si la fonction « avance rapide » existait à l’écrit, ça donnerait ça : coup de foudre dans un bar de drag queens (2014) / à bientôt mère matrie (2015) / mariage (2015) / permis d’études (2015) / maîtrise (2017) / résidence permanente (2018) / bébé (2018) / citoyenneté (2022). Mais surtout : cérémonie de citoyenneté virtuelle. C’est vraiment de ça que je veux vous parler aujourd’hui. Il faut qu’on en parle.

Au Canada, une fois que votre dossier de demande de citoyenneté est complet, que vous avez passé le test (19/20!), que vous avez eu un éventuel appel en visio avec un.e agent.e qui vérifie que vous méritez vraiment de devenir Canadien.ne (le stress), vient le temps de prêter serment… par vidéo, pandémie oblige. Comme vous, j’ai d’abord trouvé le concept étrange et surréaliste. « On doit encore chanter l’hymne ou pas? », c’est surtout ça que je voulais savoir. Mais oui, impossible d’y échapper.

C’est aussi ça, un parcours d’immigration: beaucoup de stress indicible et invisible à gérer en gardant son sang-froid.

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Me voilà donc convoquée ce mercredi 16 février 2022 à 8 h 15 pétantes pour prêter serment sur Zoom. Premier truc qui m’a fait cauchemarder la nuit d’avant : que Zoom ne s’ouvre pas correctement pour X raison. Parce que c’est ce qui m’est arrivé pour l’entretien avec l’agent d’immigration l’année dernière… IM-PO-SSI-BLE d’ouvrir ce maudit lien. Panique générale. « Putain de bordel de merde », c’est tout ce que j’arrivais à dire avant de recevoir un appel en 888 sur mon téléphone. « Allô? Allô? Madame Le Corre? Où êtes-vous? Je vous attends pour l’entretien auquel vous êtes convoquée. Que faites-vous? Vous devez être là à l’heure. » Fidèle à mes habitudes quand je suis stressée, j’ai d’abord répondu un peu sèchement à l’agent que son lien ne fonctionnait pas, que ce n’était pas ma faute et que je ne pouvais rien y faire. Et puis je me suis calmée en écoutant les bons conseils chuchotés par ma Canadienne préférée, un brin affolée en face de moi (« Daiz, on ne parle pas comme ça à l’immigration! Tu vas avoir des problèmes, arrête! Il est là pour t’aider »). Il m’a finalement renvoyé un lien fonctionnel par courriel et tout est rentré dans l’ordre. C’est aussi ça, un parcours d’immigration : beaucoup de stress indicible et invisible à gérer en gardant son sang-froid.

Cette fois-ci, tout a fonctionné à merveille. Je me suis même surprise à trouver que Zoom était quand même un outil formidable, que c’était beau de voir les prouesses technologiques, que… Et puis, boom : j’ai accédé à la « salle d’attente », où 137 personnes comme moi, venant de 41 pays différents, attendaient *sagement* leur tour. D’un coup, j’ai repensé à cette petite phrase sur la convocation : « La cérémonie dure minimum 2 h 30. » Ah, mais oui. Je comprends pourquoi.

Dans mon casque, je vais entendre ces 136 personnes déclarer leur flamme en même temps que moi à Elizabeth? ET L’HYMNE?

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Et dans ma tête tout s’enchaine : « Dans mon casque, je vais entendre ces 136 personnes déclarer leur flamme en même temps que moi à Elizabeth? ET L’HYMNE? » Je réalise que je fais soudainement partie d’une chorale bilingue improvisée sur Zoom. Si ma mère voyait ça… Fou rire assuré. Mais bizarrement, tout ça me rassure. « Ça aurait été bien pire sur scène, debout, devant tout le monde, imagine. » Quoique.

Le greffier brise enfin la glace pour nous souhaiter la bienvenue et nous expliquer le déroulement de l’événement. Il a l’air super content pour nous, et très sincère. (Fun fact : je m’aperçois en live qu’il s’agit de l’agent que j’avais « engueulé » au téléphone lors de mon entretien de vérification.) L’atmosphère se détend, des sourires se dessinent enfin sur les petits visages pixelisés. L’émotion et le stress sont palpables, malgré tout. Ma copine est à côté de moi (elle a le droit, d’autant que c’est grâce à elle tout ça : elle a été une marraine d’immigration en or) et on se demande toutes les deux quels chemins ont bien pu parcourir tous ces gens face à nous. C’est la beauté de la chose : venir des quatre coins du monde et se retrouver tous et toutes le même jour au même endroit pour la même chose. Ça ne s’explique pas, ça se vit.

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« Allumez vos caméras et coupez vos micros, svp », c’est la phrase qu’on entend le plus au début de l’événement. Certain.e.s ont l’air perdu face à Zoom, incapables de couper leur micro, les agent.e.s le font pour eux. En attendant, on entend des gazouillis de bébés, des éclats de rires, des gens qui toussent ou se mouchent, des bribes de langues qu’on ne connait pas, des bribes de français de France (évidemment), on voit des retardataires apparaitre sur l’écran et d’autres qui répondent tranquillement au téléphone en attendant que le temps passe, etc. Bref, c’est fascinant, tout ce petit monde qui se scrute sans se connaitre.

