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Célébration israélienne sous haute tension à Montréal
Deux hommes en civil m’interpellent. L’un d’eux porte une oreillette, tandis que l’autre cache son visage derrière une cagoule. Mais dès que je mentionne que je suis journaliste, leur attitude change du tout au tout et ils me laissent passer sans encombre.
« C’est pour notre sécurité », déclare celui à l’oreillette, maintenant courtois.
Ils font partie d’une équipe bien organisée, mêlant agents infiltrés, sécurité privée et forces de l’ordre. Une fois à l’intérieur du périmètre, l’ambiance est toutefois à la fête.
Malgré un mardi midi pluvieux, quelques milliers de membres de la communauté juive de Montréal se sont réunis à la place du Canada pour célébrer l’indépendance d’Israël. La Yom Haʿatzmaout.
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L’anniversaire est inévitablement occulté par sept mois de conflit sanglant dont le pays est l’acteur principal. Dans les territoires palestiniens, le nombre de décès dépasse désormais les 35 000, alors que la région est ravagée par les bombardements. Depuis le 9 mai dernier, l’aide humanitaire ne parviendrait plus aux Gazaouis, aggravant davantage une situation déjà catastrophique.
Parmi les 250 otages initiaux capturés par le Hamas, on dénombre encore 128 personnes retenues en captivité, tandis que 36 ont perdu la vie. Depuis l’attentat du 7 octobre ayant fait 1 200 victimes, la communauté mondiale se trouve profondément divisée.
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La polarisation s’est généralisée au fil des mois, provoquant des manifestations à travers le monde et générant de nombreux affrontements dans les rues et sur les campus universitaires. Des activistes propalestiniens ont installé des campements à l’Université McGill et plus récemment à l’Université du Québec à Montréal.
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Bien que l’heure soit grave, l’ambiance détonne par sa réjouissance, marquée par des ballons de plage, des bracelets distribués à la foule et une musique trance enivrante. Les jeunes profitent du congé scolaire pour danser, chanter, flirter. Bref, s’amuser.
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Paul Hirschson, Consul général d’Israël, prend la parole et s’empresse de décrire le Hamas comme un culte de la mort, déclenchant des cris de joie dans une mer de drapeaux blancs et bleus. Il conteste les chiffres concernant les pertes civiles palestiniennes et affirme que la traque des preneurs d’otages ne sera jamais abandonnée.
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Entre des couples retraités et des chiens drapés aux couleurs du pays hébreu, un homme passe à mes côtés vêtu d’un hoodie de l’Opération Iron Swords, nom de l’initiative militaire lancée par les troupes d’Israël à Gaza après l’attaque du 7 octobre. Un homme est coiffé d’une kippa camo, tandis qu’un autre brandit un drapeau aux motifs militaires.
Ce dernier, c’est Philip, un homme massif et peu loquace. Il trouve la situation en Amérique du Nord très stressante depuis un certain temps. Il souligne que la haine ne vise pas uniquement Israël en tant que tel, mais plutôt les Juifs en général. « Je déplore surtout le manque de connaissance parmi la jeunesse et la société en général, qui ont souvent tendance à condamner ce qu’ils ne comprennent pas. Moi, j’ai servi. Mon fils aîné vient de revenir et mon plus jeune vient de partir pour défendre notre Nation. »
Selon lui, tout serait une question de vérité cachée.
« Pas de photo », dit-il avant de s’éloigner sans croiser mon regard, tandis que la foule scande « Bring them home! ».
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De l’autre côté du boulevard René-Lévesque, une contre-manifestation se met en place, rassemblant les hassidiques antisionistes de Neturei Karta et des militants aux keffiehs équipés de mégaphones.
L’animateur du Israel Day Rally proclame au micro : « Nous danserons à nouveau, car nous sommes du bon côté de l’histoire. » Puis, le DJ enchaîne : « Go crazy for Israël », avant de dropper un banger techno-pop.
