«Chaque fois que survient un nouveau féminicide, je me dis que ça aurait pu être moi».
Au bout du fil, Isabel* réalise plus que jamais la chance qu’elle a d’être en vie.
Et cette chance, elle la doit certes à son courage, mais aussi à La Dauphinelle, une maison d’hébergement montréalaise qui accueille depuis 1982 les femmes victimes de violence conjugale et leurs enfants.
En 2019, la jeune femme âgée dans la vingtaine a passé six mois dans un logement «de deuxième étape» avec ses deux enfants, pour fuir une relation marquée par dix ans de violence psychologique. Ces logements — aussi appelés «logements transitoires sécuritaires» — consistent en des appartements complets perchés au-dessus où en lien direct avec des maisons d’hébergement comme La Dauphinelle. Un mandat différent que les unités dites d’urgence, où les femmes partagent les espaces communs et les repas.
Environ soixante-dix logements de deuxième étape devraient être construits au Québec.
Or, le gouvernement vient précisément de donner son feu vert à plusieurs chantiers de ce type de logements plus autonome, dont quatorze seront gérés par la Dauphinelle (prévus pour quarante-deux femmes et enfants au total). Cette annonce survient dans la foulée d’une enveloppe octroyée récemment par le gouvernement du Québec pour lutter contre la violence conjugale. Environ soixante-dix logements de deuxième étape devraient être construits au Québec, la plupart à Montréal où les besoins sont les plus criants et où les cas de violence conjugale pullulent.
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Cette nouvelle tombe à point pour la directrice générale de La Dauphinelle, Sabrina Lemeltier, à l’heure où la province recense onze féminicides depuis janvier (dont neuf dans la métropole). «Les logements de deuxième étape préviennent vraiment les homicides conjugaux et permettent de sécuriser la famille, comme une sorte barrière», illustre Sabrina, soulignant que la dangerosité pour les femmes et leurs enfants est LE critère à considérer dans l’attribution de ces logements de deuxième étape, surtout lorsque l’on sait que la séparation est le moment névralgique pour les femmes victimes de violence conjugale. «Ça s’adresse à des femmes qui ne peuvent pas retourner chez elles. Nous avons des caméras de surveillance, de l’accompagnement psychosocial et on a le temps de les épauler en cas de démarche judiciaire ou pour trouver un toit», explique Sabrina Lemeltier.
75% des femmes et des enfants en maison d’hébergement d’urgence qui souhaitent obtenir une place se butent à une porte fermée.
Elle rappelle qu’à Montréal, 75% des femmes et des enfants en maison d’hébergement d’urgence qui souhaitent obtenir une place dans un logement de deuxième étape se butent à une porte fermée, faute de place. Juste à La Dauphinelle, les femmes n’ont à ce jour accès qu’à seulement quatre de ces logements.
Si le gouvernement a donné son aval à plusieurs chantiers, les négociations se poursuivent entourant l’achat d’un immeuble dédié à la construction des unités. Pas une mince tâche avec la crise du logement qui sévit présentement, constate Sabrina Lemeltier. Elle a heureusement déjà identifié un endroit. «Ça faisait deux ans que je cherchais. Mon offre d’achat est déposée, mais le gouvernement devra l’approuver», indique-t-elle, prudente face aux coûts de transformation évalués à dix millions de dollars pour aménager des trois et demie et des cinq et demie.
Après avoir observé une baisse d’achalandage catastrophique, mais surtout préoccupante durant la pandémie, La Dauphinelle aurait repris son air d’aller avec le déconfinement en cours. En clair, le téléphone s’est remis à sonner, indique Sabrina Lemeltier. «L’isolement et la violence conjugale ne font pas bon ménage. Mais là, on vient d’accueillir une femme avec ses cinq enfants et dix-sept de nos vingt-quatre places sont occupées», calcule la directrice générale, qui salue au passage le travail des médias qui ont beaucoup contribué à l’effort de sensibilisation ces derniers mois. «Il semble y avoir eu une prise de conscience et je ne pense pas que ça soit éphémère. Le gouvernement devra prendre ses responsabilités», résume-t-elle.
Si tout se passe bien, ses logements pourraient être prêts à accueillir des femmes et leurs enfants d’ici l’automne prochain.
sortir du contrôle total
Ce type d’établissement permet à des femmes comme Isabel de se reconstruire dans un environnement sécuritaire. «Quand tu vis une relation toxique, tu es isolée et tu ne parles pas à grand monde. Vivre à la Dauphinelle m’a aidé à regagner mon estime de moi, entreprendre des démarches pour obtenir une place dans un HLM et me préparer à retourner dans la vraie vie», louange Isabel, qui a partagé un logement de deuxième étape avec ses deux enfants en bas âge, dont un est atteint d’un trouble du spectre de l’autisme. «Je suis parti à cause d’eux surtout. Ils ne comprenaient pas ce qui se passait, alors je leur ai simplement expliqué que papa n’était pas correct avec maman», confie Isabel.
«Je n’ai plus peur, j’ai rencontré d’autres femmes comme moi et je sais que j’ai des droits. On ne pourra plus me manipuler!»
Son ex-conjoint lui interdisait notamment d’aller sur les réseaux sociaux, en plus de contrôler ses sorties, confisquer son cellulaire et ne lui autoriser que cinq minutes par semaine au téléphone avec sa mère qui habite à l’étranger.
Depuis, les choses se sont un peu replacées et le conjoint a le droit de voir ses enfants, mais seulement en présence d’un membre de la famille. «Au moins je me sens en sécurité et les enfants voient leurs deux parents», résume la jeune maman.
Regagner son estime de soi
Anna* aussi ne tarit pas d’éloges envers La Dauphinelle qui l’a hébergée elle et son bébé de quelques mois tout juste avant la pandémie. Avec assurance, elle raconte brièvement l’enfer vécu avant de poser ses valises durant dix mois à la ressource montréalaise. «C’était de la violence physique et psychologique. J’avais d’abord été me réfugier dans une maison située à Québec (où elle vivait et vit toujours), mais mon conjoint l’a su et m’a retrouvée. On m’a donc transférée à La Dauphinelle», raconte Anna, qui habite maintenant dans un appartement du 418 avec son fils. «Je n’ai plus peur, j’ai rencontré d’autres femmes comme moi et je sais que j’ai des droits. On ne pourra plus me manipuler», tranche-t-elle avec aplomb.
Même si elle a repris sa vie en main, Anna admet être encore secouée chaque fois qu’un féminicide fait les manchettes. «Ça me fait aussi mal d’entendre les pubs gouvernementales à la radio. Ça reflète bien la réalité…», admet-elle.
Ne serait-ce que pour des témoignages comme ceux d’Anna et Isabel, on ne peut qu’applaudir la création de nouveaux logements pour ces femmes courageuses.
Parce que leur offrir un environnement sécuritaire est la moindre des choses.
*Les prénoms de ces personnes ont été changés pour préserver leur anonymat.
En cas de besoin, vous pouvez contacter en tout temps SOS violence conjugale en ligne ou par téléphone au 1-800-363-9010.