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Bruno Marchand : se mettre dans les souliers de l’autre

L'éloge de la nuance avec le nouveau maire de Québec.

Par
Hugo Meunier
Hugo Meunier
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« Appelez-moi quand vous voulez, vous ne me dérangez jamais. Et saluez vos douces de ma part! », lance chaleureusement le maire de Québec Bruno Marchand en raccompagnant vers la sortie deux hommes venus le rencontrer en ce lundi matin.

Nous sommes à l’hôtel de ville, situé dans le Vieux-Québec, et j’attends mon tour dans une sorte d’antichambre attenante au bureau du 38e maire de Québec, assermenté en novembre dernier avec son nouveau parti Québec forte et fière.

À midi, Thomas, l’attaché de presse du maire, me conduit à son bureau, où il doit venir me rejoindre d’une minute à l’autre. « Tu as environ une heure, il a un rendez-vous à 13 h », m’informe le sympathique jeune homme, qui travaillait jadis pour le député péquiste Pascal Bérubé.

Le maire a personnellement décoré la pièce spacieuse à son goût. Une toile de Riopelle, une autre de Marcel Ferron, une sculpture incroyable de Marie-Fauve Bélanger et une spectaculaire toile rendant hommage aux romans de chez nous, signée Jean-Paul Béliveau. Au milieu de l’impressionnante collection, un dessin naïf d’enfant signé par une certaine Katerina détonne.

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Il m’expliquera plus tard qu’il s’agit d’un cadeau reçu d’une petite fille et qu’il trouvait important de l’exposer parmi ces œuvres pour montrer que l’art va bien au-delà du chauvinisme ou du petit doigt en l’air.

Bruno Marchand, 48 ans, semble d’ailleurs bien fier de ses origines modestes, lui qui est le premier maire né en basse-ville depuis 1938. « Ma mère disait : “Le monde avec qui tu vis est aussi important que toi », cite le maire, qui a grandi comme enfant unique dans une famille modeste de Limoilou.

Aujourd’hui orphelin de ses parents et lui-même papa de deux jeunes enfants, Bruno Marchand a l’air un peu sorti de nulle part, du moins d’un œil extérieur.

J’ai beau avoir lu quelques articles à son sujet (il a effectué une tournée médiatique à Montréal récemment) et suivi ses interventions sporadiques dans le dossier du tramway ou du troisième lien, je ne sais pratiquement rien de Bruno Marchand, qui a remporté la course à la mairie au terme d’un revirement spectaculaire, durant lequel son adversaire a même prononcé son discours de la victoire après se l’être fait concéder par erreur.

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Bruno Marchand a finalement remporté la mairie avec une mince avance d’environ 800 voix sur Marie-Josée Savard, la dauphine du maire sortant.

Marchand a d’ailleurs de gros souliers à chausser depuis le départ du coloré Régis Labeaume, qui a régné durant 14 ans sur la Capitale-Nationale.

Le maire en porte d’ailleurs de superbes bleues lorsqu’il débarque d’un pas rapide dans son bureau pour commencer l’entrevue, avec un peu de retard.

Le temps file, j’ai encore cinquante minutes.

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Bruno Marchand brise la glace en revenant brièvement sur sa tournée médiatique montréalaise, une occasion de justement se faire voir un peu, qui s’inscrit d’ailleurs dans cette volonté de décloisonner la politique municipale. En rencontre éditoriale avec La Presse, M. Marchand prônait justement plus d’autonomie et un front commun des maires des grandes villes pour se faire entendre du gouvernement provincial sur des enjeux tels que le logement social, la mobilité et l’environnement.

«Je sais que c’est galvaudé, cette idée de “faire la politique autrement”, mais ça passe par le respect des gens et des opinions divergentes.»

On sent d’ailleurs qu’un vent de changement souffle dans l’arène municipale depuis quelques années. D’abord avec Valérie Plante à Montréal, puis Catherine Fournier à Longueuil, Stéphane Boyer à Laval, Isabelle Lessard à Chapais, Michaël Pilote à Baie-Saint-Paul et Bruno Marchand. Une bouffée de fraîcheur et de sang neuf, où la collaboration l’emporte sur les guerres de clochers.

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« Je sais que c’est galvaudé, cette idée de “faire la politique autrement”, mais ça passe par le respect des gens et des opinions divergentes, à contrario des réseaux sociaux. La nuance est nécessaire pour faire une différence dans nos communautés », martèle dur comme fer le maire décontracté en veston et t-shirt.