Chacun est ensuite conduit dans une autre salle Zoom en tête-à-tête avec un.e agent.e. Les choses sérieuses commencent. Ils veulent s’assurer de notre identité, de notre présence au Canada, de nos occupations et surtout : nous faire couper notre carte de résidence permanente (RP) en 4 morceaux. Ultime étape pour obtenir le graal canadien. Première réaction : je ne pensais pas que ça se coupait si facilement ni que ça faisait un bruit de verre en tombant sur la table, une carte de RP. Deuxième réaction : et me voilà à nouveau « bloquée » au Canada jusqu’à ce que je reçoive mon passeport canadien dans ma boîte aux lettres. Avec un peu de chance, il arrivera en même temps que mon passeport français; j’ai la chance de pouvoir jouir d’une double nationalité. C’est peut-être la question qu’on m’a le plus posée : « Tu ne seras donc plus jamais Française? » Mais si, faut pas déconner.

«Numéro XX, levez la main DROITE et non la main gauche, merci!»

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Une fois ma carte de RP coupée en quatre, l’agente m’a gentiment renvoyée dans la salle d’attente en compagnie de ma centaine de camarades. Et là, 1 h 30 d’attente plus tard, je réalise qu’il ne reste pas autant de « candidat.e.s » qu’à l’arrivée. Certain.e.s n’auraient donc pas franchi le premier cap de sélection? Ils n’étaient peut-être pas au Canada (condition pour prêter serment), ils n’avaient peut-être pas de preuves d’identité suffisantes, ils n’ont peut-être jamais réussi à allumer leur micro, qui sait. Le mystère reste entier.

Puis, le moment tant attendu est arrivé : la juge fédérale a fait son entrée. On se concentre, et tou.te.s en choeur (ou presque), on répète le serment après elle, dans la langue de notre choix et en levant la main droite. Ça a l’air de rien comme ça, mais on a bien mis 5 minutes à aiguiser nos violons pour prêter serment à l’unisson. « Numéro XXX, allumez votre caméra. Numéro XX, levez la main DROITE et non la main gauche, merci! Numéro XX, attendez que la juge prenne la parole avant de commencer, Numéro XXX, essayez de faire taire l’enfant. Numéro XXX, c’est pas le moment de se brosser les dents, etc. » Wow. Quelle patience, ces agent.e.s. Et dire qu’ils font ça tous les jours.

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« Je jure… » Et voilà, c’était parti. En français et en anglais, une magnifique cacophonie, avec le petit délai (du réseau internet) qui rend le tout encore plus… magique. « Non, non, on reprend! Je n’ai pas encore prononcé cette phrase, vous attendez svp! » Oui, la juge attendait un minimum de synchronicité et de professionnalisme de notre part, tout de même. À part le fait que j’ai HURLÉ le serment en le répétant (certainement pour couvrir le brouhaha de mes camarades), tout s’est bien passé. Ô joie.

Si on m’avait dit qu’un jour, j’allais slammer un hymne national sur Zoom…

Et voilààààààààà! C’est fait!!!!!! Ensuite? Ensuite, j’ai un peu craqué, il faut l’avouer. J’ai versé une larmichette en écoutant le discours bien rodé et bienveillant de la juge fédérale. « Pour en arriver là aujourd’hui, vous avez dû faire de nombreux sacrifices, relever des défis et franchir certains obstacles, sans parler de la pandémie et de ses aléas. Que vous ayez fui une guerre ou non, votre parcours d’immigration est admirable et nous en avons pleinement conscience. Vous pouvez être fiers de vous, et nous sommes fiers de vous compter parmi nous aujourd’hui. Bienvenue chez vous! »… Inutile de vous faire un dessin.

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À peine le temps de sécher nos larmes qu’on nous invitait déjà à… CHANTER L’HYMNE. OH-MY-GOD. NON, PAS LUI.
Voyez-vous, avant ce 16 février 2022, j’ignorais encore mes compétences de slammeuse (mais j’étais en revanche parfaitement consciente que je chantais faux; depuis mon premier spectacle de Noël à la maternelle, je le sais). J’ai donc saccagé l’hymne, mais, comme diraient les gens qui m’aiment (hypocrites!), j’ai fait de mon mieux. Vraiment. J’ai essayé de me donner une contenance à la Mariah Carey en tenant mon casque d’une oreille, en vain. Mon esprit se focalisait surtout sur les écarts de voix de mes acolytes néo-canadien.ne.s et sur cet ensemble absolument disharmonieux qui s’acharnait pourtant à continuer. J’avais l’impression d’être un chanteur corse en perdition qui improvisait un concert a cappella sur Zoom. Quelle idée. « Sing! », m’a lancé ma copine, paniquée à l’idée qu’on ne me file pas ma citoyenneté parce que je ne slammais pas assez fort. LOL. WTF. Si on m’avait dit qu’un jour, j’allais slammer un hymne national sur Zoom…

« Concrètement qu’est-ce que ça change pour toi, d’avoir la citoyenneté canadienne? » Ça, c’est l’autre question qu’on me pose encore souvent. En rigolant, je dis que je peux enfin remplacer Justin Trudeau ou Valérie Plante si je le souhaite, que je peux aussi voter pour eux (ou pas), que je peux voyager librement sans trop rendre de comptes, que je peux travailler au gouvernement, que j’ai des avantages fiscaux, mais surtout que j’ai le même passeport que mes deux amours (ma conjointe et mon enfant de 3 ans), et que je n’ai plus peur de voir mes droits de parent français (LGBT) bafoués sous prétexte que je n’ai pas de lien de sang avec mon enfant. C’est comme si j’avais une immunité ou un joker canadien. « I’m Canadian now, leave me alone. » C’est peut-être un détail pour vous, mais pour moi, ça veut dire beaucoup.

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Mais devenir Canadien.ne c’est surtout avoir la chance de vivre dans une société qui prône l’égalité, l’inclusion et la diversité. C’est pouvoir m’épanouir au pays du « vivre et laisser vivre » et veiller à ce qu’on s’y sente toujours aussi bien pour les décennies à venir. C’est peut-être de ça que mon enfant intérieur est le plus fier.