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J’ai rencontré Josh, un gars de Melbourne, en 2014. Je m’étais retrouvée, sur un coup de tête, à parcourir la Colombie en solo dans l’espoir de m’extirper du trou noir dans lequel une (très) douloureuse rupture m’avait plongée.
Je n’aurais pas pu mieux tomber. Josh, jeune vingtenaire, est exactement le genre de gars que t’espères rencontrer en voyage : hyper relax, facile d’approche, drôle au point de te bâtir un six packs de rire… Aussi le genre de personne qui va t’embarquer dans des plans un peu cinglés que t’auras pas envie de raconter à tes parents en rentrant, mettons.
Il incarne la joie de vivre et la spontanéité à l’état pur, avec une petite touche de “coucou du marteau”.
Parfait, j’vous dis. (Non, on n’a pas couché ensemble. L’amitié homme-femme existe.)
J’étais donc tout sauf surprise lorsqu’il m’a annoncé via Skype, il y a quelques semaines, qu’il partait trimmer du weed dans le nord de la Californie pendant trois mois (quoique la Californie fut le premier État américain à instaurer un programme de cannabis médical, la légalisation complète de la substance n’est toujours pas chose faite). Étant en pleine période de production du Spécial cannabis à ce moment-là, il fallait absolument que j’en sache plus. J’en ai donc profité pour lui poser quelques questions.
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Raconte-nous comment t’en es venu à trimmer du weed en Californie? Ce n’est pas tous les jours qu’on rencontre quelqu’un qui fait ce genre de boulot…
J’ai été chanceux dans la mesure où j’avais un ami qui avait déjà travaillé là-bas; j’avais donc un contact à la ferme qui m’a recommandé pour la job. Si tu viens ici seul et sans contacts, va falloir que tu sois patient. Pendant la semaine, beaucoup de gens arpentent les cafés et bars des villes avoisinantes à la recherche de travail dans l’industrie. Les locaux nous appellent les trimmigrants : on est des dizaines de milliers de jeunes de partout à travers les États-Unis et le monde qui sont ici pour profiter de la 2e ruée vers l’or (gold rush) de l’Ouest américain, ou comme on l’appelle ici, la ruée verte (green rush).
Tu peux trouver des installations de culture extérieure de taille commerciale à deux heures au nord de San Francisco et jusqu’en Oregon, mais le cannabis le plus connu et le plus réputé pousse à l’intérieur de ce qu’on appelle le Triangle d’Émeraude (Emerald Triangle), qui comprend trois contés du nord de la Californie, soit Humboldt, Mendocino et Trinity. Ils sont tous trois bénis d’un climat ensoleillé et sans nuages, réunissant les conditions parfaites pour faire pousser du cannabis. Aussi, les plantations sont entourées de routes longues au terrain difficile, ce qui décourage les voleurs et les autorités de tenter d’y accéder.
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On imagine souvent les producteurs de cannabis dans l’illégalité, avec un look croisé entre le motard et le hippie attardé. C’est quoi la vibe de la ville dans laquelle tu te trouves en ce moment
Les locaux te diront qu’ici, l’argent pousse dans les arbres et que le flux de l’eau va en montant [NDLR: Josh m’a avoué qu’il était drogué quand il a répondu à cette question]. La première chose que tu remarques quand t’arrives dans le Triangle d’Émeraude, c’est que tout le monde conduit un criss de gros char neuf. Neuf, avec les extras. L’impact le plus visible, c’est que, dans une certaine mesure, TOUT LE MONDE qui habite ici est en quelque sorte devenu un producteur de cannabis. Certains ne produiront que 10 livres par saison, mais à date, je n’ai pas rencontré une seule personne qui ne fait pas pousser du pot sur son terrain. Elles partagent toutes la même mentalité de la “ruée vers l’or” : il y a des Américains de tous les états et aussi beaucoup d’étrangers qui ont vu une opportunité de se faire du gros cash rapidement, avant que l’industrie ne soit dominée par Philip-Morris et les autres géants de l’industrie du tabac – ce qui risque d’arriver avec l’éventuelle légalisation totale et complète du cannabis.