«La nuance est nécessaire pour faire une différence dans nos communautés.»

La nuance sera d’ailleurs au cœur de notre entretien. À chaque question, le diplômé en philosophie de l’Université Laval réfléchit, soupèse, nuance, cherche à sortir de la boîte et de la proverbiale cassette. Ce mélange de franchise, d’aplomb et de candeur détonne dans le paysage politique traditionnel.

On est à des années-lumière en tout cas de l’ancien maire de Laval Gilles Vaillancourt, qui avait embarqué dans son char le jeune journaliste que j’étais alors pour l’hebdo local pour me faire faire le tour de SA ville et pour m’en expliquer les rouages de façon paternaliste.

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Bref, quinze minutes après le début de l’entrevue, Bruno Marchand m’a déjà mis dans sa petite poche d’en arrière. Son amour des gens semble aussi contagieux que sincère, au point que j’ai presque envie d’aller faire des câlins à tout ce qui bouge aux Galeries de la Capitale.

@hugo.meunier Questions en rafale avec rafale avec le maire Bruno Marchand sous le thème: Québec Vs Québec. #quebec #maire #politiquemunicipale #poutine #hoteldeville entrevue à venir sur @URBANIA ♬ son original – Hugo Meunier

Enfin, après avoir été PDG d’une branche locale de l’organisme Centraide pendant de nombreuses années, Bruno Marchand souhaite consacrer son mandat à tirer sa ville vers l’avant.

S’il se retrouve du jour au lendemain devant les projecteurs, il assure être là pour les bonnes raisons et n’avoir pas changé d’un iota.

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« Ma fonction est un maillon de la chaîne et non la chaîne en soi. Si les gens qui réparent les rues ou plantent des arbres ne travaillent plus, on est mal pris », résume humblement le maire se comparant à un chef d’orchestre. « C’est lui que tu vois dans les médias, mais il ne fait pas de musique avec sa baguette. Pour réussir, tu n’as pas le choix de t’appuyer sur du monde incroyable », louange-t-il en parlant de son équipe et des employé.e.s municipaux.

Jusqu’ici, les médias traitent bien le nouveau maire. Il a bonne presse, comme on dit. Déjà que cet article est d’une complaisance crasse. Mais bon, la vie politique du maire s’amorce à peine et les pelures de banane ne se dressent pas encore trop sur son chemin. « Ça doit être dur d’être pris en grippe par les médias », confesse-t-il.

En effet. Pour le savoir, on pourrait certainement lui suggérer une conversation avec cette autre personnalité ayant grandi – comme lui – à Limoilou…

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Mais bon, ça joue rough, la politique, et les nids-de-poule seront certainement aussi nombreux qu’inévitables.

Déjà que le dossier controversé du troisième lien reliant Québec et Lévis fait couler des hectolitres d’encre (virtuelle) et est à la source de la majorité de ses interventions médiatiques.

S’il n’a pas torpillé le projet, Bruno Marchand a récemment durci le ton, enjoignant le gouvernement provincial de le convaincre que le troisième lien n’encourage pas l’étalement urbain, ce dont il doute.

«Si on n’arrive pas à contrer l’étalement urbain, on va payer pour.»

« Peut-être qu’un transport public marcherait mieux, un métro sous le fleuve, l’autobus, bref, une autre alternative. Si on n’arrive pas à contrer l’étalement urbain, on va payer pour », prévient le maire, qui dit déjà observer une reprise à peu près équivalente de la circulation automobile pré-pandémique.

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Il faut dire que ce projet de troisième lien se situe aux antipodes de celui du tramway, si cher aux yeux du maire, qui rêve d’une ville verte et d’électrification des transports. « Il faut casser ce réflexe de penser que la mobilité se résume à l’autobus ou au métro. Il y a le FlixBus, le taxi, la trottinette électrique, le vélo, etc. », énumère Bruno Marchand, tanné de ce débat stérile forçant les gens à choisir entre la voiture et le transport en commun. « Il faut cesser de penser qu’un seul moyen est bon. Pourquoi tu ne peux pas prendre ton char le mardi et le transport en commun le lendemain? », demande-t-il.

À l’heure où de premières municipalités québécoises se lancent dans la gratuité du transport en commun, le maire Marchand prévoit de son côté une tarification sociale adaptée aux personnes à faible revenu. « La mobilité devrait être accessible et à portée de main via son cellulaire », souligne-t-il.