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Elie est lui aussi ancien membre des forces israéliennes, bien que chétif et de nature plus réservée, il exprime un discours tout aussi intransigeant. Depuis le début du conflit, il vit avec une grande frustration. Il condamne vivement les politiciens qui, par calcul électoral, évitent de condamner la guerre. Il critique les positions unilatérales des médias et estime que le terme « génocide » ne s’applique pas dans ce contexte.
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Ce qu’Elie observe à Montr éal le trouble profondément, mais avec son drapeau du Québec en main, il trouve François Legault solide et estime que ses prises de position sont adroites.
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Prenant place sur le stage, le maire de Hampstead, Jeremy Levi, est chaleureusement applaudi. Le discours du controversé politicien comporte de rares moments de silence, car à chaque instant de répit, les cris du rassemblement de l’autre côté de la rue se font entendre.
« Shame on you ! », entendons-nous au loin.
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Une militante entame un discours anticolonialiste affirmant la légitimité du peuple juif en Israël en tant que présence autochtone. Elle proclame que tous ceux ici présents sont des « soldats de la lumière ».
Quelques instants plus tard, un message enregistré par le chef conservateur Pierre Poilièvre est diffusé sur l’écran géant, déclenchant des rires dans la foule alors qu’il tente quelques phrases en hébreu, mais les rate. L’instrumentalisation partisane du conflit ne peut être plus évidente.
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« Tout le monde déteste les sionistes », clame l’écho au loin.
« Make some noise! », réplique l’habile DJ, pour étouffer les chants.
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Si la fête nationale a été annulée pour des raisons de sécurité à Ottawa, ici, elle prend la forme d’une démonstration de puissance, où une joie éclatante contraste nettement avec le sentiment corrosif du militantisme propalestinien. Un élan d’éros presque frondeur se déploie, avec des jeunes filles maquillées, des câlins, des costumes, des rires, des mères dansant au rythme de la musique les yeux fermés, tandis que les pères prennent des photos et que des milliers de drapeaux flottent dans l’air.
Une festivité si exaltante en temps de conflit qu’elle déstabilise, offrant le spectacle d’une prétendue victoire sur le mal.
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Montréalaise d’origine, Joanne exprime sa détresse quant aux huit derniers mois qu’elle a traversé avec difficulté. Elle se sent abandonnée par le gouvernement, la police et les universités. La diplômée de McGill admet ressentir un profond sentiment de solitude face aux récents événements sur son ancien campus.
Elle se considère toutefois chanceuse d’avoir le soutien de sa communauté.
« Mais si personne n’aide le Juif, pourquoi devrait-il aider en retour? », interroge-t-elle, confiant que le climat actuel l’a endurcie. « Je suis mère d’adolescents. Quand on va quitter, ils devront cacher l’étoile de David qui pend à leur cou. Oui, nous avons peur, et c’est malheureux. C’est dommage que notre école doive engager du personnel de sécurité. »
Une femme la quitte en lui disant : « Be safe ».
Elle exprime son désarroi en ajoutant : « Be safe… Ce n’est pas normal qu’on doive se dire ça au Québec! »
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Au centre des deux rivaux brandissant fièrement leurs drapeaux, un autobus fait halte, et un passager saisit l’occasion pour exprimer son opinion sur le rassemblement israélien, suscitant davantage de sourires moqueurs que de haine au sein de la foule.
J’ignore s’il a réussi son pari.
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Je quitte alors que le DJ, toujours aussi enflammé devant une piste de danse bondée, hurle : « Joyeux 76e pour notre Terre sainte ! ». Des jeunes filles sautent avec des sourires éclatants, se tenant la main et entonnant les paroles de la chanson.
De l’autre côté du boulevard, le face-à-face se poursuit avec des cris qui n’ont rien perdu de leur vigueur.
Ça pue la guerre tout ça.
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