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Chronique d’une plainte pour agression sexuelle : trouver la bonne oreille

« Nommer qu’on a été victime, ça dérange. Et c’est souvent la personne survivante qui porte le fardeau du dérangement. »

Par
Sarah
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Il y a quelques mois, Sarah* a décidé de porter plainte pour agression sexuelle. Elle a décidé de documenter son cheminement à travers le processus judiciaire sous forme de chronique. La première de la série se trouve ici.

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Il y a quelques années, j’ai fait une gastro-entérite. Une GROSSE gastro. Le genre où tu dois dormir dans la salle de bain à côté de la toilette. Le genre où même le Gatorade passe pas. J’étais tellement déshydratée que j’ai dû entrer d’urgence à l’hôpital. Je n’oublierai jamais la sensation extatique que j’ai vécue quand l’infirmier a installé le soluté dans mon bras : j’avais l’impression d’être un petit raisin sec dans le fond d’une boîte Sun maid en carton rouge qui redevient tranquillement un beau raisin bien galbé.

Dans ma dernière chronique, je vous ai laissés au moment où j’ai contacté le CALACS de ma région. Je venais de réussir à affirmer que j’avais vécu une agression sexuelle étant mineure. Aller chercher de l’aide auprès du CALACS m’a fait le même effet que le soluté.

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J’avais entendu parler des CALACS à cause des vagues de dénonciation. Une recherche Google rapide m’a menée à une ligne 24h où appeler. Un homme m’a tout de suite répondu et m’a demandé comment il pouvait m’aider. Même si la question allait de soi, elle m’a quand même prise de court: est-ce que c’était le moment de déballer mon histoire à un inconnu au bout du fil?

« Oui, euh, ben j’appelle parce que… ben en fait c’est juste je pense que j’ai vécu… je pense que j’ai été victime d’une agression sexuelle quand j’étais plus jeune et j’aurais aimé en parler avec quelqu’un parce que ben euh… »

L’homme s’est empressé de me dire qu’il n’était que répartiteur et qu’il allait prendre mes coordonnées pour qu’une intervenante puisse me rappeler.

« Ah ok. »

Ce que j’ai compris après, c’est que les CALACS offrent plusieurs services: des lignes d’écoute, mais aussi des accompagnements avec des intervenantes. Quelques heures après mon premier appel, une intervenante m’a téléphoné. Cette fois, c’était la bonne: j’ai vomi mon histoire au grand complet dans le combiné et à l’autre bout du fil, on a accueilli mon témoignage avec ouverture, validant avec empathie les évènements traumatiques que j’avais vécus.

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Ce qui m’a marquée et qui m’a fait incroyablement de bien dans le rapport avec l’intervenante, c’est qu’elle n’était pas «dérangée» par ce que je lui racontais.

Personne n’est né avec une trousse psychologique sur «comment accompagner adéquatement une personne victime d’agression sexuelle»

Parce que l’affaire, c’est que, de façon générale, nommer qu’on a été victime d’agression sexuelle, ça dérange. Et c’est souvent la personne survivante qui porte le fardeau du dérangement.

Évidemment, ça dérange les personnes qui sont (encore) convaincues que les agressions sexuelles sont perpétrées par des inconnus dans des ruelles sombres tard le soir, même si toutes les données statistiques sur le sujet indiquent le contraire1.

Mais ce qui est particulièrement pénible, c’est que souvent, ça dérange l’entourage des survivant.e.s. Personne n’est né avec une trousse psychologique sur «comment accompagner adéquatement une personne victime d’agression sexuelle» – surtout que cette réalité demeure taboue à plusieurs égards. Aussi, comme dans une très grande majorité des cas, la personne qui agresse est connue de celle qui subit l’agression, il y a de fortes chances qu’elle soit aussi connue de l’entourage, voire qu’elle en fasse partie.

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C’est facile d’être sensible aux réalités des survivant.es d’agression sexuelle et de condamner les agissements d’une personne qui commet une agression quand iels sont des inconnu.es. C’est une autre paire de manches quand on le/la/les connaît.

déni, déresponsabilisation, doute, amoindrissement, mise en garde/découragement… Les réactions sont souvent maladroites.