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À quelques moments durant l’entrevue, le maire s’approche vers moi sur sa chaise pour me répondre, en me fixant de ses yeux perçants. Je comprends maintenant comment on doit se sentir sous l’emprise de Messmer. Heureusement, le son de l’horloge grand-père au mur vient de sortir de l’état d’hypnose en plus de m’informer que le temps file.

Une membre de son équipe s’amène aussi par l’entrebâillement de la porte lui rappeler l’existence de la réunion de 13 h dans une salle voisine.

« Ok », répond le maire, même si je vois bien qu’il aimerait mille fois mieux chiller avec moi le reste de l’après-midi pour REFAIRE LE MONDE.

Sans blague, on comprend rapidement que Bruno Marchand est une people person. Il aime jaser sans s’écouter parler.

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Ce contact avec le monde est crucial, voire nécessaire. « Si tu ne parles pas au monde, tu tombes dans le piège des bulles », illustre-t-il au sujet des risques de se retrouver coincé dans des chambres d’écho.

Bien sûr, c’est dur de se faire critiquer tous les jours sur la rue, sur les réseaux sociaux ou ici, à l’hôtel de ville.

« Juste ce matin, un citoyen s’est présenté ici pour me parler, raconte-t-il. Il avait des critiques à formuler. Je lui ai parlé et même si on ne s’est pas entendus, il était satisfait. Ce qu’il m’a dit m’influence peut-être et vice-versa : c’est ça, l’éloge de la nuance! »

Si les doléances font partie de la game, Bruno Marchand estime que le moral ambiant est néanmoins bon dans sa ville. « Les gens sont généreux, fiers, aiment leur ville et la vision qu’ils en ont. Les gens viennent spontanément me le dire et ne sont pas obligés de le faire. »

Bruno Marchand l’a constaté lors de son bain de foule samedi dernier, au show de Tire le coyote au Grand Théâtre.

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Il ajoute d’ailleurs que la scène culturelle est présentement en ébullition à Québec, au point où le maire fantasme d’assister à l’émergence d’un nouveau… Seattle, en lien avec le foisonnement musical et culturel observé de la période grunge.

Bon, j’aime déjà le nouveau maire, mais là, je veux juste aller me faire tatouer son nom sur l’avant-bras avec les armoiries de la ville.

«Je m’en torche tellement de mon legs. Je ne veux pas qu’on se souvienne de moi, je veux juste bien jouer mon rôle de construire une meilleure ville avec tout le monde.»

Bruno Marchand se décrit lui-même comme un éclectique en musique. « J’aime autant Ingrid Saint-Pierre que Nirvana, AC/DC ou Neil Young. »

Bruno Marchand veut certes aller à la rencontre des citoyen.ne.s, changer les choses, améliorer sa ville, mais il éclate de rire lorsqu’on lui demande déjà ce qu’il aimerait laisser en héritage. « Je m’en torche tellement de mon legs. Je ne veux pas qu’on se souvienne de moi, je veux juste bien jouer mon rôle de construire une meilleure ville avec tout le monde. Je ne travaille pas pour la postérité, ça ne m’intéresse pas », tranche-t-il sans ambages, ajoutant qu’au-delà de la vanité, la seule chose qui compte est de ne pas être seul à souffler dans la voile.

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Le maire Marchand estime d’ailleurs qu’il y a trop de « je » et pas assez de « nous » dans le monde actuel.

Et c’est à l’aide de ce « nous » qu’il souhaite mener la lutte aux inégalités sociales et aux changements climatiques. « Quand le gouvernement autorise le projet pétrolier Bay du Nord, susceptible d’émettre des centaines de milliers de tonnes de gaz à effet de serre par année, on ne peut pas accepter », s’insurge le maire, qui lance un appel à la mobilisation citoyenne. « À vos micros, vos crayons, vos souliers citoyens! L’heure est à mener des changements importants et ça passe par la pression sociale. Je refuse l’impuissance! »

L’entrevue se termine. La journée du maire est loin d’être finie.

Avant de partir, il souligne ne pas savoir encore quelle toponymie il consacrera à Guy Lafleur dans la ville qu’il a galvanisée avec les maillots des Remparts et des Nordiques. « On veut consulter la famille, prendre notre temps et lui rendre le meilleur hommage possible », assure-t-il en sortant.

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En voyant ses espadrilles bleues disparaître dans le couloir, j’ai en tête la célèbre chanson de Leclerc, convaincu que les souliers du maire n’ont pas fini de voyager.