.jpg)
À l’époque qui me semble aujourd’hui si lointaine où la majorité de mes amis fumaient (ce qui me permettait d’être une fumeuse occasionnelle à qui l’occasion se présentait souvent), je me souviens d’une des fois où mon ami Martin avait rompu avec la cigarette. J’essayais de ne pas fumer devant lui pour ne pas le tenter, jusqu’au jour où il m’avait expliqué qu’en fait, il ne m’enviait pas et qu’il ne comprenait pas quel plaisir je pouvais retirer à allumer quelques cigarettes par-ci par-là. Lui, ce qu’il aimait, c’était la dépendance et l’intense satisfaction, chaque matin, de combler le manque causé par une nuit sans sa drogue même s’il trouvait toujours la première cigarette de la journée dégueulasse au goût.
L’amour me procure une sorte de fix après un sentiment de manque.
Ça m’est revenu dernièrement lors d’un échange courriel avec une amie où l’on comparait nos définitions de l’amour (eh oui, à mon âge vénérable que je ne vous dévoilerai pas ici, on essaie encore de décortiquer cette bébitte-là). J’ai soudain compris qu’une partie de ce que je perçois comme de l’amour, c’est la possibilité (plus ou moins fréquente) de mettre fin au manque. Que ce soit parce qu’on a une relation intermittente, ou une relation régulière, mais avec des hauts (ça y est, c’est pour la vie nous deux) et des bas (c’est fini, ça ne marchera jamais) entre lesquels on balance sans cesse.
Je ne dis pas que cela se présente de la même façon pour tout le monde. Mais mais mais, quand même, je ne crois pas être la seule à qui l’amour procure une sorte de fix après un sentiment de manque et franchement, je me demande si je serais capable d’appeler amour une relation stable et régulière sans oscillation entre le manque et son apaisement.
Ma situation actuelle est pathétique. J’ai un amant, appelons-le Valentin, que je vois environ une fois par mois. On s’écrit beaucoup par courriel. Mais, de temps en temps, il ne me donne plus de ses nouvelles et, chaque fois, je ne peux m’empêcher de me dire qu’il en a assez de moi, qu’il n’ose pas me le dire et n’a trouvé qu’une façon de le faire, c’est de me ghoster. Je veux dire, ça fait au moins cent fois que je pense ça!!!
Je ne suis qu’attente de nos corps retrouvés.
Parfois je flanche: c’est moi qui lui écris, et il me répond; d’autres fois, c’est lui qui m’écrit après une pause qui, en fin de compte, n’a pas été si longue (si je vous dis que c’est déjà de lui que je parle dans ce vieux billet, vous serez d’accord avec moi pour l’utilisation du mot pathétique.
Quand je vois apparaître à côté de son courriel sa petite photo – tsé, celle où il a une barbe de vacances que je l’avais supplié de ne pas raser trop vite -, tout en moi se relâche et reprend vie. J’ai un premier fix, ma dose, les hormones de bien-être recommencent à couler dans mes veines. Et je n’ai même pas baisé encore. Mais je sais que la possibilité que nos corps se retrouvent vient de réapparaître, que le décompte est lancé: 10, 9, 8… Je souris, je marche dans la rue d’un pas léger.
Après quelques échanges sur tout et sur rien, on choisit le jour et l’heure: jeudi, 14 heures, ça te va? Et là, je dois faire de gros efforts pour me concentrer sur mon travail, les enfants, la vraie vie, quoi. Je ne suis qu’attente de nos corps retrouvés. Jusqu’à ce que j’aie ma drogue, dont la première goutte coule dans mes veines dès le moment où il apparaît dans l’embrasure de la porte de mon logement, la main tendue avec une bonne bouteille de vin. Puis il me serre très fort contre lui, et là, je me dissous.
J’écris ça avec une semi-légèreté, mais sérieusement, ça me déprime.
Quand je discute avec mes amis, je dis vouloir plus, espérer une vraie relation, avec du quotidien et des plans d’avenir, mais parfois, il m’arrive de penser que je me trompe peut-être. Je connais Valentin depuis assez longtemps pour avoir un sentiment d’intimité, d’abandon, mais j’ai en plus des décharges d’endorphines qui me font planer dans les jours qui précèdent et suivent nos rencontres.
Quand j’étais avec Père des enfants, notre relation n’était pas facile, mais je croyais néanmoins qu’elle était basée sur une réelle intimité. En y repensant aujourd’hui, je revois surtout les hauts et les bas auxquels je me demande si je n’avais pas fini par développer une dépendance. Au début il y avait aussi ça: la peur de ne pas se revoir, la crainte que ce soit la dernière fois, etc. Après, je ne me rappelle pas bien. Y a-t-il eu une période de relation à peu près stable et facile? Hmmm… Je pense que si je posais la question à mon ami Martin, il me dirait que ça aura été très court, si seulement ça a existé. Ensuite, il y avait toujours un sujet de discorde entre nous, LE sujet de l’heure. Et on se réconciliait. Et on se rechicanait. Et on se réconciliait via une bonne baise. Et on se boudait quelques jours. Je pense qu’on n’avait pas assez de talent pour réinventer le quotidien, alors on se désennuyait grâce à cette éternelle oscillation entre déséquilibre et rééquilibrage.
Est-ce que c’est moi qui ne suis pas douée pour connaître l’amour dans la stabilité?
J’écris ça avec une semi-légèreté, mais sérieusement, ça me déprime. Je me demande si j’arriverai jamais à appeler de l’amour autre chose que ce ballottement entre manque et fin du manque. Qui est sans doute plus de l’ordre de la passion que du véritable amour. Ou de la cyclothymie.
Si un génie apparaît un jour devant moi et me demande de faire trois vœux (enfin, il me semble qu’en général on a droit à trois, mais je me trompe peut-être), l’un d’eux serait de passer quelques jours dans la tête d’une de ces personnes que je considère vivre un amour sain et stable. Voir s’il y a vraiment un bien-être paisible et constant, s’il y a une foi solide dans la relation ou simplement une plus grande capacité à mettre le doute de côté. Comparer ce que l’on ressent quand l’amour est régulier avec l’espèce d’euphorie à laquelle je suis accro.
Et j’en reviens à cette question: est-ce que c’est moi qui ne suis pas douée pour connaître l’amour dans la stabilité? Ou si je n’ai juste pas rencontré le gars avec qui je saurais la vivre.
Ô amour, amour, où te caches-tu, existes-tu, te connaîtrai-je un jour?
Brigitte, des RoseMomz
Pour lire un autre texte de Brigitte des RoseMomz: «Quand t’es pus capab’».