Dans ma dernière chronique, je disais que les survivant.es d’infraction à caractère sexuel ont souvent des réflexes de protection psychologique qui les empêchent d’affirmer qu’iels ont vécu un abus. La même chose se produit souvent avec l’entourage qui reçoit le témoignage d’un.e survivant.e : déni, déresponsabilisation, doute, amoindrissement, mise en garde/découragement… Les réactions sont souvent maladroites.

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J’ai un super entourage, vraiment. Je suis très proche de ma famille et de mes ami.es. Pourtant, voici des exemples de premières réactions auxquelles j’ai eu droit au dévoilement de mon agression:

« T’es sûre que c’est une agression? » (doute)

« Tu sais, on t’avait dit de faire attention. » (déresponsabilisation)

« Mais tu voulais, dans le fond. » (déni + doute)

« C’est pas illégal, ça. » (déni + amoindrissement)

« Mais là vas-tu porter plainte ? Tu sais, ça peut déraper si tu fais ça. » (mise en garde/découragement)

Ces phrases sont des clichés risibles jusqu’à ce qu’elles sortent de la bouche de celleux qu’on aime.

Selon les données du RQCALACS : «seulement le tiers des survivantes (34,6%) ont indiqué que leur premier dévoilement avait été aidant. Cette information pourrait expliquer que 36,7% des femmes et des filles ont attendu plus de 11 ans avant d’aller chercher de l’aide dans un CALACS.» D’expérience, je ne suis pas surprise de ces données. C’est fâchant, c’est drainant et c’est injuste d’être la personne qui dérange quand on est la victime de l’histoire. Comme entourage, même si recevoir le témoignage d’un.e proche peut nous ébranler fortement, il faut se rappeler que parler demande toujours énormément de courage.

C’est fâchant, c’est drainant et c’est injuste d’être la personne qui dérange quand on est la victime de l’histoire.

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Quand j’ai eu tout raconté à l’intervenante au téléphone, elle m’a informée qu’elle placerait mon nom sur une liste d’attente. Si les évènements venaient de se passer, on m’aurait envoyé à l’hôpital pour produire une trousse médico-légale. Si les évènements avaient pris place dans les six derniers mois, on m’aurait tout de suite référée vers la production d’une trousse médico-sociale. Mais comme mon agression remonte à plusieurs années, j’ai attendu qu’une place se libère pour un suivi avec une intervenante qui me serait attitrée pour la suite.

Je ne soupçonnais pas, en entamant le processus, que l’attente en serait un élément central.

Les survivant.es attendent souvent à toutes les étapes.

Longtemps.

De ce que j’ai compris, les vagues de dénonciations ont aussi amené plus de gens à faire appel aux ressources comme le CALACS. Personnellement, j’ai attendu deux mois avant de recevoir un appel de *Andréanne, l’intervenante qui assurerait mon suivi.

Pendant ces deux mois d’attente, j’étais vraiment ambivalente par rapport à mes démarches. D’un côté, être capable de mettre des mots sur ce que j’avais vécu et d’être allée chercher de l’aide me rendait très fière de moi. De l’autre, ce processus-là me forçait à replonger dans des traumatismes majeurs de mon existence, des blessures que j’avais guéries avec les moyens du bord. D’arriver à fonctionner «normalement» avec ces plaies que j’avais rouvertes n’était pas simple.

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Je savais que j’avais bien fait d’aller chercher de l’aide, mais pour être honnête, à ce moment-là, je n’avais aucune idée d’où je m’en allais avec ça.

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1Selon le rapport publié par le RQCALACS (Regroupement québécois des centres d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel) au sujet des femmes qui étaient venues chercher de l’aide auprès de leurs ressources : «Plus de 90% des femmes et des filles qui ont eu recours aux services des CALACS connaissaient la personne qui les a agressées. […] Par ailleurs, 81% des agressions subies ont eu lieu dans un domicile privé.»

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*Le nom de l’intervenante, tout comme celui de l’autrice ont été changés. La démarche et les événements décrits reflètent toutefois fidèlement l’expérience de Sarah.