On retrouve définitivement un sentiment de communauté au sein des producteurs, ils ont tendance à s’échanger de l’information et des travailleurs. Leur mode de vie est très pseudo-hippie. Pendant la trim season [NDLR : période à laquelle on récolte le cannabis et on procède à la taille des cocottes], tous les services nécessaires à la main d’œuvre et à la production de plants de cannabis passent en mode turbo. Les restaurants et les cafés sont envahis, il y a un va-et-vient constant de camions-citernes qui approvisionnent les installations qui n’ont pas de source naturelle d’eau à proximité. Même s’il y a une fausse ambiance hippie et que tout le monde fait beaucoup d’argent, il y a aussi un côté assez dark à tout ça. Il y a beaucoup de gens aux prises avec des troubles de toxicomanie dans la région, surtout l’alcool et les méthamphétamines.
Difficile de croire que les autorités américaines laissent faire tout ça sans broncher. Est-ce qu’il t’est arrivé de voir la marde pogner?
Beaucoup de choses me semblent bizarres et hypocrites ici. Tsé, tu peux voir les grow-ops [NDLR : on parle ici d’installations de culture extérieure] en conduisant en bordure de route, et même lorsque t’es sur une autoroute nationale. Même que la plupart des producteurs demandent à leurs employés de parler doucement aux plantes quand ils les transplantent…
Je sais pas trop dans quelle zone grise on se trouve, légalement parlant, mais je suis pas mal persuadé que les Feds (la police fédérale des États-Unis) gardent un œil sur tous les gros producteurs de la région. On voit très souvent de gros hélicoptères noirs survoler les plantations, et de temps à autre, on entend parler d’un raid sur une ferme – quoique jusqu’à présent, je n’ai jamais eu vent d’arrestations à proprement parler. Curieusement, lorsqu’il y a un raid, ça doit être fait par les airs parce que la police fédérale n’a pas le droit d’emprunter les routes privées qui longent les plantations. Quand ça arrive, tu vois une équipe de gars qui descendent de l’hélicoptère jusqu’à la ferme en rappel, ils coupent l’entièreté de la récolte lorsque les plants sont à leur plus mûrs, et ils emportent le tout avec eux.
Ils sont aussi étrangement scrupuleux et ne ciblent que les fermes auxquelles n’est rattachée aucune propriété, ce qui veut dire qu’ils ciblent uniquement les big shots, ceux qui produisent plus de 1000 livres par saison.
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Parle-nous un peu d’une journée typique d’un trimmeur de weed. Est-ce que le joint est servi au déjeuner avec le café et la toast au beurre de pean’?
Sur la ferme, t’as deux types de travailleurs : les trimmers et les helpers.
Les trimmers sont payés à la livre. Leur tâche consiste à rester assis toute la journée avec un plateau et un seau, à retirer toutes les branches et feuilles indésirables des cocottes à l’aide d’une paire de ciseaux. C’est encore plus monotone que ça en a l’air.
Les helpers sont payés à l’heure. Ils sont essentiellement les ouvriers des producteurs : ils s’occupent de toutes les petites besognes nécessaires à la production, telles que l’arrosage, la manipulation des plantes, la transplantation, etc. Personnellement, je suis retombé amoureux du cannabis depuis que je suis ici. Le weed est d’une qualité incroyable! Je fume mon premier joint vers midi et je continue pas mal toute la journée.
Cependant, beaucoup de trimmers ne fument pas sur la job, parce qu’ils croient que ça diminue leur productivité. Je n’ai pas remarqué de différence dans mon cas. Chaque ferme fonctionne différemment, mais mes patrons sont très flexibles : ma journée commence à 8h et peut se terminer aussi tard que 23h, avec plusieurs pauses pour manger et relaxer. J’ai entendu des histoires sur d’autres fermes, où les trimmers doivent travailler 12 heures par jour avec une heure de pause, entourés de gardes cubains armés jusqu’aux dents… Ça, ça a l’air moins l’fun, mettons.
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En tout cas, moi, si je n’avais pas de morale, à 5 000$ par mois, je pourrais être entourée de l’armée cubaine au grand-complet, pis ça m’dérangerait même pas…
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Pour lire un autre reportage sur le cannabis : “Guindon fabrique de la wax”
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